Selon une enquête du Défenseur des droits de 2014[1], 20% des femmes actives disent avoir été confrontées à une situation de harcèlement sexuel au cours de leur vie professionnelle et 20% des français déclarent connaître au moins une personne ayant été victime de harcèlement sexuel dans le cadre de son travail. Les manifestations les plus rapportées sont les « gestes et propos à connotation sexuelle sans le consentement de la personne », « l’environnement de travail tolérant des blagues à caractère sexuel », « le chantage sexuel » et « l’envoi de messages à caractère pornographique ».
En l’espèce, la réclamante, embauchée depuis 1989 au sein de la rédaction d’un journal, a dénoncé fin 2012 un climat de travail fortement dégradé et ouvertement sexiste. Cet environnement de travail aurait été rythmé par des propos récurrents à connotation sexuelle, particulièrement dégradant à l’égard des femmes, sous le couvert de l’humour. Suite à la dénonciation de ces faits, la réclamante estime que la direction n’a pas pris les mesures adéquates afin de les faire cesser et que l’équipe l’a mise à l’écart et stigmatisée. Cet environnement de travail a eu des conséquences importantes sur son état de santé puisque cette dernière a été contrainte de s’arrêter pendant plusieurs mois, ce qui a conduit à son licenciement pour inaptitude en 2014, avant l’adoption de la loi du 17 aout 2015 condamnant le sexisme au travail créant l’article L.1142-2-1 du Code du travail[2].
Les services du Défenseur des droits ont donc dû traiter cette réclamation au regard de l’interdiction du harcèlement sexuel, qui est considéré comme une forme de discrimination par la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 : « le harcèlement et le harcèlement sexuel sont contraires au principe de l’égalité entre les femmes et les hommes et constitue une discrimination ». Il est défini à l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 comme : « Tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ; » Le harcèlement sexuel est ainsi une notion très large et ne fait pas nécessairement référence à la recherche d’une faveur sexuelle.
En l’espèce, le journal avait considéré que les propos dénoncés par la requérante s’apparentaient d’avantage à une ambiance de travail grivoise, des blagues ou encore des écarts de langage. La blague ou l’humour potache, définis comme portant peu à conséquence et n’offensant pas autrui doit cependant toujours s’analyser au regard de la perception et du ressenti provoqué de celui ou celle qui les reçoit. La jurisprudence reconnait d’ailleurs comme constitutif de harcèlement moral l’humour déplacé et répétitif à connotation raciste[3]. De plus, le rapport du conseil Supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes du 6 mars 2015 sur « Le sexisme dans le monde du travail » souligne que : « Le sexisme dans le monde du travail : entre déni et réalité »[4] fait état de l’humour comme d’une arme à double tranchant : ce qui peut paraitre drôle pour une personne peut s’avérer désagréable pour une autre, notamment lorsqu’il sert à camoufler une forme de dénigrement en raison du sexe. L’humour et son camouflage en amusement bénin à travers l’argument « c’est juste une blague » joue un rôle majeur dans la diffusion des préjugés sexistes.
Au terme de son enquête, le Défenseur des droits a décidé de présenter des observations devant la Cour d’appel dans sa décision n° 2016-212, où il a conclu que les éléments du dossier démontraient qu’il avait bien existé au sein de la rédaction du journal des propos et des agissements répétés à connotation sexuelle pouvant constituer un environnement de harcèlement « intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant », en ce qu’il ne doit pas forcément s’entendre comme un agissement sexuel direct sur la victime mais s’étend à toute contrainte par un salarié d’un environnement professionnel dans lequel se répètent des comportements déplacés à connotation sexuelle et dégradant les conditions de travail du salarié qui ne souhaite plus les subir. Le Défenseur des droits a considéré que l’employeur, en minimisant les faits, n’avait pas satisfait à son obligation de sécurité de résultat à l’égard de sa salariée.
La cour d’appel d’Orléans, dans une décision du 7 février 2017[5], a condamné le journal à 78 500 € de dommages intérêts. La cour a considéré que« Le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes et vulgaires qui lui deviennent insupportables ».
[1]Enquête sur le harcèlement sexuel au travail, échantillon de 1 005 personnes représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus et d’un sur-échantillon de femmes actives âgées de 18 à 64 ans, IFOP pour le Défenseur des droits, juin 2014.
[2] L’article L.1142-2-1 du Code du travail précise que : « Nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».
[3] Cass, crim, 12 décembre 2006, n°05-87.658
[4] Le sexisme dans le monde du travail : entre déni et réalité, Gresy Brigitte, Becker Marie, ministère des Affaires Sociales, de la Santé et des Droits des Femmes, mars 2015, 130 p.