L’agent public lanceur d’alerte
23 juillet 2024
- Lanceurs d'alerte
- Services publics
Quelle liberté d’expression pour les agents publics et quelle possibilité pour eux de signaler certaines pratiques ou décisions répréhensibles dont ils seraient témoins « de l’intérieur » ?
Le Défenseur des droits, autorité en charge de l’accompagnement des lanceurs d’alerte, fait le point.
Principes et notions en débat
La liberté d’opinion des agents publics, garantie par la loi (L. 111-1 du code général de la fonction publique, CGFP), ne connaît pas de limite. Les manifestations des opinions dans l’exercice des fonctions sont en revanche encadrées.
La liberté d’expression des agents publics peut être limitée au nom de plusieurs principes :
- La discrétion professionnelle interdit de diffuser à des tiers non autorisés des informations non publiques, dont l’agent a eu connaissance dans le cadre de ses fonctions (L.121-7 CGFP)
- Le respect du secret professionnel interdit la divulgation d’informations ayant un caractère secret obtenues dans le cadre professionnel (informations couvertes par le secret médical, informations obtenues à titre confidentiel …. ) (L. 121-6 CGFP)
- Le principe de neutralité interdit à l’agent de manifester ses opinions religieuses dans l’exercice de ses fonctions (L. 121-2 CGFP).
- Le devoir de réserve impose à l’agent de faire preuve de modération lorsqu’il tient publiquement des propos en dehors de ses fonctions (les contours du devoir de réserve, d’origine jurisprudentielle, varient selon le poste occupé, la teneur des propos et leur mode et contexte de diffusion).
- Le devoir de loyauté – d’origine jurisprudentielle également – interdit, notamment, de jeter le discrédit sur les institutions républicaines.
Le droit d’alerter, régi par la loi du 9 décembre 2016 est un corollaire de la liberté d’expression. Ce droit a été considérablement renforcé en 2022 (loi du 21 mars 2022).
La législation offre des garanties à l’agent qui entend dévoiler des faits/actes répréhensibles, s’il le fait dans les formes requises (la procédure d’alerte).
- Le lanceur d’alerte doit choisir les modalités de sa démarche d’alerte :
- Au sein de son administration, auprès de son supérieur hiérarchique, d’un référent ou de la personne désignée par la procédure ad hoc mise en place pour recueillir les alertes professionnelles ;
- En dehors de son administration, auprès d’une autorité désignée pour recevoir les signalements, du Procureur de la République ou du Défenseur des droits.
- Le lanceur d’alerte choisit librement entre l’une ou l’autre de ces modalités. Il n’est plus tenu – depuis la loi du 21 mars 2022 – d’effectuer une alerte interne préalablement à la saisine d’une autorité externe.
- Le droit d’alerter concerne l’agent tant dans l’exercice de ses fonctions qu’en dehors. Le statut du lanceur d’alerte n’est en effet pas limité au cadre professionnel.
- Le lanceur d’alerte agit dans l’intérêt général, ce qui est dénoncé doit donc dépasser la seule situation personnelle de l’agent.
- Le lanceur d’alerte doit être de bonne foi, faute de quoi il ne peut être protégé et s’expose à des sanctions (par exemple, dénonciation calomnieuse). La mauvaise foi résulte d’une connaissance par le lanceur d’alerte de la fausseté des faits qu’il dénonce ou de leur caractère très peu étayé doublé d’une preuve de l’intention de nuire.
- Toute mesure de représailles à l’encontre d’un lanceur d’alerte est interdite et réprimée par la loi, sur le plan pénal notamment. Devant le juge, le lanceur d’alerte bénéficie d’un aménagement de la charge de la preuve.
- Il existe d’autres dispositifs d’alerte dans la fonction publique, principalement prévus par :
- L’article 40 du code de procédure pénale, qui prévoit une obligation de signalement des crimes et délits au procureur de la République. L’agent qui met en œuvre cette disposition est protégé en tant que lanceur d’alerte.
- L’article L. 135-1 du code général de la fonction publique relatif au signalement de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime aux autorités administratives. L’agent qui met en œuvre cette disposition est protégé en tant que lanceur d’alerte.
L’agent public lanceur d’alerte ne peut donc se voir reprocher d’avoir témoigné des faits qu’il a signalés.
Pour plus de précisions, voir le guide publié sur le site du Défenseur des droits.
L’alerte une modalité d’expression de l’agent public
Le devoir de réserve ne limite pas le droit d’alerte
Le droit d’alerter s’exerce en principe de façon non publique : le signalement est adressé en interne (au sein de la structure d’emploi) ou auprès d’une autorité externe désignée par la loi. Les personnes qui traitent l’alerte sont tenues à une obligation de confidentialité.
Selon la loi, l’alerte ne peut être portée à la connaissance du public que de manière exceptionnelle, notamment en cas de danger grave et imminent.
Le devoir de réserve – qui circonscrit uniquement les modes d’expression publique - ne peut dès lors être opposé au stade du signalement interne ou externe.
Lorsque le signalement est rendu public en revanche, le droit d’alerter doit être combiné avec l’obligation de réserve (CE, 29 déc. 2021, 433838, rec. T.). Le devoir de réserve ne s’efface pas.
Le secret professionnel n’empêche pas l’alerte
Le droit d’alerte permet à l’agent de méconnaître les secrets protégés par la loi (secret professionnel notamment), hormis en ce qui concerne cinq secrets explicitement exclus du droit de l’alerte (secret de la défense nationale, secret médical, secret des délibérations judiciaires, secret de l'enquête ou de l'instruction judiciaires ou secret professionnel de l'avocat, art. 6 de la loi du 9 décembre 2016).
Le droit d’alerte concerne très largement l’agent public
Tous les agents
Tous les agents sont concernés, quels que soient leur statut (vacataire, contractuel, statutaire) et la personne publique qui les emploie (Etat, administration territoriale, autre administration).
Pour des faits nombreux
L’alerte permet de dénoncer non seulement ce qui paraît illégal mais aussi contraire à l’intérêt général.
On ne demande pas au lanceur d’alerte d’avoir la certitude que ce qu’il divulgue est vrai mais seulement d’avoir des motifs raisonnables de penser que c’est le cas. Un soupçon étayé (par des documents, témoignages) permet de lancer l’alerte.
L’alerte peut porter sur tout type d’acte, notamment l’un de ceux que l’agent ne pourrait pas contester faute d’intérêt pour agir (comme des actes concernant des usagers) ou sur des comportements.
Qui peut lancer l'alerte dans la fonction publique ?
Peut potentiellement être lanceur d’alerte dans la fonction publique
- Un agent dénonçant des discriminations systémiques, au sein de son administration, ou vis-à-vis des usagers.
- Un agent qui dénonce le comportement violent d’un collègue.
- Un agent qui dénonce des faits de corruption, la méconnaissance des règles de passation des marchés publics.
Ne peuvent pas être lanceur d’alerte au sens de la loi
- Les personnes morales (association, syndicats) ; Ces personnes morales peuvent cependant aider un lanceur d’alerte et être protégées – comme l’entourage du lanceur d’alerte – en tant que facilitateur.
- Les victimes qui signalent des faits qui les concernent exclusivement.
Le Défenseur des droits a pour mission de garantir la protection des agents publics lanceurs d’alerte.
- Le Défenseur des droits dispose de plusieurs outils qui peuvent être mobilisés pour la protection des lanceurs d’alerte.
- Une certification peut notamment être adressée par l’institution aux personnes qui ont lancé une alerte dans les conditions prévues par la loi, qui rappelle leur statut de lanceur d’alerte et les protections liées.
- Des recommandations peuvent être adressées à l’employeur auteur de représailles, ou des observations en justice peuvent être produites lorsque ces représailles sont contestées devant le juge.
Le Défenseur des droits peut aussi orienter les lanceurs d’alerte et traiter des alertes dans certains domaines : les relations avec le service public, les droits de l’enfant, la déontologie des forces de sécurité et les discriminations.
En 2023, le Défenseur des droits a enregistré 306 réclamations dont 31 % concernait des agents publics.
Il a notamment examiné les situations suivantes :
- Des policiers ayant témoigné de faits de corruption et de violence (Certifications).
- Un policier ayant dénoncé des violences (Observations devant la cour administrative d’appel qui a annulé la sanction prise à l’encontre du lanceur d’alerte).
- Un professeur ayant signalé des violences subies par un élève (Recommandations émises au rectorat sur les mesures défavorables subies par l’agent).
- Une directrice adjointe d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ayant dénoncé des faits de maltraitance (Certification)