"50 ans de médiation dans la République" : un anniversaire pour préparer l’avenir

23 janvier 2023

Médiation

Le 3 janvier 1973 était promulguée la loi instituant le médiateur de la République. 50 ans plus tard, le 23 janvier 2023, Claire Hédon, la Défenseure des droits, et son adjoint délégué général à la médiation, Daniel Agacinski, dressent un bilan et esquissent les perspectives d’évolution de la médiation entre usagers et administrations.

En 2011, le Défenseur des droits a succédé au médiateur de la République, avec des compétences élargies et des prérogatives renforcées : pouvoirs d’enquête, pouvoirs d’intervention et présentation d’observations devant les tribunaux… Mais la médiation entre usagers et administration demeure son activité la plus importante en nombre (environ 80 % des réclamations).

À l’occasion des 50 ans de la loi instituant le médiateur de la République, un colloque a réuni des praticiens de la médiation, des chercheurs, des représentants d’administrations et d’organismes sociaux et des acteurs de la justice. Ce mode non-contentieux de résolution des litiges entre usagers et administrations, qui s’est progressivement imposé dans le champ des services publics en France, est un outil essentiel du Défenseur des droits pour rétablir les personnes dans leurs droits. Grâce aux permanences de son réseau de plus de 560 délégués présents à travers toute la France métropolitaine et en Outre-mer, l’institution accompagne chaque année des dizaines de milliers d’usagers et permet la résolution amiable de leurs difficultés.

Un événement pour cultiver le dialogue entre les usagers et les administrations

En ouverture du colloque, qui a rassemblé plus de 200 personnes à Paris, la Défenseure des droits Claire Hédon a salué l’ensemble des médiateurs institutionnels qui, dans les ministères, les collectivités, les organismes de protection sociale, œuvrent également au règlement amiable et à l’accès aux droits. Elle a insisté sur les garanties d’indépendance dont doivent bénéficier l’ensemble des médiateurs qui interviennent dans la relation usagers-administration et sur le caractère impératif d’un accès multicanal aux dispositifs de médiation (courrier, numérique, présentiel…), dans un contexte marqué par la dématérialisation de nombreuses démarches.

Elle a également appelé de ses vœux le développement de la culture du dialogue et du respect des droits des usagers dans l’ensemble des services publics, à l’heure où encore trop d’administrations refusent de « jouer le jeu » de la médiation.

Le sociologue Pierre-Yves Baudot a resitué la naissance du médiateur de la République dans le contexte des différentes lois adoptées au cours des années 1970 et qui ont renforcé les droits de l’usager face aux administrations (création de la Cada, de la Cnil…) et insisté sur le rôle d’équilibriste joué par le médiateur qui doit, dans l’État, œuvrer pour que l’État lui-même garantisse effectivement les droits auxquels il risque de porter atteinte.

La première des deux tables rondes a porté sur la médiation, comme « levier d’amélioration de la relation entre usagers et administration ». Deux réclamantes ayant bénéficié de l’intervention des délégués du Défenseur des droits ont présenté leur témoignage ; puis les débats entre acteurs de la médiation ont pu mettre en évidence les apports que constituaient les préconisations générales contenues dans les rapports d’activité des médiateurs, qui peuvent faire évoluer les règles et les pratiques administratives.

La seconde table ronde visait à esquisser des « perspectives pour une médiation de confiance au service des usagers ». Les participants se sont notamment interrogés sur la possibilité d’une harmonisation des cadres juridiques des différents médiateurs, permettant une plus grande lisibilité des dispositifs pour les usagers.

Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’Etat, a conclu l’événement en soulignant que la naissance et le développement de la médiation avaient été « le signe d’une évolution, et même d’un progrès, dans la conception de l’administration et plus largement de notre démocratie ». Il a mis l’accent sur la nécessaire amélioration des relations entre usagers et administrations, qui passe par un profond changement culturel, en faveur de la défense des droits des usagers et de la reconnaissance de leur droit à la participation.

Revoir l’intégralité de l’évènement

Colloque "50 ans de médiation dans la République" - Allocution d'ouverture, Claire Hédon

Défenseur des Droits
Colloque « Cinquante ans de médiation dans la République »
23 janvier 2023

Introduction – Claire Hédon, Défenseure des droits

- Je vous propose de vous installer pour qu’on puisse commencer. Le programme de cette après-midi est chargé et on a peut-être intérêt à ne pas démarrer en retard. Je vous laisse vous asseoir. Il y a encore des personnes qui sont en train de rentrer. C’est bien plein. Il y a encore des places sur la mezzanine. Je vous laisse vous installer.

C’est bon, tout le monde a trouvé une place ? Bonjour à toutes et à tous. Je suis vraiment heureuse de vous accueillir ici pour célébrer ensemble l’anniversaire de la naissance du Médiateur de la République pour évoquer le chemin parcouru au cours de ces cinquante ans de médiation dans la République et puis, bien sûr, notre objectif aussi, cet après-midi, c’est de se tourner vers l’avenir. Nous ne sommes pas dans un lieu anodin, je pense que ça ne vous a pas échappé, cet auditorium porte le nom de Marceau Long, grand serviteur de l’Etat et de l’intérêt général, et nous y entendrons en fin de journée l’actuel vice-président du Conseil d’Etat, Didier-Roland Tabuteau. Le Défenseur des Droits est une institution de la République reconnu par son texte suprême, notre Constitution, inscrit dedans, dans la République et son en sein, fermement indépendante vis-à-vis du pouvoir exécutif comme du Parlement, et vous savez à quel point nous tenons à cette indépendance, nul ne peut me dire ce que je dois faire ou ne pas faire, dire ou ne pas dire. C’est cette indépendance et cet ancrage comme institution de la République qui créent ensemble les conditions de l’efficacité et de la crédibilité de la médiation, c’est ce qui faisait déjà l’originalité il y a cinquante ans du Médiateur de la République. La loi prévoyait à l’époque déjà de fortes garanties d’indépendance dont bénéficie aujourd’hui le Défenseur des Droits. Le Médiateur était nommé pour six ans et ne pouvait être ni révoqué, ni renouvelé au terme de son mandat. Ce qui est aussi mon cas aujourd’hui. Il ne recevait d’instruction d’aucune autorité, ne pouvait être poursuivi, recherché, arrêté, jugé ou détenu à l’occasion des opinions qu’il émet ou des actes qu’il accomplit dans l’exercice de sa fonction, avec le fait de permettre au médiateur d’accomplir ses missions : les ministres et autorités publiques doivent faciliter la tâche du médiateur (article 12). Le Défenseur des Droits a succédé au Médiateur de la République en 2011, il a vu son champ de compétences élargi, ses moyens d’action élargis également, et il bénéficie plus que jamais de ces garanties fondamentales d’indépendance. Fêter ce cinquantenaire était une évidence pour notre institution, car même si nous ne le portons plus dans notre nom, la médiation reste notre premier moyen d’action pour rétablir les personnes dans leurs droits. C’est vraiment quelque chose d’important. C’est notre mode d’action principal. Le Défenseur des Droits est le premier acteur de la médiation du service public en France, le premier d’abord par l’ancienneté, et le premier aussi par le volume : 126 000 réclamations en 2022, dont 80% sont traitées par les délégués, plus d’un million de saisines depuis la création du Défenseur des Droits en 2011.
Le réseau le plus dense aussi et le plus accessible sur l’ensemble du territoire national, avec 570 délégués bénévoles qui reçoivent les usagers dans 870 lieux de permanence, d’ailleurs, plusieurs d’entre eux sont ici présents et je tiens à leur adresser un salut particulièrement chaleureux car on fête aussi leur anniversaire. Celui qui dispose aussi des garanties d’indépendance les plus solides, ancrées dans la constitution depuis 2008, celui dont la capacité à intervenir en médiation est prévue par une loi organique, l’article 26 de la loi du 29 mars 2011, précise que le Défenseur des Droits peut procéder au règlement amiable des différends portés à sa connaissance par voie de médiation. C’est d’ailleurs le texte le plus élevé dans notre hiérarchie des normes à contenir ce terme de médiation.
De cet ancrage historique, territorial, institutionnel, nous faisons une force que nous mettons au service des personnes qui nous saisissent. Avec le Défenseur des Droits, c’est bien souvent la médiation qui ouvre le chemin des droits dans tous nos champs de compétences. Par exemple, notre intervention comme tiers indépendant qui permet de renouer le dialogue entre une Caisse de l’assurance maladie et une caisse de la branche famille pour rectifier les déclarations de ressources d’une personne ne bénéficiant plus de son allocation logement, c’est aussi ce cadre qui nous permet d’inventer une solution originale permettant de réparer l’erreur d’une mairie qui avait attribué à deux familles différentes la même concession funéraire. Il faut souvent faire preuve de créativité en la matière. C’est de la même façon que nous pouvons obtenir qu’un commissariat accepte de recevoir une plainte qu’il avait refusée, c’est aussi ainsi qu’on peut faire prendre conscience à un employeur que son offre d’emploi spécifiant que le candidat devait habiter à une demi-heure de son lieu de travail constitue une discrimination fondée sur le critère du lieu de résidence et faire en sorte qu’il la modifie. C’est encore et toujours la médiation du Défenseur des Droits qui permet de défendre le droit des enfants, et par exemple d’obtenir pour un collégien dyslexique un aménagement raisonnable pour l’épreuve du brevet. Vous voyez bien donc que cette question de la médiation traverse toutes les compétences de l’institution. Sur l’ensemble des litiges dont nous pouvons être saisis, nous cherchons toujours à savoir s’il est d’abord possible de les résoudre par la médiation. C’est ce que nous avons montré dans notre rapport sur les litiges entre les communes et les habitants : problèmes de scolarisation, de places de marché, d’associations sportives, d’urbanisme... Chaque fois qu’un litige apparaît entre un maire et un administré, il est pertinent d’envisager la médiation qui offre en fait un nouveau cadre au dialogue, et ce que ce n’est pas possible, nous disposons d’autres leviers d’action pour formuler des recommandations, pour accompagner l’usager au contentieux ou proposer de faire évoluer les politiques publiques et les pratiques administratives. Ce qui était également pour nous une évidence, ce n’était pas de fêter ces cinquante ans tous seuls entre nous, mais c’était bien de fêter ce cinquantenaire avec vous. En effet, la première différence avec 1973, c’est que nous ne sommes plus seuls dans le paysage de la médiation. Dans les ministères, les collectivités locales, dans les organismes de Sécurité sociale, dans les établissements, les agences, les grandes entreprises publiques, sont apparus au fil des ans de nombreux médiateurs dont la mission première est de résoudre les litiges rencontrés par les usagers de tel ou tel service public. Plusieurs institutions publiques se sont inspirées du modèle du Médiateur de la République et peuvent prendre appui sur cette modalité de résolution des litiges pour faire progresser l’accès aux droits, mais ça n’exclut pas une vigilance que nous devons exercer sur les conditions d’exercice de cette médiation. D’abord, des garanties d’indépendance pour le médiateur, des garanties d’accessibilité aussi pour l’usager. Vous savez qu’à l’heure de la dématérialisation, les services de médiation doivent rester accessibles par courrier, par téléphone et en présentiel, comme on dit maintenant. La préservation aussi des droits au recours contentieux et l’effectivité de la réponse institutionnelle. La grande famille des médiateurs au service des usagers des administrations est aujourd’hui riche de sa diversité de cadre juridique, dans les organisations internes et locales, de positionnement aussi et de modalités de saisine. Mais cette diversité des dispositifs existants aujourd’hui n’est pas un gage toujours de clarté et de lisibilité pour l’usager. Alors, comment pouvons-nous veiller ensemble, acteurs de la médiation, sur les conditions de lisibilité, de qualité, d’indépendance et d’effectivité de nos services ?
Je pense justement que c’est ensemble, ensemble car c’est précisément en combattant l’isolement dans lequel risque de se retrouver tout médiateur que nous pourrons le renforcer face à une administration par exemple qui souhaiterait réduire ses moyens de fonctionnement, qui cesserait de traiter avec diligence les litiges qui lui sont soumis, chercherait à intervenir pour contester son indépendance ou encore voudrait l’écarter avant le terme de son mandat. Et c’est cette vigilance solidaire quant au cadre de l’exercice de la médiation que je vous propose et c’est ce à quoi je souhaite contribuer aujourd’hui. Nous pouvons déjà compter sur le club dont je salue ici le président et les nombreux membres qui lie déjà depuis longtemps de nombreux médiateurs et auquel notre institution participe. Nous voyons aussi les médiateurs de différents secteurs s’organiser en associations et en regroupements. Demain, il y aura le conseil national de la médiation, qui sera principale tourné vers la médiation civile, et le Défenseur des Droits y sera représenté et actif, Daniel Agacinski y sera. Entretenons cet héritage commun du Médiateur de la République qui relie chaque médiateur public au Défenseur des Droits aujourd’hui car il partage un morceau de son champ de compétence et offre un appui chaque fois qu’un médiateur en aura besoin pour garantir son indépendance et son effectivité. Je vous propose pour cela de faire vivre des rencontres régulières entre médiateurs publics, auxquelles pourront participer tous ceux dont la médiation s’adresse aux usagers des services publics ou aux missions de services publics.
Nous pourrons y partager notre cadre juridique mais surtout sur le respect du droit des usagers par l’ensemble des administrations, et c’est pourquoi dès après ce colloque, je solliciterai l’ensemble des médiateurs de services publics pour que nous puissions porter ensemble nos préconisations communes sur l’amélioration de la relation entre usagers et administration. Je veux que nous disions ensemble aux administrations : la République a créé un Défenseur des Droits, vous vous êtes doté de médiateurs, maintenant, écoutez-les, ils ont des choses à vous dire. Et je veux insister sur ce point parce que la médiation ne se contente pas de résoudre des litiges individuels. Elle est orientée vers la résorption des causes qui engendrent ces situations, et la transformation du Médiateur de la République en Défenseur des Droits a encore accru la portée de cette ambition sur deux plans principaux : d’une part par l’ancrage dans le droit et dans les droits de notre pratique de la résolution des litiges. Il ne s’agit pas uniquement de corriger des dysfonctionnements mais de garantir en toutes circonstances le respect des droits de tous les usagers des services publics, et en toutes circonstances, cela veut dire même pour les personnes détenues, précaires, étrangères, les enfants, les personnes dépendantes. Toutes ces vulnérabilités sont autant de risques supplémentaires d’atteinte aux droits et c’est ce qui doit motiver l’attention particulière que nous leur portons. Ma conviction est que la médiation par l’écoute et le dialogue peut être un des leviers de la reconnaissance de ces vulnérabilités et conduire les administrations à porter une attention particulière à ces situations. D’autre part, en assumant la mission de promotion des droits et de l’égalité, notre mission ambitionne de tirer les leçons des difficultés rencontrées par les personnes qui nous saisissent pour faire progresser les droits dans notre pays. Clairement, ne nous saisissent pas toutes les personnes qui ont un problème avec l’administration, et dans cette optique, les recommandations pour faire évoluer les pratiques que nous formulons ne visent pas seulement à colmater les brèches ou résoudre des bugs mais à affermir les garanties des droits de chacun, droit au respect de la dignité des personnes, droit à l’égal accès aux services publics, droit au recours effectif et droit à l’erreur. Je le dis aux décideurs publics : c’est avec vous que nous travaillons en médiation au quotidien et à vous que nous nous adressons aujourd’hui avec ce colloque. La culture du dialogue au service des droits des usagers doit irriguer toutes les branches de l’administration, c’est pourquoi nous faisons savoir publiquement les conséquences lourdes de la dégradation des services publics du fait d’une dématérialisation exclusive et de la fermeture de nombreux guichets. Les usagers qui ne trouvent personne à qui parler se tourne alors vers le Défenseur des Droits dans l’espoir d’une médiation, mais dans certains cas, la réponse des institutions à nos saisines est encore trop irrégulière, parfois faute d’effectif, faute d’une organisation adéquate. Disant cela, je ne mets nullement en cause les agents publics qui font individuellement au quotidien un travail remarquable mais sont eux-mêmes trop souvent confrontés à des difficultés, à ces difficultés et à des limites. Je pense aux situations que nous avons rencontrées avec certaines subventions liées à la transition énergétique, je pense aussi au retard systématique que nous observons dans de nombreuses préfectures pour le traitement des demandes et des renouvellements de titres de séjour. Ces défaillances de certains services publics ont des conséquences concrètes et gravissimes sur les droits de leurs usagers : perte de l’emploi, perte de prestations familiales, perte de logement... Ce sont des familles entières dont la vie jusque-là pleinement insérée dans la société française basculent dans la précarité parce qu’une administration a failli à sa tâche. Lorsque de telles difficultés apparaissent, la médiation du Défenseur des Droits doit être très rapidement acceptée par l’administration pour réparer les ruptures des droits individuels et nos recommandations doivent être entendues par les pouvoirs publics. Je continuerai à me battre pour que les administrations garantissent un accès effectif à leurs services à l’ensemble de leurs usagers, et c’est encore loin d’être le cas partout. Et avant de conclure, je voudrais vous dire comment nous avons conçu cette demi-journée. C’est un anniversaire mais nous ne voulions pas être tournés seulement vers les cinquante dernières années. Ainsi, Pierre-Yves Baudot portera un regard rétrospectif sur plusieurs décennies d’évolution de la relation entre les usagers et les administrations, sur la place des droits en la matière et sur le rôle des médiateurs et sur le rôle qu’ils ont pu y jouer. C’est l’anniversaire de la médiation mais nous ne voulions pas rester entre médiateurs. Ainsi, nos tables rondes permettront la rencontre de différents acteurs de la médiation, des médiateurs, bien sûr, au sein des collectivités, de la Sécurité sociale, aussi au sein du Défenseur des Droits, mais aussi des responsables administratifs, une chercheur, un magistrat administratif, et, j’y tiens particulièrement, des usagers de services publics, je devrais dire d’ailleurs des usagères, qui ont bénéficié de la médiation pour être rétablies dans leurs droits, qui viendront avec leur expérience. La première table ronde aura pour thème la médiation, un levier d’amélioration de la relation usager/administration, et la deuxième : pour une médiation de confiance au service des usagers. Enfin, Didier-Roland Tabuteau conclura nos travaux, vice-président du Conseil d’Etat, qui a placé son mandat sous le signe des valeurs du service public et qui a œuvré tout au long de sa carrière pour le respect des droits. Je souhaite conclure en revenant sur cette notion d’indépendance, à laquelle je tiens, et notre institution y tient particulièrement. Vous pouvez toutes et tous compter sur mon indépendance en tant que Défenseure des droits, compter sur moi pour rappeler l’importance cardinale de cette vertu dans l’exercice de la médiation. Ce qui la rend possible, c’est à la fois un cadre juridique adapté, des moyens suffisants, des possibilités propres de communiquer librement, mais aussi des preuves régulières de la capacité du médiateur à résister aux différentes pressions qu’il peut subir. Et je le dis à chaque médiateur : revendiquez et démontrez votre indépendance dans les textes mais aussi dans les actes. Et je le dis aussi aux responsables administratifs : respectez l’indépendance de la médiation, faute de quoi, la confiance des usagers se dégradera encore. Je souhaite donc un excellent cinquantenaire à la médiation dans notre République et vous souhaite à toutes et à tous une excellente après-midi de travaux. Merci.

Conférence introductive – Pierre-Yves Baudot, professeur de sociologie à l'Université Paris-Dauphine

Bonjour à toutes et à tous.
Madame la Défenseure des droits, me voilà chargé donc d’une lourde mission, cinquante ans d’histoire de la médiation administrative du rapport à l’Etat en vingt minutes ! Donc, évidemment, j’ai reformulé le sujet, sinon, je n’allais pas m’en sortir. Je veux revenir ici sur l’origine de l’institution Médiateur de la République et sur les conditions de réussite et de félicitée de cette entreprise complexe qui est celle de réaliser la médiation. Je remercie Daniel Agacinski de l’invitation à venir ici présenter des travaux un petit peu anciens qui datent du début des années 2010, à l’époque où la médiation était assurée par le Médiateur de la République. On avait travaillé avec Anne Revillad et d’autres collègues sur le médiateur, l’institution centrale mais aussi les délégués territoriaux du médiateur de la République avant que ceux-ci viennent se fondre, pas complètement, mais viennent intégrer l’institution nouvellement créée en 2011 du Défenseur des Droits.
Le médiateur de la République a disparu en tant qu’institution mais pas la médiation administrative, qui est à la fois au cœur de l’action du Défenseur des Droits, l’un des principaux instruments sur lesquels repose cette intervention, mais qui est aussi diffusée très largement avec des problématiques de coordination, mais diffusée très largement aujourd’hui dans l’administration administrative de l’Etat et des collectivités locales. Je veux ici revenir très brièvement sur les logiques et les enjeux dont l’invention de la médiation administrative est le produit pour comprendre la position d’équilibriste qui est celle du médiateur ou de ceux qui réalisent de la médiation. Mais qui est aussi, parce qu’elle est une position tendue sur un fil, ce qui donne à cette institution son autonomie au-delà de son indépendance, ce qui lui donne son autonomie d’action et surtout sa capacité à résoudre un certain nombre de litiges individuels. Je voudrais donc revenir brièvement sur un moment très particulier qui est quasiment de l’archéologie ou de l’anthropologie tellement elle peut nous paraître éloignée, à nous qui vivons des formes de réformes de l’Etat assez différentes aujourd’hui, le moment de 1973-1979, moment qui va donner naissance à un certain nombre d’institutions, le Médiateur de la République, mais aussi la Commission d’accès aux documents administratifs par la loi du 17 juillet 1978 ou encore la création de la CNIL par la loi du 6 janvier 78. On moment particulier, on pourrait aussi introduire, dans cette période, la création de la loi sur les Archives qui intéresse beaucoup les chercheurs en 79, moment un peu particulier, un peu étrange, qui est à l’origine de l’émergence de ce type d’institution. Pourquoi cette période-là est un petit peu étrange dans les cycles de réforme de l’Etat que l’Etat connaît depuis sa création, depuis en tout cas au moins le XIXe siècle, depuis la création des bureaucraties administratives rationnalisées au tournant du XIXe et du XXe siècle ? En 73, avec l’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing, on est en phase d’échec de tentative de rationalisation des choix de l’Etat qui voulait comparer des coûts avec des efficacités mais ces RCB échouent et les réformateurs de l’Etat se retrouvent démunis. Dans les années 73, la moindre disponibilité politique des politiques de la hache également, des politiques drastiques de couper en fait dans le mammouth administratif et de réduire brutalement le nombre de fonctionnaires, et au début des années 70, ces deux outils, RCB et politique de la hache sont nettement moins disponibles. Emergent dans le même temps un certain nombre de réflexions sur les droits des usagers, sur le fait que les usagers de l’administration ont des droits, et un certain nombre de conseillers d’Etat réformateurs vont jouer un rôle important en réflexion en droit administratif sur la reconnaissance des droits dont les usagers de l’administration sont porteurs. Et il va se développer une logique de consommation, et à partir du droit des consommateurs, un certain nombre d’organisations, l’INC-Que Choisir, la création de ces organisations va essayer d’implanter face à l’administration la logique que les consommateurs de l’administration sont aussi en droit d’attendre un service de qualité. C’est notamment à partir des relations avec EDF que cette logique de consommation de services publics va prendre naissance. Un dernier élément crucial dans cette affaire-là, c’est l’émergence des technologies informatiques et des premiers micro-ordinateurs et des premières formes de numérisation, on en est encore très loin, mais de numérisation des services publics, le premier considéré étant la distribution des cartes grises en préfecture, ce qui est d’ailleurs toujours un problème, et donc, dès les années 70, on commence à s’intéresser au problème que pose cette question d’accès aux cartes grises, première tâche qui va être mécanographiée puis informatisée, et un certain nombre de chercheurs vont commencer à s’intéresser à la question des rapports à l’Etat à partir de cette question de l’informatique administrative. Cette thématique de la relation aux usagers, elle est aussi en plein développement aux Etats-Unis et en Angleterre et dans un certain nombre de pays nordiques, rapport à l’institution policière et avec les guichets de l’aide sociale, du wellfare, et un certain nombre de travaux extrêmement importants vont voir le jour, notamment le travail séminal de quelqu’un qui s’appelle Michael Lipsky dans un ouvrage sous-titré : les dilemmes des individus dans les services publics, traduit sous forme de réformes à partir du milieu des années 90 en France où l’attention des réformateurs s’est portée sur les guichets. Pourquoi ? Et pourquoi la relation entre l’usager et l’administration au guichet est-elle importante ? Au moins trois raisons. D’abord, le guichet est le lieu concret d’application des décisions politiques. C’est de cette façon, c’est à travers les guichets que les transformations du gouvernement de la pauvreté, des comportements économiques, de la sécurité routière, des politiques de l’emploi et ainsi de suite, c’est au guichet que se matérialise ce changement, cette application des décisions politiques. Le guichet est aussi le lieu, c’est la formule qui appartient à cet ouvrage, c’est le lieu dans lequel s’exerce le pouvoir discrétionnaire des petits fonctionnaires qui peuvent modifier les décisions de politiques publiques pour les rendre acceptables, justes et être conformes à leur organisation. Ces petits fonctionnaires ne sont pas uniquement des exécutants mais des policy makers, c’est-à-dire des producteurs de politiques publiques. Troisième raison de s’intéresser à cette question, c’est que, pour les individus, l’Etat se matérialise, se concrétise quasiment exclusivement par la figure du « petit fonctionnaire » qui est la traduction médiocre de « street level », c’est-à-dire le fonctionnaire de la CAF, des impôts, le fonctionnaire, le douanier... Aujourd’hui, c’est FranceConnect, Ameli, Parcoursup...
Ces incarnations profanes de l’Etat, et Doctolib par exemple peut être considéré comme une forme de service public alors que ça n’en est pas un, ces expériences-là de l’Etat forgent une représentation de ce qu’est l’Etat et, en fonction de la satisfaction, de la félicité de cette relation à l’Etat, se fabrique une image de la capacité de l’Etat à répondre aux problèmes de ces usagers, à prendre en considération leurs demandes et à leur apporter éventuellement satisfaction. La relation de guichet est le lieu dans lequel se fabriquent des images, des représentations, des croyances, mais aussi des opinions politiques et des bulletins de vote puisqu’il est possible de montrer un lien très net entre la qualité de service public et l’orientation des bulletins qui sont déposés dans les urnes au moment des élections. C’est-à-dire que la médiation administrative est à la fois un outil de relégitimation de l’Etat, faire en sorte que la relation à l’administration soit médiée, c’est faire en sorte qu’elle soit plus efficace et plus satisfaisante pour les différentes parties, donc c’est contribuer à relégitimer l’Etat, mais aussi améliorer la conformité aux décisions politiques des politiques mises en œuvre dans les guichets. Voilà deux objectifs : relégitimer l’Etat et améliorer la conformité des politiques publiques aux décisions politiques, voilà deux objectifs extrêmement ambitieux que porte le Médiateur de la République créé en 73.
Je voudrais fonctionner très rapidement en deux temps, d’abord revenir dans un premier temps sur la façon dont la médiation administrative était, dans les années 70, une façon de réformer l’Etat, je passerai assez vite là-dessus pour m’intéresser davantage ensuite à la façon dont les médiateurs arrivent à tenir leur position d’équilibristes entre différentes postures qui pourraient être plus facile les leur. Dans un premier temps, comment la médiation administrative peut-elle réformer l’Etat ? Ça se voyait dans la structure même de ce que devait être le Médiateur de la République, car le texte prévoyait que le Médiateur ne soit surtout pas une administration, il ne fallait pas que l’administration qui réforme l’administration soit une administration elle-même, donc le texte prévoyait un médiateur et quelques collaborateurs et envisageait des concours extérieurs pour effectuer un certain nombre d’études, et les premiers rapports annuels du médiateur se félicitent de ne pas avoir recréé une administration.
Il est écrit noir sur blanc que leur contribution a évité la création d’une cellule permanente d’administration. Mais le nombre de saisines aujourd’hui, leur doublement annuel à partir de la création va obliger l’administration du Médiateur de la République à grossir, à ce que le médiateur se constitue un cabinet puis une série de personnes susceptibles de traiter les demandes. L’objectif initial des réformateurs est la traduction de la formule : « seul le pouvoir peut arrêter le pouvoir », seule l’administration peut arrêter l’administration, donc empêcher l’extension de l’emprise administrative sur les libertés individuelles, c’était l’ambition initiale des créateurs de cette organisation, et pour cela, l’objectif était d’opposer à l’administration non pas le marché, non pas des normes internationales, ou non pas l’emprise du politique, mais d’y opposer l’administration elle-même. L’idée de ceux qui ont créé cette institution était donc d’opposer l’administration à l’administration, de faire en sorte que ce soit des administratifs, des fonctionnaires, des hauts fonctionnaires ou des petits fonctionnaires qui s’opposent à l’emprise croissante de la mise en administration de l’Etat.
Cette hypothèse initiale est celle qui va être concrétiser par le Médiateur de la République tel qu’il émerge en 73 et tel qu’il va se développer au moins jusqu’à son rapprochement avec le Défenseur des Droits. Cette position très particulière du Médiateur en équilibriste est celle sur laquelle je voudrais concentrer mon propos. Ce qui est très intéressant, quand on regarde fonctionner des médiateurs de la République, quand on les regarde, quand on les observe en train de travailler dans leur permanence et à suivre leurs journées et les différents cas auxquels ils sont soumis ou quand on observait le travail de l’institution centrale, on s’aperçoit que ces médiateurs, les délégués territoriaux et l’administration centrale, je prends l’exemple d’une permanence il y a une dizaine d’années, le bureau du médiateur était entièrement vide, un ordinateur pas allumé, dans les étagères, aucun ouvrage de droit : le seul outil présent dans le bureau du médiateur était un immense classeur dans lequel il avait rangé les cartes de visites de toutes les personnes qu’il avait rencontrées dans l’administration depuis qu’il occupait ce poste, et c’était son outil de travail principal. Quand le litige lui était soumis et quand il avait évalué en mêlant à la fois une lecture juridique de la situation, fondée sur sa connaissance familière du droit administratif, mais aussi sur du bon sens pratique de la procédure administrative, ce que les Américains ont constitutionnalisé dans le deuxième amendement de la constitution américaine, le droit à avoir une procédure conforme, à partir de ces compétences complètement intériorisées, le délégué du médiateur était en mesure de savoir si, effectivement, il y avait matière à litige, à médiation, et donc d’aller regarder dans son répertoire la bonne personne à solliciter et de pouvoir l’appeler sur une ligne directe, en l’appelant par son prénom et en lui rappelant la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Cette capacité à se faire et à entretenir des contacts ne signifie pas la disparition ou l’absence du droit dans leur travail, c’est l’outil qui va permettre de faire valoir les droits auprès de l’administration. Cet ancrage très fort comme capacité d’action, c’est-à-dire le fait que la capacité d’action des médiateurs soit liée à leur ancrage administratif va amener le médiateur dès 73 à renoncer à ses pouvoirs de sanction, notamment la publication d’un rapport, il y a le rapport annuel, mais il y avait aussi la possibilité dans le texte initial de publier des rapports circonstanciés dans le JO sur les défaillances de telle ou telle administration, et le médiateur renonce dès le premier rapport à l’usage de ce pouvoir de sanction et s’oppose à être un « censeur sourcilleux et hostile de l’administration ». Il veut être en relation constante et claire avec l’administration. Il est écrit en 76 que le médiateur français n’est pas le « censeur de l’administration ou le défenseur exclusif du citoyen ». Cette orientation, ce renoncement à ce pouvoir de sanction va se traduire par l’émergence, et Claire Hédon en parlait à l’instant, d’une nouvelle forme ou d’un nouveau type de pouvoir, nettement moins un pouvoir de censure ou de stigmatisation ou de shaming d’une administration qui ne serait pas au niveau, ça va être de pouvoir proposer des réformes générales. Ce qui est intéressant, c’est que cette possibilité de proposer des réformes générales n’est pas prévue dans le texte de 73 et qu’elle va être construite petit à petit, au fur et à mesure, pendant une quinzaine d’années. Le médiateur va progressivement faire émerger l’idée qu’il a des pouvoirs de proposition et la réforme de 2011 va consacrer cette disposition-là, mais qui est réellement construite chemin faisant, pour reprendre cette métaphore des chemins.
Ce qui fait que, quand on analysait, c’est comme ça qu’on l’avait traité dans le rapport qu’on avait rendu en 2012, sur le Médiateur de la République, on avait montré que ce capital administratif que les délégués territoriaux du médiateur ou que le Médiateur de la République lui-même va mettre à disposition des usagers ne s’oppose pas du tout à l’idée qu’il s’agit de défendre les droits des administrés contre l’administration, c’est la condition de possibilité de défense des droits. On peut tout à fait comprendre le Médiateur de la République comme l’extension d’un réseau d’interconnaissances administratives à un ensemble a priori indéfini d’administrés, c’est-à-dire que chaque délégué territorial du Médiateur, le Médiateur de la République va donner à chaque administré le crédit qui est le crédit de l’institution mais qui peut être aussi le crédit de chaque délégué du Médiateur de la République, le crédit donc individualisé et le crédit collectif vont être mis au service des usagers pour leur permettre de faire valoir leur position auprès d’une administration qui, sans ce capital administratif, ne peut ou ne va pas les écouter. C’est ce qui va permettre notamment, c’est ce capital collectif et individualisé qui va permettre aux délégués du Médiateur de la République ou au Médiateur de la République de contourner le guichet pour accéder à un autre niveau, à un autre interlocuteur de l’administration qui sera peut-être plus sensible aux arguments qui, dès lors qu’ils sont oints par le Médiateur de la République, qui ne sont plus sur une position personnelle mais institutionnelle. La mise à disposition aux administrés de ce capital administratif va leur permettre de se faire entendre et d’obtenir satisfaction. Il y a un revers à cette modalité d’action, c’est pour ça qu’on parle du Médiateur de la République ou du Défenseur des Droits comme d’un équilibriste car ce qui va être la clé du succès de la médiation, c’est la préservation de la réputation du Médiateur de la République ou du Défenseur des Droits. Et cela se voit de deux façons. Un, dans la sélection des personnes appelées à servir dans cette institution, et deux, dans la sélection des différents cas. En 2010, je vais commencer par la sélection des différents cas, le Médiateur de la République affichait un taux de réussite de ses médiations de 74% pour le siège et de 83,3% pour les délégués. On peut dire que toute demande de médiation était forcément, ou presque, couronnée de succès. Ce taux cache un processus de sélection des demandes parce que seule la moitié sont des demandes de médiation, l’autre sont des demandes d’information et d’orientation. Et les 94% de médiations réussies sont 94% des médiations tentées et pas 94% des médiations pour lesquelles le Médiateur avait été saisi. Il y avait donc un travail de filtrage par l’organisation qui tient compte de la solidité, de la densité du cas, mais aussi de la capacité du Médiateur de la République à obtenir satisfaction. Ce travail de sélection, que l’on appelle un travail de s’élection par l’effectivité, c’est qu’on va rendre éligibles des cas dont on sait qu’ils pourraient être couronnés de succès, ce qui crédibilise l’institution, elle a aussi pour effet évidemment d’amener à une sélection drastique des cas pour éviter que des problèmes de cas mal défendus ou de cas indéfendables viennent perturber la satisfaction du cas.
L’autre modalité qui va permettre d’entretenir et qui fait le succès de cette institution, c’est la sélection des délégués du médiateur et des personnels de l’institution qui, à l’époque où on avait travaillé, les choses ont changé depuis, mais je n’ai pas travaillé plus récemment sur cette question-là, mais à l’époque, les médiateurs étaient souvent des jeunes retraités de la fonction publique, et plus tard, ils seront toujours retraités mais peut-être un peu moins jeunes, et ces jeunes retraités venaient mettre au service du Médiateur de la République leur capital personnel, c’est-à-dire à la fois leur réseau tissé au long d’une carrière effectuée dans l’administration, mais aussi leurs connaissances pratiques du fonctionnement administratif, d’éventuels biais que les procédures ou que les surcharges pouvaient produire sur le fonctionnement de l’administration. Donc, c’est ce capital-là que les jeunes retraités venaient mettre à disposition. Ce qui nous avait aussi marqués dans le profil de ces délégués territoriaux du Médiateur de la République, c’est que, au cours de leur carrière, et c’était un trait caractéristique quasiment de tous les enquêtés que nous avions suivis, ces délégués territoriaux avaient, d’abord, une carrière généralement avec une mobilité ascendante assez forte, c’est-à-dire qu’ils étaient partis d’une position certaine et étaient arrivés beaucoup plus haut que là où ils étaient entrés mais avaient expérimenté une dissonance entre l’ordre du droit et l’ordre de leur carrière, soit de façon positive, soit de façon négative (ils avaient subi des éléments qui avaient ralenti, freiné, parfois cassé leur carrière), ils avaient compris qu’il pouvait y avoir une dissonance entre le droit tel qu’il s’écrivait et tel qu’il se pratiquait, ce qui faisait que leur investissement dans le Médiateur de la République était une volonté de refaire fonctionner le droit tel qu’il devrait être mis en place. Ce qui fait que cette position très particulière des délégués territoriaux du médiateur, cette trajectoire très particulière ne les amenait pas du tout à vouloir défendre a priori tous les cas, ils ne voulaient pas être des défenseurs de tous les citoyens, ils étaient sensibles à vérifier effectivement qu’il y avait un problème juridique dans l’histoire qui leur était racontée par les individus, histoire parfois très difficile à démêler, mais ils étaient sensibles à identifier très précisément le point juridique sur lequel ils pouvaient intervenir ou le dysfonctionnement organisationnel, mais ce qui expliquait aussi qu’ils étaient très fortement tentés et très volontaires dans leur volonté de remettre l’administration dans le sens du droit et de lui refaire entendre le fait que les choses ne s’étaient pas passées exactement comme elles l’auraient dû. C’est cette position en porte-à-faux, cette carrière dissonante qui expliquait la façon dont ces médiateurs arrivaient et arrivent à tenir ce rôle très particulier qui est celui d’un équilibriste. Pour conclure, parce qu’il est temps, je crois, je voudrais monter un petit peu en généralité et revenir à des grands auteurs de sciences politiques, et je voudrais revenir de deux façons à Max Weber que vous connaissez sans doute, peut-être, grand sociologue allemand auteur d’Economie et Société en 1920 et de cette définition que tous citent, y compris certains ministres de l’Intérieur, sans forcément avoir compris les enjeux d’une telle définition, notamment donc cette fameuse définition de l’Etat comme entreprise politique revendiquant dans l’application des règlements le monopole de la violence physique légitime. Max Weber avait inventé, dans Economie et Société, une définition des dix critères de ce qu’était un bon bureaucrate, un idéal-type de bureaucratie. Il l’avait définie par sa coupure avec un certain nombre d’autres pouvoirs. Est une bureaucratie quelque chose qui est une organisation sociale coupée des logiques marchandes, religieuses, de la tradition, du charisme, une administration fonctionne sur des logiques entièrement spécifiques et autonomes. Cette première définition de l’autonomie comme place forte, comme tour d’ivoire, le médiateur de la République nous prouve, et le Défenseur des Droits, nous prouvent que cela peut fonctionner autrement et qu’on peut avoir un Etat d’une autre nature, que l’on pourrait considérer comme socialisé, et que c’est surtout cet Etat qui est mis en place, c’est-à-dire qui ne se situe plus à distance et au-dessus des individus mais qui est mêlé au fonctionnement du monde social et en interaction directe avec l’ensemble des composantes, des acteurs, des groupements, des intérêts qui composent ce monde social, ce qui fait que la défense des droits ne passe plus forcément aujourd’hui par l’émergence d’une posture d’extériorité par rapport à ce monde social, mais par la capacité à réguler au plus près de la rue, des individus, des vulnérabilités, par la capacité à réguler les mondes locaux de la défense des droits, c’est-à-dire l’ensemble des acteurs et des organisations qui, localement, interviennent dans la fabrique de l’individu comme étant un sujet de droit.
Et puis deuxième relecture de Max Weber à l’aide de la médiation administrative, c’est que Max Weber a donc écrit que l’Etat est celui qui dispose dans l’application du règlement du monopole de la violence légitime, ce qui ne veut pas dire que les forces de l’ordre ont le droit de taper n’importe qui, n’importe comment, à n’importe quel moment. Evidemment. Qu’a-t-il voulu dire ? A mon avis, et c’était celui de la grande spécialiste française de Max Weber qui nous a quittés récemment, qui était de dire : Le monopole de la violence physique légitime était ce qui permettait à un individu, pour faire valoir ses droits, de pouvoir demander l’usage de ce monopole de la violence physique légitime, c’est-à-dire l’usage de la force publique, contre les autres institutions sociales, la famille, la religion, le marché, le château, l’aristocratie, la noblesse, la domination territoriale, c’est-à-dire les autres formes de domination qui empêchent l’individu un accès effectif à ses droits. C’est une lecture totalement différente de Max Weber qui vient dire que l’Etat est un garant, et le seul garant possible des droits reconnus aux individus. Merci beaucoup.

Table-ronde 1 « La médiation, un levier d’amélioration de la relation usager-administration ? »

Vincent Lewandowski, Chef de pôle Action territoriale, formation, accès des jeunes aux droits de la direction Promotion de l'égalité et de l'accès aux droits au Défenseur des droits

Bonjour à toutes et à tous. Je suis Vincent Lewandowski, je suis le responsable du pôle Appui territorial et formation, accès des jeunes aux droits, l’un des pôles qui a été chargé d’organiser ce temps d’échange autour de la médiation dans les services publics. Il me revient d’animer cette première table ronde de l’après-midi dont l’objet est très concret, qui est de revenir, la Défenseure des droits l’a dit tout à l’heure, sur les apports de la médiation au-delà des situations individuelles afin d’améliorer la relation à l’usager. Alors, dans un premier temps, je veux saisir l’occasion pour remercier chacune et chacun de nos intervenants et je vais tout d’abord remercier Mme Olfa Selim, qui va dans quelques instants revenir sur son expérience d’usagère, sur son expérience de bénéficiaire d’un service public. J’appelle également, d’ailleurs, Mme Josy Embarek Mirabello, qui est dans la salle et que j’appelle à nous rejoindre également pour nous faire part de son expérience d’usagère et de bénéficiaire... Par ici Madame, s’il vous plaît... De bénéficiaire d’une médiation qui a été conduite au sein des services du Défenseur des Droits. Et puis je souhaite également remercier M. Leyrit, préfet honoraire. Vous êtes également médiateur du département de Charentes-Maritimes et président de l’Association des Médiateurs de Collectivités Territoriales. Je remercie également M. Frédéric Iannucci d’être présent avec nous, administrateur général des finances publiques mais également chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal au sein de la Direction générale des finances publiques. Enfin, je remercie Mme Anne-Claire Grandjean, vous êtes déléguée du Défenseur des Droits à Roubaix, animatrice mais également maître de conférences en droit public à l’université catholique de Lille. Avant de lancer cette table ronde, je vous propose de visionner une très courte vidéo sur les difficultés qui peuvent être rencontrées par les usagers des services publics et sur la façon dont le Défenseur des Droits peut contribuer afin de résoudre ces différentes difficultés.

(vidéo)

- Vincent Lewandowski : Pour commencer cette table ronde, je vais me tourner vers vous, Mme Selim, ce qui me permet de faire le lien avec la courte vidéo que nous venons de visionner. Voulez-vous nous raconter votre expérience d’usagère qui a fait l’objet d’une décision administrative de refus, vous avez saisi le Défenseur des Droits, comment la médiation a-t-elle pu rétablir votre droit ?
- Olfa Selim, usagère de la médiation du Défenseur des droits : Je vous remercie de m’avoir cédé la parole. Merci à toutes et à tous. Je suis honorée d’être ici parce qu’on m’a contactée, c’est vrai que, l’été dernier, j’avais fait appel au Défenseur des Droits. J’habite le 19e arrondissement, je suis maman de trois enfants, et le printemps dernier, deux de mes filles ont reçu leur courrier d’affectation pour leurs écoles, donc une allait intégrer la maternelle et l’autre l’école élémentaire. Et, donc, comme c’est sectorisé, c’est vrai qu’on a eu des établissements qui étaient derrière la maison, à part que, pour y accéder, dans le 19e, il fallait prendre beaucoup les escaliers, et comme c’est une logistique, il faut déposer les enfants le matin, aller les chercher en fin de journée, j’ai donc formulé deux demandes de dérogation pour motif handicap et raisons médicales. C’est vrai que ça ne se voit pas comme ça, mais je suis une personne à mobilité réduite, je souffre d’une maladie chronique et j’ai du mal en fait à emprunter les escaliers. Je tangue, je perds l’équilibre dès que je n’ai pas une rampe d’accès. Et, donc, voilà, l’idée, c’était que je dépose mes filles le matin et que j’aille les récupérer en fin de journée. Ma demande, c’était qu’elles soient scolarisées dans deux établissements côte à côte et sur un terrain assez plat pour qu’il n’y ait pas d’obstacle et, vraiment, à côté de l’arrêt du bus que j’emprunte pour aller travailler. Pour le coup, j’ai reçu malheureusement un refus. Je pensais qu’il y avait peut-être eu une incompréhension. Du coup, j’ai rajouté un courrier de l’assistante sociale qui connaît les difficultés que je rencontre au quotidien et qui appuie ma demande. Donc, je fais un recours pour mes deux filles, et là encore, j’ai un retour négatif, cette fois-ci par mail, et ça coïncidait avec le dernier jour de l’école, donc j’étais vraiment dans une situation de désarroi parce que je ne me voyais pas... Je ne voyais pas comment je pouvais gérer la rentrée sereinement. Et, pour le coup, je ne savais pas trop quoi faire, donc j’ai essayé de contacter les directeurs, mais ils étaient partis en congé. Je me suis rendue au Centre social rue Meynadier où une assistante sociale m’a reçue mais m’a dit qu’elle ne pouvait rien faire à son niveau après deux refus. J’ai insisté, et elle m’a dit que, peut-être, ce serait bien que j’en discute avec une juriste du même centre social. Donc, c’est ce que j’ai fait, et en lui montrant les différentes réponses obtenues, elle m’a dit : malheureusement, il n’y a aucun texte de loi. Aujourd’hui, c’est chaque mairie qui décide de l’acceptation ou non des demandes de dérogation et, pour le coup, quand j’étais avec elle dans le bureau, je lui ai dit : alors, on s’arrête à ce stade ? Et elle m’avait dit : ah, il y a peut-être une solution, le Défenseur des Droits. J’ai dit : je ne connais pas. Elle m’a dit : je vais vous donner leurs coordonnées. Je lui ai dit : est-ce que vous permettez que je les appelle, tant que je suis avec vous, et je leur dis que c’est vous qui m’avez dit de les appeler ? Il y avait un créneau de disponible, c’était pas très loin, j’étais véhiculée ce jour-là. Coup de chance. C’est M. Noël de Saint-Pulgent qui m’a reçue, un délégué du défenseur. Il me reçoit, m’écoute et me rassure : je comprends votre cause et je vais vous défendre. Je lui ai dit merci, car jusqu’à maintenant, toutes les portes étaient fermées. Mais il m’a conseillé, en parallèle de ses démarches, de contacter aussi le médiateur de Paris pour pousser davantage mon dossier. Donc, c’est ce que j’ai fait.
Du coup, un mois après, le Médiateur de Paris, donc, apparemment, ils ont une salle à la mairie du 19e, donc dès que la dame m’ouvre la porte, elle me demande quel est l’objet de ce rendez-vous, je lui explique que c’est par rapport à un refus de demande de dérogation scolaire pour mes deux filles, et là, elle me dit : excusez-moi Madame, je vous interromps, on ne peut pas faire de médiation contre la mairie du 19e. Donc, du coup, j’ai dit... En fait, elle m’a dit : je vous invite à chercher un autre moyen. Bon. J’étais vraiment très déçue parce que, je ne sais pas, je comptais beaucoup sur la médiation de Paris, et ce n’était pas du tout le même accueil que j’ai reçu par rapport au Défenseur des Droits où on m’a au moins écoutée. Et, pour le coup, après, M. Noël de Saint-Pulgent m’appelle et il me dit qu’il a réussi à avoir le maire en personne, et que, pour le coup, une de mes demandes de dérogation a été acceptée et pas l’autre.
Donc, c’était déjà quand même un soulagement parce qu’elle n’était vraiment pas accessible, la maternelle. Et c’est vrai que j’avais beaucoup souffert, surtout parce que celle qui passe à l’élémentaire, au CP, était déjà à cette maternelle et j’avais vraiment galéré l’année dernière. Donc, voilà, je trouve que le combat continue parce que, du coup, je vais refaire quand même une demande de dérogation cette année. Ça ne va pas être gagné, comme ça a été refusé la première fois, ça va être refusé la deuxième fois, mais voilà, j’essaye de demander quand même conseil aux différents directeurs, etc. Et voilà, du coup... Mais au moins, ça a le mérite d’exister et surtout... Parce que je vous avoue que, en termes de logistique, déposer mes filles le matin à 8h20, et après, aller à mon lieu de travail, ce n’est pas chose facile, et les récupérer en fin de journée aussi. Mais voilà, du coup, je voulais juste partager avec vous mon expérience. Merci.
- Vincent Lewandowski : Pour la prochaine, on va essayer de voir avec M. Saint-Pulgent comment on peut vous accompagner, ça va sans dire. Merci pour cette première expérience qui décrit très bien comment la médiation peut intervenir pour améliorer, pour vous rétablir dans votre droit. Là, on va monter en généralité avec vous, Mme Josy Embarek Mirabello, parce que vous allez revenir sur une difficulté que vous avez pu rencontrer, mais je crois aussi savoir que vous intervenez pour accompagner des usagers pour saisir le Défenseur des Droits, je vous donne la parole pour à peu près cinq minutes si ça vous convient.
- Josy Embarek Mirabello, usagère de la médiation du Défenseur des droits : Bonjour. J’ai eu affaire à plusieurs reprises au Défenseur des Droits pour des situations inextricables, tant pour moi-même que pour d’autres personnes que j’accompagne. J’aide beaucoup de personnes dans mon quartier, dans mon immeuble. Je vais vous présenter d’abord le cas d’une personne que j’accompagne, et ensuite le mien. Le premier, Youssaf, est un Monsieur inscrit à Pôle Emploi qui avait toujours rempli, remis ses documents à temps. Il se faisait enregistrer au 3949 par une de ses amies parce que ce n’est pas évident dans la mesure où on ne maîtrise pas la langue. En janvier 2022... Il devait toucher environ 400 euros d’indemnités de Pôle Emploi. En janvier 2022, en deux temps, Pôle Emploi lui réclame environ 11 000 euros de trop-perçu. Donc, échange de courriers, de mails, etc., pour demander des justificatifs. Impossible. C’était bloqué. Excusez-moi, j’ai pris des notes... Soi-disant, ça, on l’a su après : il aurait eu un emploi sans l’avoir déclaré. Je demande des justificatifs, je demande l’employeur pour lequel il aurait travaillé. Pas de réponse. J’ai quarante fichiers sur mon ordinateur correspondant à des échanges entre Pôle Emploi et moi-même et même avec ce Monsieur, pour lequel j’ai accès à sa boîte mail, c’est-à-dire que j’écris des messages à sa place, j’ai accès à son compte, à ses comptes, etc.
Donc, j’ai fini par, après avoir eu un tas de réponses à côté de la plaque, demander à rencontrer un responsable de Pôle Emploi, et ça a été extrêmement difficile, j’ai dû passer par plusieurs états, jusqu’à me fâcher, et j’ai fini par avoir un rendez-vous avec ce Monsieur. Je vous passe les détails. On lui demande de constituer un dossier, etc. Et puis rien. A nouveau, des relances, on lui demande de rembourser presque 500 euros par mois. Alors, ne sachant plus quoi faire, je me suis adressée à M. de Saint-Pulgent, un vrai bonheur ! Il est vraiment bien tombé. Il commence à me connaître, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il m’a demandé de venir ici ! Voilà, tout a été résolu. Il faut quand même souligner le mépris de Pôle Emploi, c’est-à-dire que Youssaf n’a jamais reçu quelque document que ce soit disant que son dossier était clos, qu’on ne lui réclamait plus d’argent. Et je trouve que c’est très méprisant de la part de cette institution.
Je pense que j’ai... J’espère avoir été claire sur le dossier de ce Monsieur. Quant à moi, en septembre 2020, en rentrant de vacances, je reçois une amende pour un dépassement de vitesse et j’étais furieuse parce que je savais très bien que je n’avais pas pu faire de dépassement de vitesse, et plutôt que de contester et d’avoir des tas de soucis, je fais mon chèque de 90 euros que j’envoie au service des amendes. En novembre, un voisin me demande de faire un courrier, puisque je suis aussi écrivain public, parce qu’il avait reçu une amende majorée sans avoir reçu l’amende initiale, et je réalise que mon chèque n’a pas été encaissé. Je m’adresse au service des amendes. Il y a eu un échange de courriers incroyable, que des réactions qui n’avaient... Des réponses ou des propos qui n’étaient pas en lien avec mes demandes, avec ma demande. Je finis par envoyer un chèque de 90 euros dans une lettre recommandée dans laquelle j’explique tout, je reprends tous les détails des échanges. Ce chèque m’a été renvoyé. Finalement, le 4 janvier, je réalise que mon chèque a été encaissé, il est débité de mon compte. Je me dis : il a dû être perdu, ça m’est déjà arrivé, dans les locaux, et un beau jour, je reçois une amende majorée, et d’amende majorée en amende majorée, je me retrouve avec une somme assez importante. Je réécris des courriers en nombre, jusqu’au jour où je me rends compte que cette somme m’a été déduite de ma retraite de l’Education nationale, qui est de 900 euros, et ils n’ont pas cherché à savoir si j’avais de quoi vivre. Ça, ce n’est même pas la peine. Devant tant d’obstination... Non, pas d’obstination... Moi, j’étais obstinée, mais voilà... J’ai rencontré M. de Saint-Pulgent, rue Compan, dans le 19e, et l’affaire a été résolue. Il faut dire que j’ai eu aussi un problème avec ma banque qui n’a pas voulu reconnaître... Parce que je ne vous ai pas dit que le chèque a été détourné, falsifié et encaissé par une tierce personne. Ma banque n’a pas voulu le reconnaître alors que c’était évident, je me suis battue avec ma banque, j’ai été remboursée par ma banque et le service des amendes m’a fait un remboursement.
Voilà. Alors, simplement, ce que je dis, c’est que chaque fois que je me suis adressée à lui, il était horrifié par les situations que je lui présentais. Là, j’ai donné deux exemples mais j’en ai plusieurs. Et là, le point d’accès aux droits où se tient la permanence du délégué du Défenseur des Droits est indispensable à notre société, de plus en plus connectée et de plus en plus de difficulté à joindre pour se faire entendre et faire valoir ses droits, surtout lorsqu’il y a une barrière de la langue. Les gens dont je m’occupe, pour la plupart, ne maîtrisent pas ou maîtrisent mal le français ou alors, ils n’ont pas les connaissances suffisantes pour se défendre.
- Vincent Lewandowski : Merci beaucoup, Madame Josy Embarek Mirabello.
Vous avez décrit avec des mots très simples la situation kafkaïenne dans laquelle peuvent se retrouver un certain nombre d’usagers et comment le Défenseur des Droits constitue une présence physique pour écouter les gens, à un moment où, de plus en plus, la présence physique des services publics tend à reculer. C’est maintenant un autre regard que je me propose d’aborder avec vous maintenant qui est le regard d’un « praticien » de la médiation au quotidien, Christian Leyrit, vous êtes, en tant que président de l’Association des Médiateurs de Collectivités Territoriales et médiateur vous-même en Charentes-Maritimes, vous êtes amené à vivre vous-même ces situations. Une question très simple : en quoi la médiation peut, lorsqu’elle est actionnée au niveau des collectivités territoriales, constituer un levier d’amélioration de l’accès aux droits pour les usagers ?
- Christian Leyrit, président du conseil d’administration de l’Association des Médiateurs de Collectivités Territoriales : Merci beaucoup. D’abord, je voudrais féliciter nos deux intervenantes pour leur témoignage. Je dois dire qu’elles ne sont pas tombées sur un mauvais délégué du Défenseur des Droits, le connaissant... Il n’y en a pas de mauvais, mais c’est quelqu’un que je connais particulièrement et qui a sans doute une capacité d’intervention assez importante.
Je dois dire qu’après un peu plus de quarante ou quarante-cinq ans d’activité dans des services de l’Etat, en administration centrale ou sur le terrain, je dois dire que j’ai été extrêmement impressionné lorsque je suis devenu médiateur de la Charentes-Maritimes en 2018 par le nombre important de personnes en grande difficulté, en précarité sociale, physique, psychologique, financière... Le département est principalement en charge des politiques sociales, de solidarité, de handicap et autres, et donc, évidemment que les personnes que je rencontre sont souvent dans ces situations. Et ce qui m’a frappé, ce qui vient d’être dit également, ce qui est frappant, c’est que, dans cette société de plus en plus dématérialisée et dépersonnalisée, j’observe que les personnes ont de plus en plus de difficultés à exposer leurs problèmes à une personne physique, notamment évidemment les personnes les plus vulnérables et les plus défavorisées, elles ont de plus en plus de difficultés à être écoutées, sinon entendues.
Et je crois que la nomination d’un médiateur est importante pour que chaque situation, d’une part que les gens soient écoutés, et que chaque demande ait une réponse adaptée, que toute cause de litige soit résolue et aussi minimiser les frustrations et les sentiments d’injustice car, dans notre société, je crois véritablement qu’il y a, pour une partie importante de la population, un sentiment de frustration et d’injustice qui est très fort. Donc, dans cette fonction tout à fait nouvelle pour moi, même si j’avais fait de la médiation sans le savoir dans différents postes, notamment lorsque j’étais préfet de Corse où il y avait parfois quelques nécessités de faire de la médiation, mais sans en avoir effectivement les compétences, la première chose, je crois, c’est d’écouter avec empathie et bienveillance les récits de ces personnes, dont certaines sont en butte à des administrations depuis un an, deux ans, trois ans, parfois plus. Et, donc, la première chose qui est importante, c’est que ces personnes soient considérées et reconnues dans leur dignité, et je crois que, pour une partie de la population, notamment les plus précaires ou éloignées effectivement des codes, comme cela a été dit, c’est effectivement qui est très important. Le deuxième élément, je crois, c’était de prendre contact avec le service ou l’organisme à un niveau différent de celui qui traite le dossier, c’est assez important, il est important que le médiateur veille à rétablir un certain équilibre entre deux personnes radicalement différentes, d’un côté, des administrations qui traitent des dossiers à la chaîne et qui sont là pour appliquer le droit, et de l’autre, des personnes en difficulté qui, effectivement, souhaitent simplement que leur situation soit reconnue et qu’elles soient écoutées.
Le troisième élément, c’est de faire appliquer le droit. Je dois dire que, dans mon expérience, c’est souvent le cas. Pas toujours, pas toujours. Bon. Et, donc, lorsque le droit n’est pas appliqué et que ça concerne les personnes les plus en difficulté, il y a vraiment matière à intervenir de manière assez énergique. Mais lorsque le droit est bien appliqué, ce qui est tout de même le cas le plus général, mais qu’il conduit à des situations insupportables pour certaines personnes, ce qui est un cas très fréquent, l’objectif est que le dossier ne soit plus traité en droit mais en équité. Et je dois dire que c’est une notion qui est manifestement assez largement méconnue dans beaucoup d’organismes, dans beaucoup d’administrations parce que, dans notre pays, plus que dans beaucoup d’autres, la réglementation est centralisée et doit s’appliquer uniformément sans aucune différenciation. C’est un point qui nous distingue, je pense, de beaucoup d’autres pays, c’est la culture de l’administration française, c’est cette notion d’égalité.
La question qui, je crois, est vraiment importante, c’est comment concilier le respect de la légalité qui est le rôle par nature de l’administration, qui s’impose à tout, avec le souci de faire prévaloir l’équité qui fait appel à une notion de justice ? Cette notion n’est pas récente, Euripide parlait déjà de cette notion d’équité. Victor Hugo, plus récemment, écrivait : la première égalité, c’est l’équité. Et, donc, je crois que cette question d’équité doit être au centre des réflexions que doit avoir le médiateur, mais qui est assez éloignée de l’administration centrale, en tout cas. Parmi les services déconcentrés de l’Etat dans mon établissement, je dois dire que c’est aux finances publiques que j’ai rencontré la plus grande ouverture à la présomption de l’équité.
Je voulais le mentionner parce que c’est quelque chose qui peut paraître assez surprenant. Je parle des services déconcentrés, je ne parle pas évidemment... Je ne porte dis de généralité sur la pratique de l’équité dans toutes les organisations, je parle uniquement des services déconcentrés de l’Etat, et je crois donc que la médiation est un levier d’amélioration de la relation entre les usagers et les administrations, elle permet d’éviter les recours contentieux, source de tensions, de perte de temps et d’énergie, et permet de faire évoluer des dispositifs.
En ce qui concerne les médiateurs des collectivités territoriales, aujourd’hui, à peu près une soixantaine de collectivités en ont, des régions, des départements, des agglomérations, des villes, et il y a une loi du 27 décembre 2019, la loi relative à l’engagement dans la vie locale, qui a institutionnalisé le médiateur territorial, qui a indiqué qu’évidemment, l’institution du médiateur était facultative, que c’était la gratuité et que sa saisine suspend les délais de recours, et cette loi indiquait aussi qu’elle a rendu obligatoire le rapport d’activité transmis à l’organe délibérant de la collectivité, et qui est généralement présenté en séance plénière. Il est indiqué que ce rapport peut contenir des propositions visant à améliorer le fonctionnement de la collectivité territoriale. A titre d’exemple, je citerai parmi les 13 propositions que j’ai faites en 2020, je peux en citer deux ou trois, mais j’insisterai plus sur une d’entre elles... La première proposition, c’est de réduire à deux mois le délai de réponse des services en recours gracieux ou administratif préalable obligatoire, car j’ai constaté parfois des délais de quatorze mois, parfois, on ne répondait jamais... Ça, c’est un point très important, c’est que les délais de recours, de réponse au recours gracieux soient limités. Deuxième important assez importante : dans toute décision de l’administration territoriale de Charentes-Maritimes, il est indiqué que la personne peut saisir le médiateur départemental dans tous les courriers concernant une décision du Département, j’ai proposé aussi que les directeurs et les directeurs généraux suivent un stage de deux jours sur le règlement des conflits amiable. Et je veux insister sur une autre proposition que j’ai faite qui a été mise en œuvre actuellement qui concerne les problèmes de fraude au RSA. Il y a une experte de la CNAF qui va intervenir tout à l’heure. Vous savez que, dans les Départements, les CAF sont les opérateurs en ce qui concerne l’attribution du RSA, le financement est assuré par les Départements, et ce sont les Départements qui agissent en justice. Donc, ce que j’ai demandé, c’est que, même si je n’ai pas été saisi par une personne, qu’aucune décision de saisine du Procureur de la République par le Département ne soit faite avant qu’il y ait une réunion préalable organisée par le Médiateur en présence de la CAF, des services du Département et de la personne. Ça, c’est un point assez important. Cette mesure est appliquée depuis 2020 et je dois dire que, sur la première année, sur dix-sept situations où était envisagé par les services du Département de saisir le procureur, seulement quatre ont été mises en œuvre. La médiation contradictoire ayant montré que les personnes concernées, souvent des femmes, étaient plus souvent des victimes que des fraudeuses. Et quand vous lisiez le dossier, les éléments semblaient défavorables, pourtant. Et je crois que le principe du contradictoire, qui n’est tout de même pas quelque chose qui est tellement développé dans notre pays, ce principe du contradictoire, mais un contradictoire évidemment bienveillant, permettant aux gens de s’exprimer dans un climat serein où ils peuvent effectivement montrer effectivement qu’ils sont bien souvent, pas toujours... Je ne dis pas qu’il n’y a pas de fraudeurs, bien entendu, mais dans bien des cas, effectivement, c’étaient des personnes qui étaient parfois victimes... J’appelle ça parfois de la quadruple peine : victimes de violences conjugales, du comportement de l’ex-conjoint, à qui on demandait de rembourser des sommes considérables, pour qui on envisageait ensuite de saisir la justice et qui, généralement, privées de ressources, étaient en situation d’expulsion. J’ai été frappé par ces situations. Depuis, c’est quelque chose qui est généralisé et que l’on applique de manière systématique. Ce sont des gens qui ne m’ont pas saisi directement mais qui, maintenant... C’est une forme d’auto-saisine, en tout cas saisine par les services du Département, puisque le président du Département de l’époque avait décidé qu’il ne saisirait pas le Procureur de la République sans que ces situations de médiation contradictoire soient respectées.
Sur le Médiateur de la République, l’arrivée d’un médiateur dans les services administratifs, organisés, etc., ce n’est pas toujours reçu avec un enthousiasme général des directeurs et des directeurs généraux, et M. Iannucci, bien entendu... Il y a des gens qui sont plus ouverts que d’autres ! Naturellement, le médiateur va parfois soulever des questions indiscrètes. Ce n’est pas un inspecteur général, il est là pour traiter des situations, pour placer l’humain au centre des débats contradictoires, déjà pour qu’il y ait du contradictoire, deuxièmement, pour prendre en compte l’humain, et pour traiter de situations complexes et souvent uniques, et souvent, on en parlait tout à l’heure, qui sont à l’intersection de services différents aux cultures différentes, et donc, fréquemment, les situations extraordinairement complexes que l’on peut rencontrer sont liées à un service, mais souvent à l’intersection effectivement de problèmes particuliers. Et donc, c’est en cela qu’il y a un levier puissant d’amélioration des relations usagers/administration. L’ancien président du Département disait que la médiation est un rouage essentiel de la démocratie en ce sens qu’elle permet à chaque citoyen d’être entendu. Et je terminerai... Je crois que mon temps est passé ?
- Tout à fait.
- Je terminerai en insistant sur ce qu’a évoqué Mme la Défenseure des droits tout à l’heure, sur les trois caractéristiques essentielles du médiateur : l’indépendance, la neutralité et l’impartialité, car sans indépendance, il ne peut pas y avoir de distanciation nécessaire avec le système hiérarchique pour être contradictoire et équilibré, et indépendance, sans laquelle il ne peut y avoir un retour de la confiance des citoyens. Bien entendu, il y a la médiation, mais il y a, dans les relations usagers/administration, il y a toute une série de processus internes, et je pense qu’il y a également un certain écueil à éviter, c’est qu’avec la multiplication des médiateurs, c’est que les responsables administratifs puissent laisser de côté ces relations en disant : le médiateur est là, il va pouvoir traiter ça. Je crois donc qu’il est très important que, au-delà effectivement de la multiplication des médiations, que se développe dans les services en interne, parce que le médiateur n’est pas là pour traiter tous les dysfonctionnements des organisations, et pour terminer vraiment, je dirais que le développement de la médiation, qu’elle soit en amont ou à l’initiative du juge, dont on parlera tout à l’heure, elle permettrai, j’en suis convaincu, de développer une nouvelle capacité d’écoute ou de compréhension, de favoriser un climat de confiance entre citoyens, collectivités et administration, et participer à l’amélioration d’un lien social et apaiser la société, dont on a si besoin aujourd’hui.
- Vincent Lewandowski : Merci pour cette intervention très complète qui résonne beaucoup, notamment sur la partie fraude.
Vous avez notamment parlé du fait de faire appliquer le droit et d’intégrer l’équité dans ces domaines. Frédéric Iannucci, vous êtes le représentant d’une administration centrale qui a intégré de longue date maintenant la culture du dialogue, puisqu’on en parlait tout à l’heure en préambule à votre intervention, un médiateur au sein du ministère des Finances a été créé dès 2002, et j’aimerais bien que vous nous expliquiez d’abord comment la logique de médiation a-t-elle été intégrée au sein de votre Ministère et comment elle contribue à changer les pratiques en tant que telle du ministère ? Vous avez sept-huit minutes.
- Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal, administrateur général des finances publiques, au sein de la DGFIP : Merci beaucoup. Je représente une administration, ce qui n’est pas le plus confortable après les témoignages précédents, DGFIP sur le domaine fiscal où les relations avec l’usager peuvent être assez tendues. La médiation s’inscrit donc dans un contexte général qui vise à l’apaisement des relations et la recherche de solutions consensuelles avec les personnes de bonne foi. Ces évolutions ont été renforcées par la loi ESSOC en 2018. Quelques points de repère, car on a un paysage qui est assez complexe : on a depuis 2002 un médiateur des ministères économiques et financiers, le médiateur de Bercy, que je salue, qui est dans la salle, et en interne, on a institué depuis 2004 un conciliateur départemental, qui est un cadre de haut niveau qui a la possibilité de déjuger le service. Dans 40% des cas, d’ailleurs, ces saisines donnent droit à la demande de l’usager, que l’on appelle, nous, le contribuable, et de manière générale, il y a une extension des voies de recours, des procédures contradictoires, de recours à des avis de commissions extérieures et d’encouragement de transaction. C’est donc un ensemble, un changement d’état d’esprit dans un domaine qui est par nature assez régalien, qui rend possible le recours à la médiation, qui n’allait sans doute pas de soi il y a quelques décennies, où on appliquait la loi strictement. L’enjeu préalable est d’articuler ces possibilités. Le médiateur considère qu’il faut d’abord saisir le conciliateur départemental dans les domaines de nos compétences, donc, c’est important que les différents intervenants soient bien articulés. Il y a une grande attention portée aux demandes de médiation, dans la phase administrative et plus récemment maintenant y compris dans la phase juridictionnelle. C’est donc vraiment un état d’esprit qui se diffuse peu à peu dans les services. Pour la phase administrative, nous sommes rarement saisis directement par le Défenseur des Droits, je n’ai pas de statistique, mais je n’ai retrouvé que douze cas sur les trois dernières années.
Quand je parlerai de médiation, je penserai surtout au médiateur de Bercy. Donc, la médiation, elle conduit à faire évoluer nos pratiques sous un double aspect, donc au cas par cas, et du fait des recommandations et propositions effectuées par le médiateur à la lumière des dossiers qu’il traite. Il y a à la fois des conséquences en quelque sorte micro et macro. A travers les demandes elles-mêmes, il y a un nombre significatif de demandes qui arrivent chaque année. Je crois que c’est à peu près 4500-5000 demandes, il y a des effets conjoncturels avec la crise sanitaire, où c’est plus, et 90% concernent la DGFIP, et au sein de la DGFIP, un noyau important sur la matière fiscale. Il y a un effet nombre qui fait que la médiation fait partie du quotidien des services. C’est un flux vraiment continu. Donc, avec des instructions données pour que les interventions du médiateur soient traitées dans les meilleurs délais. On fixe une règle générale d’un mois. Et le médiateur peut saisir l’administration centrale en cas de désaccord avec la position de la direction territoriale. Donc, une médiation qui maintenant est bien intégrée dans l’action administrative, et le deuxième volet, c’est l’aspect plus macro sur des changements de pratiques et parfois de la loi suite aux recommandations du médiateur.
Donc, ces propositions concernent des sujets de plus ou moins grande ampleur, je vous épargnerai des exemples trop techniques. Je vais donner comme exemple le prélèvement à la source, qui est intervenu en 2019. Ça a été un grand succès pour la DGFIP mais quand même avec des ajustements à opérer. C’est vrai que le sujet délicat, c’était d’éviter qu’en 2019, les personnes assujetties à l’IR aient à payer à la fois l’impôt sur les revenus de 2018 et, au fil de l’eau, les impôts 2019. Il y a eu un crédit d’impôt pour effacer cette double imposition, qui était subordonnée au fait de bien déclarer le revenu 2018. Les services pouvaient avoir une charge fiscale assez lourde, et le médiateur de Bercy a eu un rôle important pour nous alerter et faire des propositions d’assouplissement. On a donc, par instruction, admis le bénéfice de ce crédit d’impôt même si la personne n’avait pas fait formellement une déclaration.
Notre difficulté, c’est qu’on est dans un domaine où la loi est très présente.
Donc, on a pris une instruction administrative pour appliquer ce crédit d’impôt, ce qu’on a appelé pour les primo-défaillants, il ne fallait pas que les gens soient récidivistes dans le non-dépôt de déclaration. C’était une situation où il n’y avait pas de préjudice pour l’administration, qui a de façon générale des marges de manœuvre pour prendre en compte ces dispositifs en ce qui concerne une règle pratique, mais c’est plus difficile quand ça implique de changer la loi. Avec un peu d’humour, je dirais que le médiateur peut être entendu au-delà de ses espérances, parce qu’il préconisait la suppression de la redevance de la TVA pour certains bénéficiaires des minimas sociaux, et tout a été supprimé, donc, une demande qui a été satisfaite assez rapidement ! Il y avait une proposition sur le remplacement d’une réduction d’impôt accordée par des résidents d’EHPAD par un crédit d’impôt. Là, il faut que le législateur s’empare du sujet et en remettant éventuellement à plat l’ensemble des aides fiscales et sociales. Là, on est un peu démunis pour donner une suite favorable à ces propositions. La médiation au cours de la phase juridictionnelle, maintenant, c’est beaucoup plus récent, on n’a pas beaucoup de retour d’expérience mais la demande au tribunal administratif, on rentre dans ce mécanisme... même la Cour de Cassation veut faire de la médiation, j’en ai été surpris, on est quand même dans un univers de droit assez pur.

Si nous acceptons le principe de la médiation, nous avons bien entendu une préférence pour recourir au médiateur de Bercy, non pas parce que nous anticiperions qu’il serait plus favorable à nos positions mais parce que, outre sa grande compétence, il est gratuit, ce qui est un avantage non négligeable. Donc, en conclusion, la médiation est un élément essentiel de la relation de confiance entre les citoyens et l’administration. Et quel que soit le sens de la recommandation, il y a un rôle pédagogique essentiel pour expliquer le sens des décisions finalement retenues. Elle oblige l’administration à se poser des questions sur le sens de telle ou telle mesure ou pratique. Et l’extériorité et la neutralité par rapport aux partis font sa force par rapport à tout ce qui existe déjà au sein de l’administration. Donc, c’est par ailleurs un capteur essentiel pour identifier les points qui posent des difficultés récurrentes dans les relations à l’usager, donc vraiment un rôle d’alerte, avec une limite importante pour nous en matière fiscale, qui est très encadrée par la loi, et on estime que des questions de pur droit ne se prêtent pas forcément à la médiation. Il y a un attachement très fort au principe d’égalité devant la loi, donc, il ne faut pas qu’on soit accusé non plus d’être discrétionnaires dans son application. Les domaines privilégiés, c’est l’appréciation de situations des faits, les sujets d’équité, d’application mesurée de la loi fiscale ou lorsque le droit applicable est imprécis. Et donc, ça permet de récupérer des situations dans lesquelles les mécanismes de dialogue interne ont échoué. Donc, voilà, c’est un élément important dans l’éventail des mesures qui permettent vraiment d’apaiser les relations avec les contribuables et d’éviter les contentieux. Merci beaucoup Monsieur le préfet pour vos propos pour l’administration des finances publiques. Merci pour votre attention.
- Vincent Lewandowski : Merci, Monsieur Iannucci. Vous vous êtes parfaitement conformé au cadre des huit minutes, bravo ! Nous allons sans doute revenir, à l’occasion des échanges, sur vos propos, mais je rebondis sur une chose que vous venez de dire, c’est : les questions de pur droit peuvent-elles se confronter à la médiation ? Excusez-moi, du coup, je me permets de vous solliciter sur la base de cette question. Vous êtes délégué du Défenseur des Droits dans le Nord, je le répète. J’ai envie de vous poser une question très simple au fond : est-ce que les questions de pur droit peuvent être confrontées à la médiation ? Et, plus largement, j’ai envie de vous inviter à réagir à tout ce qu’on a entendu cette après-midi et globalement à nous donner votre point de vue sur la façon dont les différentes administrations que vous êtes appelé à côtoyer dans votre pratique quotidienne de médiatrice pour le compte de la Défenseur des Droits, de nous donner votre point de vue également là-dessus ?
- Anne-Claire Grandjean, déléguée du Nord : Je vous remercie. Madame la Défenseure, Mesdames, Messieurs, je remercie tout d’abord très sincèrement le siège du Défenseur des Droits, plus particulièrement Mme Claire Hédon et M. Daniel Agacinski pour leur invitation à m’exprimer ce jour. J’espère le faire très sincèrement en tant que déléguée animatrice du réseau au nom de l’ensemble de ce réseau, notamment du réseau local du Défenseur des Droits. J’ai maintenant dix années de délégation auprès de notre institution, qui me permettent d’abord de témoigner à titre individuel, et je l’espère à titre collectif, sur le sujet qui nous occupe justement aujourd’hui à l’occasion de l’anniversaire des cinquante ans de la médiation et plus spécifiquement ici, à l’occasion de cette table ronde sur celui de l’amélioration de la relation usagers/administration. Déterminer à l’évidence si la médiation a une influence positive dans le rapport avec les usagers et l’administration, conduit à mon sens fondamentalement finalement très subjective en se posant la question d’une meilleure relation entre ces deux entités, l’administration et l’usager. Pour mesurer ce mieux, je partirai du postulat de départ qui est finalement tout simplement le contexte dans lequel nous sommes, nous, délégués, et également au niveau du siège, quotidiennement saisis. En pratique, si nous sommes saisis, c’est par essence qu’une difficulté existe dans la relation entre l’usager et l’administration. Absence de réponse, décision défavorable sans motif, ou motivée par des circonstances qui sont parfois incomprises ou imprécises ou qui sont prises sur le fondement de bases juridiques légales qui sont techniquement incompréhensibles pour l’usager... Ce sont typiquement des exemples flagrants de ce que nous rencontrons quotidiennement sur le terrain. Donc, par essence, le postulat de départ, c’est donc que le Défenseur des Droits est quasi systématiquement saisi dans le cadre de relations administration/usagers, que je qualifierai, je me permettrai d’y mettre des guillemets, de « conflictuelles ». La médiation menée a justement vocation à permettre de trouver un accord amiable, et ainsi d’essayer de tenter d’apaiser cette relation entre l’usager et l’administration. Mesurer l’impact positif de la médiation commanderait à l’évidence une étude très poussée, et aujourd’hui, je me limiterai à quelques propos qui permettront finalement un éclairage pragmatique de situations dans lesquelles, à l’évidence, les relations entre l’usager et l’administration se sont améliorées justement par le recours à la médiation. Je séquencerai mes propos en deux temps, en vous présentant d’abord les éléments permettant de mettre en exergue le fait que la médiation est effectivement source d’amélioration, comme source ou procédure, élément de nature pacificatrice de ces relations, qu’elle ait été à l’origine d’une décision favorable pour l’usager, ou, et c’est sans conteste le plus surprenant mais aussi le plus évocateur, finalement, lorsque également cette médiation a échoué et qu’elle est finalement source de confirmation d’une décision défavorable. Vous l’avez compris, puisque, dans mes deux hypothèses, je vais envisager tout ce qui est source d’amélioration, que la médiation ait réussi ou échoué, j’aurai ici un regard plutôt optimiste, même si, à l’évidence, à la fin, je ne manquerai pas de souligner qu’il existe encore des carences persistantes en la matière. Première hypothèse de raisonnement, celle dans laquelle la médiation a eu pour effet de tendre à l’édiction d’une décision favorable, même de façon partielle à l’égard de l’usager. Dans cette hypothèse, l’usager aura alors au moins en partie obtenu satisfaction. La relation administration/usager est ainsi améliorée par le résultat obtenu. On peut citer évidemment de nombreux exemples, octroi d’un titre de séjour, d’une allocation familiale, d’une remise gracieuse d’un indu, annulation d’une amende, suppression de la qualification de fraude du comportement de l’usager sont typiquement des illustrations concrètes que l’on rencontre en pratique. Mais au-delà du gain obtenu, qu’il soit total ou partiel pour cet usager, l’administration, je le crois sincèrement, doit elle-même se réjouir d’une telle hypothèse. En effet, l’ouverture de ce droit ou à tout le moins de l’atténuation des effets négatifs d’une décision administrative accordée dans le cadre de la médiation permet alors d’éviter cette fameuse phase contentieuse. Enfin, au-delà de la relation administration/usagers, c’est aussi le droit, et finalement l’Etat de droit lui-même qui en sont grandis. Dans pareille hypothèse, finalement, une potentielle défaillance administrative ou une violation du principe de légalité ont pris fin par le respect de dispositions légales et réglementaires en vigueur ou éventuellement par application du principe d’équité, qui permettrait ou qui permet d’éviter des applications trop strictes de la légalité administrative. Deuxième hypothèse de raisonnement, qui tend à questionner l’amélioration de la relation usager/administration même lorsqu’il y a eu un échec de la médiation conduite. Je dirais qu’à cet égard, il y a souvent, même en cas d’échec de médiation, si ce n’est une amélioration, à tout le moins, et c’est extrêmement important, un sentiment d’amélioration de la relation entre l’usager et l’administration, pourvu, et je vais y mettre une condition que je considère comme sine qua non, pourvu qu’une réponse circonstanciée de l’administration ait lieu, car de celle-ci, c’est de là que renaît malgré tout le dialogue, l’échange et la possibilité pour l’administré de prendre connaissance, donc, c’est là ce qui importe, de comprendre et éventuellement de s’approprier les raisons de ce refus auquel il a fait face.
Dans bien des situations, vous le savez, les délégués, le siège, qui suite à une médiation ayant généré une décision négative mais circonstanciée, finalement, suite à une médiation, endossent un rôle pédagogue tendant à l’explication du refus de l’administration de faire droit à la demande. Souvent, l’explication peut alors permettre de prendre conscience, de faire prendre conscience à l’usager de la légalité, voire pourquoi pas de la légitimité de la décision, et ce faisant, mesurer le faible taux de succès d’un contentieux, quand bien même, à l’évidence, le droit au recours reste ouvert. Je le sais, et il est quand même important de le souligner, à l’évidence, ce rôle pédagogue n’est pas notre mission première, nous n’avons pas vocation à nous substituer aux administrations en la matière, mais je tenais, dans le contexte de l’amélioration de l’usage de la médiation dans cette perspective d’amélioration dans ces rapports entre usagers et administration, à souligner ce rôle pédagogue. Enfin, une dernière question qui fera certainement la transition avec la seconde table ronde, celle des axes d’amélioration à venir. En pratique, la difficulté majeure rencontrée actuellement concerne l’hypothèse des services publics qui ne reconnaissent pas encore, ou je dirais, pour relativiser les choses, pas encore la médiation comme outil ou procédure permettant de solutionner une solution administrative, concrètement, en pratique, cela se traduit par une absence de réponse de l’administration, y compris à l’égard du Défenseur des Droits, y compris notamment à l’égard des délégués du Défenseur des Droits. Nous saluerons que rares sont désormais ces hypothèses, que tout cela a évidemment fortement évolué et qu’elles ne se cantonnent aujourd’hui résiduellement finalement qu’aux cas d’administration qui exercent pour partie et notamment, je relativise mes propos, des missions régaliennes de l’Etat, mais si la justice elle-même a su se saisir de cette opportunité jusqu’à aller consacrer la médiation préalable obligatoire, nous pouvons désormais convenir, je le pense, que la barrière régalienne peut être levée. C’est alors à chacun et à chacune de convaincre. Et je crois justement qu’une journée comme aujourd’hui est une parfaite occasion de faire entendre aux administrations qui sont encore réfractaires à la médiation d’intégrer cette culture de la médiation car elle est sans conteste un moyen d’assouplir l’unilatéralisme des décisions administratives et, ce faisant, de mieux faire accepter l’autorité de l’Etat. Je vous remercie.
- Merci beaucoup. Ça fait effectivement le lien avec la prochaine table ronde consacrée aux perspectives pour une médiation de confiance au service des usagers. Avant, on avait prévu un temps d’échange avec la table. Comme on est parti avec un peu de retard, on va réduire ce temps à deux questions. On a prévu un dispositif pour passer le micro. Monsieur ?
- Merci beaucoup.
- Je vous prie de bien vouloir vous présenter s’il vous plaît.

- Je tiens à redresser une erreur historique du premier intervenant. Ce n’est pas sous le mandat de Valéry Giscard d’Estaing que le premier médiateur a été créé. En janvier 1973, il y avait encore Georges Pompidou et c’est lui qui est le créateur du Médiateur de la République en la personne d’Antoine Pinet, qui d’ailleurs, chose amusante, a dû démissionner un an après pour pouvoir se rallier à Valéry Giscard d’Estaing et mettre un terme à son indépendance de ce fait.
Voilà. Donc, je tenais à retracer cela. Je suis un peu pointilleux parce que j’étais moi-même collaborateur, bien que très jeune, du président Pompidou, et je me souviens très bien de l’attention qu’il a portée à cette novation qu’il a apportée à la République. Il disait que le médiateur était la voix de l’opinion et du citoyen dans ses relations avec l’administration. Donc, pardonnez-moi de cette petite intervention, mais il faut savoir d’où on vient pour savoir où on doit aller, et comme nous célébrons cinquante ans de quelque chose, ce quelque chose, il faut le rappeler dans sa réalité. Merci à vous.
- Merci. Cette précision étant apportée... Oui, Monsieur ?
- Je me permets de saisir le micro de mon ami Jean-Pierre. Je suis un des membres fondateur du Club des médiateurs du service public, et je voulais brièvement, en vous remerciant de l’organisation de cette journée, rebondir sur ce que Madame a dit tout à l’heure des problèmes qu’elle avait rencontrés dans la Ville de Paris. Lorsque nous avons mis en place le Club des Médiateurs de service au public, il y avait peu de médiateurs mais il y avait la médiatrice de la Ville de Paris. Il n’y a plus de Médiateur de la Ville de Paris, cela veut dire que rien n’est jamais acquis, que la médiation, c’est quelque chose de très fragile qu’il faut protéger pour la promouvoir et les propos de Mme la Défenseur vont dans ce sens, c’est pourquoi je suis très honoré de rejoindre son équipe de délégués aujourd’hui.
- Merci. Je rappelle que les conditions d’efficience de la médiation seront évoquées dans quelques instants. Peut-être une dernière réaction avant de vous libérer ?
Dans ces cas-là, je vous invite à une courte pause de cinq minutes et nous reprenons pour la deuxième table ronde. Merci, et merci encore à nos intervenants de s’être rendus disponibles pour nous.

Table-ronde 2 « Quelles perspectives pour une médiation de confiance au service des usagers ? »

Daniel Agacinski, Délégué général à la médiation, Défenseur des droits

Bonjour à toutes et à tous. Je suggère que nous reprenions nos échanges et nos travaux après cette pause plus courte que prévue au départ mais plus longue qu’annoncée.
Je laisse chacun regagner sa place en profitant du temps que vous me laissez pour me présenter.

Je vous propose qu’on redémarre en laissant le temps à chacune et à chacun de retrouver un siège. Je me présente, je suis Daniel Agacinski, je suis délégué général à la médiation auprès de la Défenseure des droits depuis juillet 2020 et je vais animer cette seconde table ronde qui, comme l’a dit la Défenseure au début, va être tournée vers l’avenir et pas seulement vers les cinquante dernières années écoulées, depuis que le Médiateur de la République est né. Chaque administration en a pris un peu pour son grade au cours de la dernière table ronde. Je crois qu’il y a une sorte de justice et d’équité par rapport aux administrations qui ont toutes leurs difficultés, mais je veux rectifier un point : il y a bien un médiateur à la ville de Paris, Eric Ferrand, mais notre intervenant ne le savait-il plus ou pas, un médiateur avec lequel les Parisiens entretiennent de bonnes relations. Je voulais rectifier ce point factuel. On va essayer de mieux respecter les délais que la table ronde précédente en se tournant vers l’avenir de la médiation. Nous sommes des professionnels qui occupons des positions différentes dans le champ de la médiation. D’abord, Sabine Boussard, professeur de droit public à l’université de Nanterre, Amaury Lenoir, magistrat au tribunal administratif de Nice et délégué national à la médiation pour l’ensemble des juridictions administratives, et Christelle Dubos, ancienne ministre des solidarités et de la santé, ancienne députée de Gironde et médiatrice nationale de la branche famille de la CNAF depuis juillet 2022 avec également comme responsabilité la défense des valeurs de la République et la protection des usagers au regard des systèmes d’information, si je ne dis pas de bêtises, et RGPD. La question que je voudrais introduire dans cette table ronde, elle porte sur ce qu’on peut envisager pour l’avenir de la médiation dans les relations administration/usagers. Avant de vous interroger, j’éprouve la nécessité de préciser l’enjeu, l’horizon dans lequel nous, ici, au Défenseur des Droits, on veut poser cette question. On a évoqué plusieurs fois les statistiques, des chiffres, depuis le début de cette après-midi, et l’idée pour nous n’est pas qu’il faudrait nécessairement une augmentation quantitative de la médiation, pas forcément plus de médiation ou plus de médiateurs comme si c’était nécessairement mieux. L’horizon du développement de la médiation doit répondre à un diagnostic, ce qu’évoquait Anne-Claire Grandjean tout à l’heure, qui porte sur ce qu’on attend d’elle, sur ce qu’elle fait, peut-être pas assez, pas assez bien ou pas encore autant qu’on le voudrait. Ici, parce qu’on est le Défenseur des Droits, on voit la médiation essentiellement, principalement comme un outil de l’accès aux droits, comme une des modalités de la relation administration/usagers, dont l’objectif est de permettre le respect effectif des droits de l’usager par le service. Cette vision s’ancre bien entendu, et le vice-président Didier-Roland Tabuteau le dira tout à l’heure, dans une conception du service public lui-même comme étant tourné vers les droits de l’usager avec pour horizon la mise en œuvre des droits. Il est essentiel pour nous de rappeler cet horizon des droits qui vaut non seulement pour la médiation en particulier mais pour l’ensemble des relations de service public, qu’on parle du régalien, du local, du social, de l’ensemble des services publics. On parle beaucoup aujourd’hui de raison d’être dans le monde de l’entreprise. Mais ce qui est intéressant avec le service public, c’est que la raison d’être, elle est déjà donnée, déjà donnée par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, qui dit dans son article 2 que le but, c’est la préservation des droits, ce qui veut dire qu’à tous égards, il passe avant les devoirs, et les devoirs ne peuvent être institués qu’à titre de condition, s’ils sont nécessaires pour faire valoir les droits, ils viennent après dans l’ordre des raisons, et donc, cette raison d’être de la relation administrative s’applique a fortiori à la médiation, comprise comme un dispositif visant à réparer, rectifier, rétablir ce qui a pu faire défaut dans la relation normale administrative. Ce qui a pu faire défaut : manque de considération, manque d’écoute, manque de dialogue, manque d’informations, erreur de fait, erreur de droit, tout ce qui va donner la matière à la médiation et dont on a vu plusieurs exemples à la table ronde précédente. Sur cette base, quels sont justement les droits de l’usager que la médiation va pouvoir faire valoir, faire prévaloir et advenir ? Je dirai en première approche ceux qui tiennent de façon générale à la relation de services publics, au-delà de ceux qui concernent chaque service en particulier : droit l’information, au recours effectif, droit à l’erreur, droit au respect du principe d’égalité et de non-discrimination. La question que je voudrais dans ce cas-là qu’on se pose ensemble va se jouer à plusieurs niveaux : est-ce que la médiation usagers/administration telle qu’elle fonctionne aujourd’hui en France, est-ce qu’elle contribue de façon satisfaisante au respect et à la promotion des droits de l’usager, au niveau de chaque dispositif de médiation, médiateur institutionnel, Défenseur des Droits, etc., et au niveau de l’organisation de ce paysage composé des différentes institutions de médiation ? Et deuxième question, du coup : à quelles conditions est-ce que la médiation pourrait mieux contribuer à ce respect des droits ? C’était déjà autour de ces questions que, dans une autre vie pas si lointaine, en 2019, pour France Stratégie, pour le compte de l’Assemblée nationale, nous avions réfléchi à ce qui était justement le fonctionnement aujourd’hui du paysage de la médiation dans un rapport appelé « médiation accomplie ? » Depuis ce moment, je suis passé de la théorie à la pratique, j’ai pu approfondir les questions, affiner peut-être les réponses, mais au fond, le problème reste le même tel qu’il a été défini dans le discours de la Défenseure tout à l’heure : comment le caractériser ? Refaire un peu de recul historique rapide, parce que le temps nous est compté. On avait le modèle de base, le Médiateur de la République, dont l’intervention était extérieure au parcours contentieux de l’usager justiciable, pas d’intervention du délai de recours, pas d’intervention devant les tribunaux. C’est le modèle qui sert aux premiers médiateurs sectoriels qui ont été créés. Mais, dans les années qui suivent ces créations, on a de plus en plus le développement de procédures amiables qui sont articulées au contentieux, qui vient modifier ce schéma ancien dans lequel médiation et contentieux étaient des parallèles voués à ne jamais se rencontrer. Les illustrations de cette rencontre entre contentieux et médiation, c’est la possibilité pour le juge administratif de rendre une ordonnance de médiation, la suspension des délais de recours contentieux pour les médiateurs ESSOC de la Sécurité sociale, l’interruption des délais de recours contentieux pour les médiateurs des collectivités territoriales depuis 2019, la possibilité pour la Défenseure des droits de présenter des observations en justice lorsqu’elle n’intervient pas comme médiatrice mais en ayant instruit de façon contradictoire les litiges dont elle est saisie, et l’expérimentation puis l’extension d’une médiation préalable obligatoire dans laquelle le recours, la tentative en tout cas de médiation, est une condition d’accès au juge. Et, donc, j’évoquais tout à l’heure le lien fondamental entre droit et médiation, il est encore plus marqué dans ce paysage où les multiples médiateurs ont chacun, finalement, une place particulière, un rôle spécifique dans le chemin vers le juge, dans la relation entre l’usager justiciable et le juge. Le problème que ça pose a été défini tout à l’heure : est-ce que tout ça est bien lisible pour l’usager ? Est-ce que cette diversité de cadres, elle est favorable à l’accès aux droits ? Est-ce que c’est de nature à renforcer la confiance dans la relation usagers/administration ? Cette hétérogénéité dans les dispositifs de médiation ne porte pas sur des détails, elle porte sur les faits quant aux recours contentieux, la place de la médiation dans les voies de recours internes, est-ce qu’il y a des recours amiables obligatoires, des démarches obligatoires nécessaires ? Elle porte sur l’accessibilité des médiateurs, à l’heure où on parle de la dématérialisation et de la fracture numérique, il y a encore des dispositifs que l’on ne peut saisir que par un formulaire en ligne, elle porte sur les garanties d’indépendance des médiateurs, certains sont des agents des directions à l’égard desquelles ils sont censés être les tiers indépendants, certains ont des mandats qui n’ont pas de terme, qui sont révocable ad nutum comme un haut fonctionnaire, et ça interroge également. Sur cette base, sur la façon dont on peut décrire le paysage et poser un certain nombre de questions, la question que j’ai envie de vous poser à tous les trois, c’est : comment faire mieux ? Comment faire mieux dans l’organisation, dans la lisibilité, dans les garanties que peuvent présenter les différentes médiations ? Qu’est-ce qu’il faut faire évoluer dans les textes ? On va faire un zoom avant avec nos invités. Sabine Boussard, vous êtes donc professeure de droit public à l’université de Nanterre et avez produit récemment pour le Conseil de l’Europe, dans le cadre de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, un rapport visant à promouvoir la médiation pour régler les différends de nature administrative. C’est un travail de comparaison internationale. Qu’avez-vous vu dans les différents pays européens qui vous semblerait de nature à alimenter les réponses aux questions qu’on se pose aujourd’hui ?
- Sabine Boussard, professeur de droit public, Université Paris Nanterre : Bonjour à tous. Tout d’abord, je voulais vous remercier pour votre invitation. Merci Madame Claire Hédon, merci M. Daniel Agacinski. Je me sens un peu décalée parce que je ne pratique pas du tout la médiation, il n’y en a pas à l’université, mais des voix s’élèvent pour qu’on y songe très sérieusement car nous rencontrons également des difficultés. Les usagers ne sont pas toujours très satisfaits du fonctionnement de notre administration.
- Des personnes protestent sur la possibilité...
- Oui, mais au sein des universités.
- (hors micro)
- Nous n’en avons pas à Nanterre. On va y songer. La Commission européenne pour l’efficacité de la justice a été créée en 2002 au sein du Conseil de l’Europe. Elle est composée des représentants des 46 Etats-membres avec des systèmes juridiques évidemment très disparates, et au sein de cette commission, il y a un groupe de travail centré sur la médiation avec un modèle qui est plutôt la médiation judiciaire, la médiation civile et familiale, et en 2007, cette commission a adopté des lignes directrices pour promouvoir la médiation en matière civile et familiale, en matière pénale, et aussi pour favoriser le règlement des litiges entre... Alors, le terme européen, c’est « entre les autorités administratives et les personnes privées ». Ces lignes directrices, à plusieurs intervalles de temps, on a cherché à en mesurer l’efficacité, et il était très difficile d’obtenir des éléments d’information s’agissant de la médiation en matière administrative.
C’est le terme que j’emploierai aujourd’hui. Et on nous a donc demandé, à moi et à un doctorant qui travaille sur la médiation mais qui est également magistrat administratif en Egypte et qui fait sa thèse, qui rédige une thèse à Strasbourg, nous avons donc interrogé les 46 Etats par la voie de questionnaires, on a fait un certain nombre de recherches et, après quelques difficultés, on a réussi à obtenir une cinquantaine de réponses qui couvraient seulement 33 Etats-membres. Et ces réponses révèlent, et l’absence de réponse également, révèlent que la médiation en matière administrative est très peu pratiquée dans les Etats du Conseil de l’Europe. On a travaillé véritablement sur douze Etats dans lesquels il existe véritablement une pratique fondée sur un texte juridique, parce qu’il y a des pratiques qui existent sans texte. Et la médiation, elle peut être institutionnelle, elle peut être conventionnelle et elle peut être exercée dans un cadre juridictionnel. Pour répondre à votre question de tout à l’heure, j’ai repris mes notes et, s’agissant des pays dans lesquels on trouve l’origine du médiateur de la République que nous fêtons aujourd’hui, les pays de l’Ombudsman, ils nous ont répondu, pas tous, mais ne le considèrent pas comme un médiateur et n’ont pas répondu au questionnaire pour cette raison-là.
Effectivement, encore une fois, le problème de la CPUF*, c’est qu’elle s’intéresse aux problèmes de l’efficacité de la justice, donc pour ces Etats-là, le rôle de l’Ombudsman n’a rien à voir. C’était une tâche assez difficile et il a fallu convaincre la commission de l’intérêt de la spécificité de la médiation en matière administrative parce que c’est sans doute un procédé, parmi les modes amiables de règlement des litiges, c’est me semble-t-il le plus efficace pour régler les litiges administratifs parce que, effectivement, comme on l’a vu tout à l’heure, c’est un procédé qui permet d’améliorer la relation administrative mais aussi, c’est un procédé qui participe de l’efficacité de la justice administrative au sens large parce qu’elle permet non pas de résorber le contentieux mais de régler les litiges autrement, grâce au principe de confidentialité, et c’est sans doute plus rapide et peut-être moins coûteux.
C’est le dialogue qui est vraiment au cœur de ce procédé et qu’on ne trouve pas dans la justice administrative. Et c’est aussi un procédé qui permet de couvrir le champ le plus large de différends avec l’administration, et notamment dans les décisions prises par l’administration de manière unilatérale, c’est véritablement la médiation qui est un outil efficace. Alors, on a identifié les obstacles au développement du procédé de la médiation, des obstacles juridiques, financiers, structurels et culturels, que je pourrai développer si vous le voulez, si on a le temps. Et on a, à partir de ces avantages et de ces obstacles, on a proposé des mesures pour tenter de dépasser ces obstacles en illustrant ces propositions par des exemples concrets, choisis parmi les douze Etats que nous avions identifiés comme pratiquant la médiation le plus largement possible, et figurez-vous que la France fait figure de modèle au sein des Etats-membres du Conseil de l’Europe, grâce au la réforme de 2016 et la loi dite « de modernisation de la justice du XXIe siècle », qui fixe véritablement le cadre de la médiation en matière administrative, cadre qui pourrait être dupliqué dans la médiation institutionnelle. C’est le cas du médiateur territorial et de la loi de 2019.
Alors, on a formulé treize propositions articulées selon le plan des lignes directrices fixées par la CPEJ : disponibilité, accessibilité et sensibilisation. Vous m’avez demandé des exemples, je pensais plutôt parler des mesures que l’on proposait, mais je pourrais aussi fournir des exemples. D’abord, on pense que la réussite de la médiation tient à d’abord une définition la plus large possible du procédé, ne pas cantonner la médiation institutionnelle d’un côté et la médiation juridictionnelle de l’autre, et Amaury Lenoir le dit bien mieux que moi à cet égard. On n’a pas... Ce qui est difficile aussi, quand on parle de médiation, surtout avec des correspondants étrangers, ce sont les questions de vocabulaires, mais on n’a pas voulu entrer dans ces discussions.
L’importance... Deuxième mesure, c’est l’élaboration d’un cadre juridique pour définir des règles et un champ d’application afin de constituer un socle commun à toutes les pratiques. Ça nous est apparu très important et ça va à l’encontre des théories des grands processualistes du XXe siècle qui promouvaient la médiation mais sans cadre, uniquement avec la pratique, la médiation étant forcément quelque chose de très souple ne devait pas reposer sur un cadre. Ensuite, ça a été rappelé tout à l’heure, faire en sorte que la médiation soit introduite le plus tôt possible, dès la phase précontentieuse avant même d’envisager de saisir le juge, parce qu’elle peut résoudre des litiges qui ne sont pas forcément des litiges juridiques au sens de la juridiction administrative, et donc, l’importance peut-être de définir un guide de bonnes pratiques au sein des administrations. Ensuite, quatrième mesure, et là, c’est l’exemple de la France mais aussi de l’Angleterre, pour certains litiges sociaux qui concernent les enfants et le handicap, développer des procédés contraignants pour le règlement de certains litiges administratifs, parce que ces procédés contraignants vont permettre de sensibiliser aussi les administrations à cette procédure. Professionnaliser les médiateurs, confier à un organisme unique le soin d’harmoniser et d’articuler les différentes pratiques de médiation. Pour l’accessibilité, évidemment, il convient de déployer des moyens financiers. Rendre l’aide juridictionnelle, pourquoi pas, accessible à l’ensemble des procédures de médiation pour que ça ne soit pas uniquement lié à l’introduction d’un recours en justice, organiser l’articulation des règles de procédure, et enfin, pour sensibiliser, fixer des dispositifs incitatifs comme on l’a fait pour les juridictions administratives en France, institutionnaliser des référents médiation, mettre en place des campagnes de communication, parce que c’est la méconnaissance du procédé qui pêche le plus, et publier sous forme de rapport annuels des chiffre rendant compte de la pratique de la médiation administrative.
- Daniel Agacinski : Je vous remercie. Je me tourne vers Amaury Lenoir, magistrat au tribunal administratif de Nice et délégué national à la médiation pour les juridictions administratives. Je me tourne vers vous pour savoir ce que pense et ce que fait la juridiction administrative pour une médiation qui garantit mieux le respect des droits ?
- Amaury Lenoir, Délégué national à la médiation pour les juridictions administratives, Conseil d’Etat : Pour être sûr de tenir dans les temps, j’ai écrit mon intervention afin d’avoir l’essentiel et de tenir dans les temps. Je remercie Mme la Défenseure des droits, ainsi que M. Daniel Agacinski et ainsi que celles et ceux qui ont organisé cet événement et ceux qui nous font le plaisir d’être présents.
J’entends derrière l’appellation de médiation de confiance qu’il y a ou qu’il pourrait peut-être y avoir des médiations qui prospèreraient dans le flou, l’obscurité ou, peut-être, disons-le, dans la mauvaise direction. Ce n’est pas totalement faux. Tout d’abord, je note que certains processus qualifiés de médiation s’apparentent parfois plus à un traitement administratif, à une réclamation, plutôt qu’à la conciliation, où le médiateur analyse et propose une solution, voire à de la négociation ou de l’arbitrage. Il est donc essentiel pour commencer de bien nommer les choses. Un professeur émérite des facultés de droit dénonce ainsi régulièrement la définition donnée à la médiation dans certains textes, définition qui commence par « tout processus » et se termine par « quelle qu’en soit la dénomination », donc « conciliation » conviendrait tout aussi bien que « médiation ». Or, la médiation et la conciliation sont deux modes amiables bien distincts, certes animés par la volonté de résoudre un litige à l’amiable mais qui diffèrent dans leurs approches, acteurs et modalités de mise en œuvre, de même, cette définition n’apprécie ce processus que dans sa dimension conflictuelle et uniquement curative. L’absence préventive est absente de cette définition. Or, en sus de cette dimension, la médiation a également une dimension sociale très importante en ce qu’elle permet de créer, de recréer ou de renforcer les liens sociaux, une dimension sociale tout aussi importante que la dimension conflictuelle, notamment à l’heure où l’on déplore une perte de confiance, voire un renforcement de la défiance vis-à-vis de l’administration et de l’autorité publique. Il nous faudrait donc collectivement clarifier notre définition, notre vision et notre conception de la médiation afin de mieux l’apprécier pour ce qu’elle est réellement et ce qu’elle peut apporter de différent par rapport aux autres processus amiables. La confiance des usagers, à qui l’on propose une médiation, repose sur l’adéquation entre les paroles et les actes, car mal nommer, c’est se condamner à mal faire. Ensuite, certains médiateurs n’ont parfois que le titre, qu’ils se sont peut-être même librement auto-accordé. Ceux-ci peuvent ainsi méconnaître les techniques, les outils et parfois même les principes fondamentaux, l’esprit même de la médiation. Or, je pense qu’on ne s’improvise pas médiateur. Je rejoins sur ce point les conclusions du livre blanc de la médiation rédigé par les membres du collectif Médiation 21 à l’issue des Etats généraux de la médiation en 2017 : travailler quotidiennement avec des personnes en conflit a pu conduire certains professionnels à prétendre à une pratique « naturelle » de médiateurs et à s’affirmer comme tels, or, cela ne garantit pas leur efficacité et risque de discréditer la médiation. En effet, devenir et être médiateur exige une formation approprié, indispensable, quelle que soit l’origine professionnelle de chacun, pour acquérir la singularité de cette compétence. Je dirai donc que, quelle que soit la forme de la médiation, le médiateur doit toujours être un tiers neutre, indépendant et impartial. A noter que ces deux dernières notions sont cruciales et parfois très sensibles en matière de médiation institutionnelle. Sur la forme, le médiateur doit également justifier de compétences juridiques et techniques, il doit être également diligent et respecter les principes de confidentialité et de liberté essentiels à la médiation. C’est dans ce sens et conformément à sa volonté de développer la médiation que la charte éthique des médiateurs a été publiée, qui est sur le site du Conseil d’Etat, et une note plus récemment encore, « référentiel de sélection des médiateurs à l’usage des juridictions administratives ». Fruit d’une réflexion transversale et d’un travail collaboratif, cette note souligne en outre que le médiateur doit pouvoir justifier d’une formation initiale et continue dans ce domaine, il est également rappelé qu’il doit avoir à tout le moins une familiarité avec la chose administrative. Le juge administratif en sa qualité de prescriptif de médiation assume la responsabilité du choix du médiateur. Soucieux d’opérer un choix pertinent, il tâche de désigner dans la mesure du possible le médiateur dont le profil et les modalités d’intervention répondent au mieux aux exigences de la situation, travail rendu encore plus complexe que le juge n’est pas toujours un expert de la médiation, et que la médiation, jeune profession, n’est pas pour l’heure une profession réglementée répondant à des exigences et des normes clairement établies, ni même soumis à un ordre ou à une autorité.
Le choix du médiateur est donc, vous l’avez compris, essentiel.
Enfin, je dirai que le processus de médiation doit se dérouler dans un cadre sécurisé, car les effets juridiques inhérents à l’engagement d’une médiation, à savoir l’interruption ou la suspension des délais de recours ainsi que la suspension des prescriptions, comme les effets juridiques de l’accord éventuellement trouvé à la fin du processus, sont essentiels pour garantir la légitimité, l’effectivité et l’attractivité de la médiation. Or, les effets juridiques ne sont pas toujours les mêmes d’une médiation à l’autre, conventionnelle, institutionnelle, juridictionnelle, voire d’un médiateur à l’autre. Ainsi, la saisine d’un médiateur interrompt les délais de recours et suspend les prescriptions. Toutefois, la saisine de certains médiateurs institutionnels n’est parfois que suspensive et non interruptive. Pour d’autres, notamment les délégués du Défenseur des Droits, la saisine n’est ni l’un, ni l’autre. De plus, il est parfois possible que la saisine d’un médiateur institutionnel soit suspensive en temps normal mais interruptive dans certaines situations, notamment expérimentales. Il est essentiel que ces dispositifs puissent s’aligner sur une position harmonisée vers le haut autour des dispositions prévues dans le Code de justice administrative, et je sais que certains médiateurs ici présents, membres du Club des médiateurs de service au public, militent pour la définition d’un socle commun aux médiateurs institutionnels, notamment autour de ces questions fondamentales des effets juridiques de la médiation. Ensuite, s’agissant de la sécurité juridique des accords issus de médiation, les juridictions administratives ont, là aussi, récemment produit et diffusé une note exhaustive sur le sujet le 22 mars dernier intitulé : « accord issu de médiations et homologation », qui souligne que l’accord issu de médiation ne doit pas nécessairement prendre la forme d’une transaction au sens du Code civil, contrairement à un accord transactionnel, un accord de médiation ne requiert pas nécessairement de concession réciproque. De même, un accord de médiation n’est pas toujours écrit et ne peut être que partiel. Le requérant se réservant ainsi le droit de saisir la juridiction du reliquat du litige ou de maintenir sa requête sur ces éléments. Enfin, l’accord n’a pas besoin d’être homologué pour être exécuté si l’accord règle les différends, il présente un caractère obligatoire pour les parties et est exécutoire de plein droit. Si l’accord a la nature de transaction, il bénéficie de l’autorité de la chose jugée et s’impose aux parties qui l’ont accompli.
C’est à nous tous de faire bouger les lignes pour plus de qualité. Soyez assurés de notre plein engagement sans faille pour accompagner et promouvoir le bon et le prompt développement de la juridiction administrative.
- Vincent Agacinski : J’ai reconnu votre professionnalisme à la tenue des délais. Je me tourne enfin vers vous, Christelle Dubos, vous êtes récente dans le métier de médiation et particulièrement bien placée pour aborder la question de l’avenir à la tête d’un réseau important de médiateurs dans les Caisses d’allocations familiales dans l’ensemble des départements et en représentant l’ensemble des médiateurs de la famille du champ de la Sécurité sociale, coordonnés par la loi ESSOC, marqués par la présence des commissions de recours amiables dans les organismes, qui trouve peu à peu sa place. L’avenir, la branche famille, la Sécurité sociale, comment compte-t-elle donner une meilleure place à la médiation ?
- Christelle Dubos, médiatrice nationale CNAF : Merci. Bonjour à toutes et tous. Peut-être, en effet, remercier également mes collègues de la branche Sécurité sociale et parler en leur nom dans le cadre de la loi ESSOC qui a conforté le rôle de la médiation dans nos branches en la définissant notamment avec un niveau national et local. Plus concrètement, parler de la branche famille, que je porte et connais un peu plus, sur laquelle mes collègues sont sur le même système, un médiateur national et un réseau de médiateurs en local ; au niveau de la branche famille, ce sont 149 médiateurs dans nos 101 CAF. On voit que nous n’avons pas attendu la loi ESSOC de 2018. Au niveau de la branche famille, ça existe depuis 2011. C’est un volet important qui nous semble nécessaire à porter, et c’est ce que nous faisons au quotidien avec mes collègues de la branche Sécurité sociale.
J’en veux pour preuve nos réunions car on voit qu’un allocataire peut avoir des droits à la CPAM, à la retraite, des droits en cours, une AAH, et tout cela fonctionne ensemble, et c’est ensemble que nous trouvons les solutions d’amélioration. Nous sommes conscients qu’il y a des difficultés et que c’est en interne comme en externe que nous devons les apporter, ces solutions à ces difficultés, et c’est comme cela que l’on travaille.
Je veux rappeler que la loi ESSOC nous oblige à un rapport national, il est rendu visible et est distribué et à disposition de tout un chacun, mais il n’est pas qu’un outil de vitrine mais aussi de travail et de décision. D’abord, ce rapport national est basé sur un rapport fait en local, pour nous, dans la branche famille. Chaque département a son propre rapport qui permet aux directeurs, et c’est là mon rôle aussi, d’expliquer aux directeurs que ce rapport ne sert pas à caler une armoire mais à faire améliorer le service rendu en interne mais aussi aux allocataires. Quelques exemples sur ce rapport annuel. Ce sont près de 20 000 demandes qui ont eu lieu en 2021 dans la branche famille, dont 18% émanent de la Défenseure des droits et de ses délégués. 39% des médiations ont abouti, ont abouti à une révision de la décision initiale. Ce sont 12 millions d’euros de rappels qui ont été faits aux allocataires et 1,3 million d’indus injustifiés annulés. Certes, nos médiateurs sont salariés de notre branche mais ils ont une impartialité dans le sens où ils font évoluer les services et ils reprennent, et c’est le fait qu’ils soient salariés de notre branche, ils ont accès aux dossiers dans leur totalité, ce qui leur permet de rouvrir un dossier et le réétudier entièrement en lien avec l’allocataire et avec les services en toute neutralité, dans le cadre de son mandat de médiateur au sein de notre branche. J’en veux pour preuve que nos médiateurs également sont aussi des alertes, des lanceurs d’alerte, si vous me permettez l’expression. A JPP, location journalière de présence parentale, sur une incohérence, on avait des allocataires qui remontaient petit à petit auprès de nos médiateurs ce sujet et mon rôle a été d’alerter mes directeurs de la prestation en lien avec la direction de la Sécurité sociale pour trouver la bonne solution, et c’est la solution proposée par le médiateur qui a été retenue, l’ADSS a réaffirmé cette ouverture de droit et nous avons fait une instruction technique à l’ensemble des CAF pour rouvrir les droits dans de bonnes conditions. C’est ça aussi, le rôle des médiateurs, être dans l’alerte et l’attention du quotidien pour apporter des réponses. C’est aussi des éléments qui, et là, on revient sur notre outil de diagnostic qu’est le rapport, notamment sur des préconisations qui sont faites... En 2018, on se rend compte que le complément mode de garde n’est pas ouvert aux services civiques qui ne font pas partie des personnes en bénéficiant, nous avons donc fait cette remontée, et aujourd’hui, c’est ouvert aux services civiques, et donc, c’est dans ce cadre qu’on peut faire évoluer les textes législatifs et réglementaires, et enfin, il y a un dernier élément, qui est la recommandation en équité, dont on a peu parlé aujourd’hui. Lorsqu’on a un trou dans la raquette législative, et je peux en parler en tant qu’ancienne députée, sur une ouverture de droits pour une situation exceptionnelle qui ne fait pas jurisprudence et qui n’ouvrira pas des droits à des milliers de Français, un directeur de CAF peut ouvrir un droit exceptionnel. Cette recommandation est portée par les médiateurs avec une validation de la part du directeur. Nous les suivons au niveau national pour voir si, à terme, il n’y a pas une demande à faire de façon plus large parce que, peut-être que, d’un petit trou dans la raquette, il peut y avoir un gros trou dans le filet et c’est à nous de montrer qu’il y a une difficulté pour les Françaises et les Français. Nous travaillons également avec la notion d’explication. Souvent, on parle médiation. C’est beaucoup d’explications sur qu’est-ce que le droit, qu’est-ce que le courrier que vous venez de recevoir, la notification... Nous, les médiateurs, en tout cas, nous travaillons aussi avec nos agents d’accueil et également avec un panel d’allocataires pour essayer de mieux rédiger nos courriers. On sait qu’ils sont très compliqués, mais quand on veut les simplifier, il manque des lignes obligatoires, et quand elles sont trop complexes, elles sont illisibles, donc il faut trouver l’équilibre de comment l’écrire. Et donc, ce travail-là, il est fait avec un panel d’allocataires et les médiateurs notamment, et nos agents d’accueil sont aussi informés ou familiarisés aux demandes les plus récurrentes de non-compréhension d’une notification pour réexpliquer de façon simple aux allocataires qui viennent à l’accueil, et je crois que c’est aussi ce travail qui est nécessaire. Nous sommes donc également conscients, pour en terminer peut-être sur cet avant-dernier point, que nous avons une hétérogénéité, en tout cas au niveau de la visibilité de nos médiateurs, en tout cas dans la branche de la famille, où on voit bien que nous avons des CAF qui mettent très bien en avant le médiateur, d’autres un peu moins, parce que comme ça, il y a moins de travail, moins de demandes, et on connaît le cercle vicieux ou vertueux que cela peut engendrer. Nous avons ouvert une simplification suite à la MPO qui nous avait été faite de façon expérimentale et qui n’a pas marché pour nous, pour différentes raisons, et on s’est engagé à mettre en place une téléprocédure en plus de la saisie par un allocataire par courrier, téléphone, par mail... donc toutes les possibilités sont faites pour que l’allocataire puisse saisir le médiateur. Cette téléprocédure permettra d’avoir une nouvelle façon d’interpeller nos médiateurs et d’être visible d’une façon homogène sur l’ensemble de notre site caf.fr et de nos CAF en local. Quatre CAF expérimentales en juin 2023 pour voir comment ça fonctionne, une CAF qui a déjà bénéficié de la MPO sur la saison d’avant...
- (Hors micro)
- 75 44 06... J’ai un trou ! 82 ? Yes !
Mes collègues me confirment. Une CAF qui avait fait de la MPO au préalable, deux CAF qui ont des médiateurs qui fonctionnent bien, et une CAF qui a un médiateur qui fonctionne moins bien, afin d’avoir une vraie visibilité sur cette téléprocédure, et si tout se passe bien, en septembre-octobre, une ouverture complète. Enfin, nous y travaillons dans le sens où un travail en concertation est fait dans le cadre de ces deux propositions et dès qu’il y a une saisine simultanée de la médiation et du contentieux, on fait intervenir systématiquement le médiateur au préalable dans le sens où on pense, et il nous semble plus légitime qu’il vaut mieux une discussion qu’un contentieux, mais dans les contentieux, ce sont des gens qui ne veulent pas de médiation et qui veulent aller au plus fort parce qu’ils se sentent bafoués de leurs droits, donc la médiation ne servira parfois pas à grand-chose. Et enfin, un dernier point que vous avez soulevé, qui me permet de revenir sur le travail national avec nos collègues de l’interbranche Sécurité sociale, c’est que nous avons bien la notion de difficulté entre suspensions et interruptions des droits, et donc, nous sommes en train de travailler chacun ensemble, mais aussi de notre côté, à faire valider une note qui devrait être envoyée à notre direction de la Sécurité sociale, on la fait valider dans notre COMEX et notre conseil d’administration et si on est tous d’accord au niveau des médiateurs nationaux et que nos conseils d’administration de branche nationale sont d’accord, nous voulons faire évoluer ce droit parce que nous avons besoin d’un souci de renforcement du droit de l’usager et une simplification aussi pour nous, et en effet, il y a une mise en cohérence nécessaire entre les médiations institutionnelles et conventionnelles sur ce droit qui doit être partout le même, appliqué de la même façon pour l’usager mais aussi tout simplement pour nous au quotidien et qu’on se parle de la même façon avec le même langage. Voilà très rapidement pour être plus concret sur les éléments de la Sécurité sociale et de la branche famille. Je vous remercie.
- Je vous remercie beaucoup.
C’était effectivement un zoom avant qu’on a vu de l’européen au transversal jusqu’au sectoriel et qui permettait justement de voir que nous partageons ces questions, ces questions de lisibilité, d’accessibilité, d’harmonisation, même s’il ne s’agit pas de faire exactement pareil dans toutes les structures. Un point sur lequel j’aimerais qu’on termine avant l’arrivée du vice-président, c’est l’importance des préconisations des médiateurs pour l’amélioration des pratiques. Il en a été question dans la table ronde précédente, mais c’est cela que nous vous proposons de porter ensemble dans les mois et années qui viennent, notamment dans l’année 2023 que l’on va placer sous le signe de la médiation du fait justement de ce cinquantième anniversaire, qui sera l’occasion pour la Défenseure des droits de vous proposer de rassembler les préconisations portées par les médiateurs de la relation usagers/services publiques pour l’amélioration justement de cette relation entre l’usager et l’administration, les préconisations générales du type de celles qui ont permis le droit à l’erreur, qui vont permettre d’améliorer le droit à l’information, une meilleure harmonisation des recours, etc. C’est dans cette direction-là que, je dois, nous allons pouvoir œuvrer ensemble. Nous allons pouvoir continuer à discuter après cette rencontre, dans des rencontres régulières tout à l’heure aussi sur le palier. Avant de donner la parole au vice-président Tabuteau, je veux remercier les équipes qui ont participé à l’organisation de ce colloque, le Défenseur des Droits, la direction des droits et de l’égalité, les équipes de la communication, les équipes de la vélotypie et de la traduction en langue des signes française, et à l’équipe de la captation car je vous informe que ces échanges seront disponibles en visio. Ils n’étaient pas en direct mais le seront en visio pour ceux qui souhaitent le partager. Et donc, on peut les remercier et les applaudir.
On peut quand même prendre une ou deux interpellations de la part des participants dans la salle, et M. Santiago Serrano lève la main, médiateur de Seine-Saint-Denis. Je gagne du temps en te présentant, puisqu’on se connaît.
- Bonjour. Merci de m’avoir présenté. Je trouve ça très intéressant. Toutes les questions de socle commun, droit des médiateurs, etc., je trouve qu’il y a un travail à faire, et le Défenseur des Droits, enfant du Médiateur de la République, l’être suprême si je prends un petit ton révolutionnaire sur la médiation, pour être en tout cas l’animateur de ce travail entre nous, pour la médiation institutionnelle, d’abord, et effectivement, garantir l’indépendance, c’est quoi les mandats, les durées de mandat sont aléatoires, on interrompt les délais pour saisir le tribunal, d’autres les suspendent, etc., il y a un travail à faire là-dessus. On fait tous des recommandations, mais quand la recommandation est approuvée par l’administration, que devient-elle ? Demain, on ne peut pas faire un test disant que, une fois que c’est validé, l’administration a deux ans pour le faire, car qui va contrôler ? Peut-être le Défenseur des Droits... Il me semble qu’il faudrait qu’on se mette au travail là-dessus, et merci à Amaury Lenoir car on a démarré une expérimentation avec le tribunal de Montreuil, il y a une ordonnance de médiation pour chaque usager qui va au tribunal. 30% de contentieux en moins. 90% de taux d’acceptation des personnes à la médiation un an plus tard et 30% de contentieux en moins. Ça pourrait se développer. On le fait avec notre président auprès des adhérents de l’association Association des Médiateurs de Collectivités Territoriales, pourquoi pas demain à la CPAM, à l’Education nationale, à Pôle Emploi ? Il y aurait quelque chose d’intéressant pour aller dans le sens de ce que vous disiez. On a un conseil d’administration demain à la MCT, je ne vais pas spéculer mais si vous lanciez ça, vous trouveriez auprès de vous la MCT comme un allié sur ce travail. Tous les trois, vous allez être au Conseil national de la médiation, je crois, on a posé candidature, j’espère que Christian Leyrit pourra y siéger avec son suppléant, mais évidemment, vous seriez un relais intéressant parce que, demain, c’est une loi qu’il faut sans doute déposer pour améliorer les choses, agent par agent, quelles garanties, etc., il y a plein de questions qu’il faut qu’on voient pour avancer et augmenter le contre-pouvoir que représente la médiation dans son ensemble. Je vous remercie.
- Merci. Effectivement, une question d’organisation entre nous. M. le médiateur des ministères économiques et financiers a demandé la parole également.
- Merci. Merci de tout ce qui a été dit jusque-là sur ces sujets de futur.
Je voudrais insister sur le fait qu’au sein du Club des médiateurs de service au public, on a évidemment réfléchi à cette question du socle, et ça fait plusieurs années de ça. Plusieurs ateliers se sont tenus. Dans un premier temps, on a essayé d’imaginer ce que serait le socle avec un grand S. Aujourd’hui, ce que nous disons, c’est qu’il y a un point qui dépasse tous les autres. Les organisations sont différentes, les pratiques peuvent être un peu différentes d’un endroit à l’autre, il y a sans doute des progrès à accomplir ça et là, mais il y a un aspect historique à cela. La médiation est née en 2002, il y en a qui sont nés il y a deux ans, tout ça ne peut pas être la même chose, mais il y a un point qui dépasse tous les autres et qui, en termes de visibilité est problématique, c’est la question des délais, certains m’ont déjà entendu dire ça, désolé à leur égard, et de ce point de vue, je rejoins la proposition d’Amaury Lenoir de tout à l’heure : transposons l’article L213-6 à nos médiations, ce qui interromprait les délais et suspendrait la prescription. Ça nous irait très bien.
- Le message est passé.
Je propose qu’on rende la parole. Je vous remercie beaucoup tous les trois et l’ensemble des participants à cette table ronde. J’invite M. le vice-président Tabuteau à prendre la parole au pupitre. Je vous remercie.

Conclusion – Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’Etat

Madame la Défenseure des droits, Mesdames, Messieurs les directeurs d’administration, Mesdames, Messieurs les présidents, Mesdames, Messieurs les médiateurs, Mesdames, Messieurs, chers amis, je ne vais pas cacher le plaisir que j’ai d’être parmi vous aujourd’hui, même si je suis arrivé in extremis, j’en suis désolé, et je viens du tribunal administratif de Montreuil, et la traversée à cette heure-là n’est pas idéale. Merci chère Claire Hédon de m’avoir invité à dire quelques mots. C’est toujours difficile quand on n’a pas assisté à la journée parce qu’on peut soit répéter, soit être un petit peu en porte-à-faux. Mais on va essayer quand même de revenir sur des questions qui, je crois, nous sont communes, qui intéressent très directement votre assemblée et très précieusement le Conseil d’Etat dans son rôle de régulateur de l’action publique. Je suis particulièrement heureux d’intervenir en clôture de cet après-midi pour commémorer la création il y a cinquante ans du Médiateur de la République. Cette institution, comme bien sûr le Défenseur des Droits, qui l’a intégré en 2008, a constitué une innovation essentielle pour notre organisation publique. Au-delà de son rôle institutionnel, cette création par la loi du 3 janvier 1973 était, je crois, le signe d’une évolution et même d’un progrès dans la conception de l’administration et peut-être plus largement de notre démocratie.
La médiation, qui a été largement étudiée aujourd’hui, et je suis heureux d’avoir entendu les derniers propos, renvoie à la question plus globale de la relation entre l’usager et l’administration, éternelle question dans un pays très administré, très administratif. L’amélioration de ces rapports est un gage de légitimité pour l’administration, et de diminution de la conflictualité pour la société.
Cette amélioration, avec l’idée d’avènement d’une démocratie administrative, pour reprendre des mots qui ont été pendant longtemps utilisés, à partir des années 1970, répondait aux limites supposées de la démocratie représentative et au caractère évidemment très unilatéral de l’action publique à l’époque. Elle devait ainsi répondre aux critiques de ceux qui ne se sentent pas suffisamment représentés dans la confection des normes nationales et européennes. Il ne s’agissait pas de développer une administration démocratique ouvrant le droit à des administrateurs élus mais il s’agissait de faire de l’administration un des supports et un des vecteurs d’une démocratie renouvelée. Cette forme démocratique devait associer les administrés au travail de l’administration, dans la logique d’Habermas selon lequel « les citoyens doivent pouvoir se concevoir à tout moment comme les auteurs du droit auquel ils sont soumis en tant que destinataires ». Si cette évolution a été largement bénéfique, elle n’a pas tari évidemment les critiques adressées à l’administration. En effet, au-delà de la relation formelle entre l’administration et l’administré, c’est finalement la qualité du service rendu qui est jugée. Ce sont les réalisations concrètes de l’administration, et en particulier la délivrance du service public, qui sont la source première d’appréciation de l’action publique, et assez largement de l’action politique.
A tout prendre, il vaut toujours mieux que l’administration délivre de manière satisfaisante le service public plutôt que de prévoir des cordes de rappel, à l’instar de la médiation, qui sont utiles en particulier lorsque l’administration est défaillante. L’idéal, c’est finalement qu’on aboutisse à la suppression de la Défenseure des droits, qu’elle ne soit plus nécessaire. Les améliorations de l’administration doivent ainsi, au-delà du rapport avec les administrés, redonner toute leur place à l’efficacité du service public, qui est l’un des ciments de notre société. L’avènement de cette forme de démocratie administrative contribue à l’amélioration de la relation entre l’administration et l’administré, cette évolution qui s’est ancrée à partir des années 70 devait tempérer voire modifier la vision d’une administration bureaucratique, telle que décrite par Max Weber dans son ouvrage Economie et Société. L’idéal type de cette administration impersonnelle conduit, par sa construction unitaire et hiérarchique, à une distanciation avec les administrés, l’administration étant alors vu comme un bloc rigide, parfois inaccessible, voire secret. Bien sûr, avant même 70, les citoyens et les usagers ne sont pas dans une position de sujets directs, les normes législatives restent votées par leurs représentants, les consultations existent, les recours juridictionnels contre les décisions de l’administration sont en France largement admis et depuis longtemps. Mais la démocratie administrative a ouvert des développements qui imprègnent largement l’administration d’aujourd’hui, et ça se décline en général autour de trois points : l’amélioration des rapports entre administrés et administration, ensuite, la défense des droits des administrés, et enfin, la participation de ces derniers aux processus décisionnels de l’administration.
Premier temps, donc, les rapports entre les administrés et l’administration ont été entourés de garanties les facilitant et les favorisant. Dans les textes, ils se sont concrétisés en France notamment par la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration, puis dans le CRPA entré en vigueur en janvier 2016. Elles ont été exprimées également par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, adoptée le 7 décembre 2000, qui proclame le droit à une bonne administration.
Ces textes prolongent, concrétisent et cristallisent plusieurs décennies d’avancées éparses, allant bien sûr du droit d’accès aux documents administratifs à l’obligation de motivation des actes administratifs comportant des décisions individuelles défavorables. Ces principes ne sont pas figés bien que bien établis, et l’évolution de l’administration doit nécessairement aller avec son temps, à l’instar de ce qui a pu exister dans la loi du 17 octobre 2016 qui étend le droit de communication aux algorithmes utilisés dans les traitements des décisions individuelles. Au-delà de la consécration des droits des administrés dans leur rapport avec l’administration, ce sont les modalités du rapport quotidien et concret qui ont évolué afin de les améliorer ou harmoniser les bonnes pratiques. On peut ainsi citer le développement de la Charte Marianne ou le développement des téléservices qui permettent en principe d’effectuer des démarches à toute heure de ru et de la nuit. Dans cette ligne, le Conseil d’Etat, dans des décisions de 2022, a précisé que l’obligation d’avoir recours à un téléservice que si l’accès aux droits des usagers et garantie, et je souligne l’importance de cette décision et son caractère fondamental pour l’accès effectif aux services publics et je connais l’attachement de la Défenseure des droits à ces principes, même si des difficultés peuvent encore être rencontrées. En deuxième lieu, la défense des droits des administrés, que Philippe Bezès a nommé le réformisme des contre-pouvoirs, s’est traduite par l’institution d’autorités administratives indépendantes chargées de protéger notamment les droits que je viens d’annoncer, en particulier le Médiateur de la République en 73, mais également la CNIL, et la Commission d’accès aux documents administratifs, les deux en 78. Le Défenseur des Droits, autorité constitutionnelle, s’inscrit bien sûr dans ce cadre. Ces autorités ont pour objectif principal de garantir les droits des administrés au sein même de l’administration et non plus de l’extérieur comme peuvent le faire par exemple les associations.
La possibilité de médiation est un exemple type de cette vocation, en particulier lorsqu’elle est prévue par l’administration elle-même. Je n’y reviens pas puisqu’elle a été largement analysée cet après-midi, mais sa vocation pacificatrice des différends est un exemple éloquent des objectifs assignés à cette idée de démocratie administrative, même si, comme ça a été souligné, il y a encore des efforts à faire et une acculturation à la médiation.
En troisième lieu, la démocratie administrative s’est développée autour de la participation des administrés au processus décisionnel de l’administration. On est ici bien sûr dans le sens le plus proche du mot de démocratie, c’est-à-dire de participation directe de la population à la formulation des normes qui s’appliquent à elle. Cela a conduit au développement des débats publics, divers et variés, je me souviens d’Etats généraux dans certains secteurs, des consultations nationales, des Grenelle, des Ségur, portant sur des sujets relevant du champ d’action de l’administration. L’idée d’une administration excluant le citoyen de son champ de vision et de ses mesures d’instruction a ainsi fortement et très heureusement reculé.
Le droit de l’environnement s’est développé avec cette méthode et la Charte de l’environnement dispose en son article 7 que « toute personne a le droit non seulement d’accéder aux informations relatives à l’environnement, mais encore de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». Vaste programme. Le rapport annuel de 2011 du Conseil d’Etat, « Consulter autrement, participer effectivement », a étudié ces transformations et formulé des propositions d’amélioration. Permettez également à l’ancien président de la section sociale du Conseil d’Etat de faire une place particulière à la démocratie sanitaire, cette forme d’organisation qui doit associer l’ensemble des acteurs du système de santé dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique de santé dans un esprit de dialogue et de concertation. Elle se fonde sur « le droit et la capacité de chacun de connaître, décider et agir pour sa santé et la protection de la santé publique », et ça a abouti à la loi du 4 mars 2002. Les obligations relatives au respect des droits des usagers, des malades et de leurs proches, mais aussi leur participation au processus décisionnel de l’administration, lui font cousiner à la démocratie administrative. Les problèmes actuels du système de santé rappellent toutefois que, si la démocratie administrative a été un progrès, la légitimité du service public vient avant toute chose de son efficacité et de la satisfaction des demandes légitimes de l’usager. Ce sera le deuxième temps de ce propos.
Michel Debré énonçait « que la légitimité est le mot clé des époques difficiles ». Cette appréciation pourrait être appliquée à l’administration qui a cherché dans la démocratie administrative une nouvelle source de légitimation alors que les critiques se multipliaient sur son action. Toutefois et paradoxalement, alors que le mouvement de démocratie administrative devait améliorer la relation entre l’administration et les usagers, il a pu alourdir les procédures, parfois dégrader la perception du service public, sinon sa délivrance. La multiplication des procédures de consultation peut rendre plus difficile l’action, c’est en particulier le cas lorsque la procédure est suivie de manière formaliste, comme s’il s’agissait d’une obligation inutile et non d’un moyen réel pour améliorer le service public. Ça a pu conduire parfois à un certain discrédit de l’administration. En comparaison avec l’action d’entreprises privées non corsetées par autant de normes et de procédures.
Le Conseil d’Etat au contentieux a créé des remèdes à cette multiplication des obligations de consultation et a jugé qu’un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable n’était de nature à entacher d’illégalité la décision prise qu’en cas d’influence sur le sens de la décision prise ou la privation effective d’une garantie, c’est la célèbre jurisprudence Danthony de 2011. Cette jurisprudence ne retire toutefois rien à la nécessité et elle a parfois été mal interprétée, et parfois, la lourdeur des procédures qui s’imposent à l’administration.
Dans ses fonctions consultatives, le Conseil d’Etat veille au respect des procédures mises en place dans le cadre de la démocratie administrative, et il reste vigilant à ce que les nouvelles normes ne prévoient pas des procédures trop lourdes qui corsèteraient l’administration, on peut par exemple citer l’adaptation des procédures d’urbanisme applicables aux projets de développement de sources d’énergies renouvelables, présentée en septembre dernier, où le Conseil d’Etat a vérifié que cette modification préservait l’équilibre entre les objectifs de simplification et les obligations de consultation et d’évaluation obligatoires pour des mesures ayant des incidences sur l’environnement. Dans ses fonctions de prospective et d’amélioration des politiques publiques, enfin, le Conseil d’Etat formule des propositions pour simplifier la délivrance des politiques publiques, il a par exemple proposé de faciliter la délivrance des prestations sociales en harmonisant les critères de condition de ressources qui sont prises en compte par l’administration pour leur octroi. Cette harmonisation pourrait simplifier les demandes et l’accord des prestations. Ça serait une avancée pour le bénéficiaire comme pour l’administration. C’est finalement en s’attachant à la préservation de l’équilibre entre efficacité de l’action publique et association des administrés que la légitimité des politiques publiques sera réassurée. L’amélioration de la délivrance des services publics suppose des efforts importants, notamment sur plusieurs axes. D’abord, la nécessité de déployer des moyens pour garantir l’accès géographique ou numérique des services, mais aussi suivre le parcours concret de l’usager face à l’administration qui délivre le service public, cela suppose d’aller voir le formulaire que le demandeur doit remplir, ou le site Internet sur lequel il présente sa demande. Les communications de la Défenseure des droits mettent souvent en lumière les dysfonctionnements au quotidien qui privent les usagers de l’accès à leurs droits ont ainsi été mises en exergue des difficultés se manifestant auprès de la protection de l’enfance dans certains départements, des aides à la rénovation énergétique ou encore de l’accès au service public de la naturalisation. C’est en permettant l’accompagnement des usagers par des agents que le service public retrouve à l’inverse sa légitimité. Cela suppose une confiance dans les acteurs de terrain pour leur redonner des marges d’action et cela suppose également d’écouter les alertes qui remontent des corps intermédiaires et des institutions qui se font les courroies de transmission de ces obstacles. Le suivi et les évaluations des effets des politiques publiques sont enfin des conditions d’amélioration de la délivrance effective des services publics. Des progrès pourront être réalisés grâce à l’usage de moyens nouveaux, à l’instar de l’intelligence artificielle dans l’administration, mais ces progrès ne seront acquis qu’à condition que les moyens économisés par le déploiement de ces technologies soient effectivement redéployés pour l’accompagnement des situations individuelles complexes, c’est ce qu’a recommandé le Conseil d’Etat dans son étude sur l’intelligence artificielle réalisée à la demande du gouvernement. Ces évolutions appellent souvent à des changements culturels au sein même de l’administration et au sein de la société. L’ajustement aux besoins réels est souvent limité par des normes trop précises, fruit de l’héritage centralisateur. L’attachement au principe d’égalité pousse le législateur ou l’administration à chercher à prévoir toutes les situations, ou à multiplier les critères qui finissent par exclure des catégories de personnes, et la relation entre l’administration et l’usager est alors rompue. Ces questions sont au cœur du travail de la Défenseure des droits et seront également, et vous le savez, chère Claire Hédon, elles seront également traitées dans le l’étude annuelle du Conseil d’Etat consacrée au dernier kilomètre dont les conclusions seront présentées en septembre 2023. Ainsi, la démocratie administrative et l’efficacité de l’administration se complètent et s’alimentent et doivent être développées chacune à l’égard de l’autre, c’est ce à quoi la juridiction administrative s’attache, elle le fait par le recours à la médiation, qui a conduit à la réalisation de plus de 4000 médiations depuis 2017, mais aussi par la création du mécanisme de médiation préalable obligatoire dans certains cas. Mais également et j’ose dire « surtout », la juridiction administrative s’attache à préserver un service public de qualité et de proximité. Les requérants peuvent ainsi saisir les juridictions par la voie numérique, mais ils peuvent également toujours appeler les greffes directement et les délais moyens de jugement restent inférieurs à un an dans la quasi-totalité des cas.
Les mécanismes d’alerte, de médiation, d’intervention sont éminemment nécessaires. Il faut les préserver et, en même temps, tout faire pour qu’ils deviennent inutiles. C’est-à-dire diminuer les cas où le service public est déficient et l’usager dans l’incapacité de trouver auprès de l’administration une réponse à sa demande. En cette après-midi commémorant le cinquantième anniversaire du Médiateur de la République, nous sommes encore très loin de l’inutilité de ces procédures destinées à compenser l’imperfection de la garantie concrète des droits des administrés. Puisqu’on est encore en début d’année, je forme le vœu que cette nouvelle année permette de remédier au moins en partie aux situations qui affectent le service public, alors que celui-ci est au cœur de notre pacte social, qu’il est un ferment de la cohésion de notre collectivité et qu’il faut, évidemment, le préserver. Je vous remercie de votre attention.




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