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Retour sur le colloque « Le Défenseur des droits et le juge »
13 février 2025
Vendredi 7 février, la Cour de cassation accueillait le colloque « Le Défenseur des droits et le juge », organisé avec le Défenseur des droits et le Conseil d'État. Une journée riche en enseignements sur le rôle du Défenseur des droits, ainsi que ses liens avec les juridictions.
Durant une journée entière, les débats ont interrogé les rôles respectifs, les complémentarités et les modalités du dialogue entre le Défenseur des droits et les juridictions.
Les échanges très riches ont porté aussi bien sur les voies et moyens d’action organisés par le législateur que sur les pratiques quotidiennes qui permettent au Défenseur des droits de proposer aux juridictions un éclairage issu des enseignements tirés des réclamations qu’il instruit.
Programme de la journée
Allocution d’ouverture par Gérald DARMANIN ministre de la justice, Garde des sceaux
Propos introductifs :
- Christophe SOULARD, Premier président de la Cour de cassation
- Rémy HEITZ, Procureur général près la Cour de cassation
- Didier Roland TABUTEAU, vice-président du Conseil d’État
- Claire HÉDON, Défenseure des droits
Première table ronde L’insertion du Défenseur des droits dans le paysage institutionnel
Modératrice : Soraya AMRANI MEKKI, professeure de droit, Ecole de droit de Sciences Po Paris
Intervenants :
- Mireille LE CORRE, secrétaire générale du Défenseur des droits
- Antoine LYON CAEN, avocat au conseil d’État et à la Cour de cassation
- Olivier RENAUDIE, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, membre du collège déontologie de la sécurité du Défenseur des droits
Un regard européen
- Mattias GUYOMAR, juge élu au titre de la France à la Cour européenne des droits de l’Homme
Deuxième table ronde - Le cœur des relations entre le Défenseur des droits et le juge : Les observations en justice
Modératrice : Soraya AMRANI MEKKI, professeure de droit, Ecole de droit de Sciences Po Paris
Intervenants :
- Marc LOISELLE, directeur de la protection des droits - affaires publiques du Défenseur des droits
- Jean-Philippe MOCHON, président de la cinquième chambre de la section du contentieux du Conseil d’État
- Jean-Michel SOMMER, président de la chambre sociale de la Cour de cassation
Troisième table ronde - Les relations entre le Défenseur des droits et les juridictions judiciaires : l’enjeu des enquêtes
Modératrice : Soraya AMRANI MEKKI, professeure de droit, Ecole de droit de Sciences Po Paris
Intervenants :
- Yves BADORC, procureur de la République du tribunal judiciaire de Metz
- Slim BEN ACHOUR, avocat au barreau de Paris
- Marie LIEBERHERR, directrice de la protection des droits - affaires judiciaires du Défenseur des droits
Revoir le colloque en vidéo
7 février 2025 - Colloque "Le Défenseur des droits et le juge" organisé par la Cour de Cassation, le Défenseur des droits et le Conseil d'État
Monsieur le Ministre, cher Jacques Toubon, Monsieur le vice-président du Conseil d'État, monsieur le Premier Président de la Cour de cassation, Monsieur le Procureur général, près la Cour de cassation, Madame la Défenseure des droits. Monsieur le Juge, à la Cour européenne des droits de l'homme, Mesdames et Messieurs les Présidents et Procureurs, Mesdames et Messieurs,
Le colloque qui nous réunit aujourd'hui répond à un enjeu d'importance : la place et l'avenir du Défenseur des droits dans notre justice.
C'est donc une invitation, me semble-t-il, à penser la protection de nos droits fondamentaux non pas comme un état de fait, sans doute toujours à consolider, mais comme un dialogue permanent entre les institutions. Pour que la République tienne sa promesse d'égalité, comme le rappelait Jacques Toubon en quittant son office en 2020, le Défenseur des droits, créé en 2008 par la réforme constitutionnelle, n'est ni un simple organe de médiation, ni une entité marginale de notre paysage institutionnel.
Le législateur, le constituant a souhaité qu'il soit un pivot démocratique, l'un des garants du lien entre l'État et les citoyens, entre le droit et la réalité vécue. Il est donc une sentinelle essentielle qui veille avec les élus, qui assurent permanence et écoute, à ce que la loi ne soit pas une abstraction, mais bien une promesse tenue et une promesse concrète.
Le dialogue entre avec le juge n'est donc ni une interférence ni une substitution, mais doit être vue comme une complémentarité précieuse pour la démocratie, précieuse pour le droit. Une complémentarité précieuse et je dirais même, je l'espère, une complémentarité heureuse. Dans un monde où l'intelligence artificielle impacte déjà les décisions de justice, où la polarisation politique et sociale, où la radicalité fragilise la confiance dans les institutions et où les mutations sociales, économiques et climatiques génèrent de nouvelles formes de vulnérabilité.
Un grand pays a besoin d'un défenseur des droits fort, agile, pleinement intégré au dialogue institutionnel et indépendant.
Malgré tout, son action reste encore trop méconnue des juridictions du fond. Si le Défenseur des droits est bien identifié par les plus hautes instances juridictionnelles et nous sommes ici à la Cour de cassation, je remercie évidemment, Monsieur le Premier Président et Monsieur le Procureur général. Il est encore insuffisamment connu des juges de première instance.
Nous en parlions, madame la Défenseure, il y a quelques jours, alors que ce sont eux qui sont au contact direct de nos concitoyens et confrontés aux réalités concrètes de tous les litiges.
(…)
C’est tout l’intérêt de notre réunion sans doute aujourd’hui, de votre travail collectif : mieux intégrer le Défenseur des droits dans le quotidien de la justice, renforcer son dialogue avec tous les magistrats, s’assurer que les juges utilisent les outils qu’il met à leur disposition pour améliorer l’application des droits fondamentaux dès la première décision.
C’est l’intérêt des dispositifs qui permettent au Défenseur des droits d’intervenir devant les juridictions. Ses observations en justice sont devenues un levier puissant pour apporter un éclairage complémentaire.
Mais il ne s’agit pas de solliciter le Défenseur des droits dans les affaires seulement emblématiques ou médiatiques, il faut en faire un partenaire régulier, quotidien, sur toutes les problématiques où les droits fondamentaux sont en jeu.
Gageons qu’il ne faut pas s’interdire de réfléchir de manière plus ambitieuse.
La France, en érigeant cette autorité au rang constitutionnel a fait un choix ambitieux. Elle n’est pas la seule. En Espagne, on peut saisir le tribunal constitutionnel, renforçant le pouvoir juridictionnel.
Au Canada, l’équivalent du Défenseur des droits se décline selon les provinces, avec une spécialisation accrue sur les enjeux autochtones et environnementaux, bien sûr dans un Etat fédéral, mais cela mérite d’être étudié.
En Suède, le Défenseur des droits judiciaire bénéficie d’une tradition ancienne d’intervention directement auprès des juges avec un respect quasi-sacré de son indépendance.
Ce modèle libéral s’installe donc pleinement dans le cadre européen et international, plus précisément, notre modèle a évolué sous l’influence du droit européen, des conventions internationales, comme les Droits de l’enfant, ou les personnes atteintes de handicap. C’est aussi notre culture juridique de l’égalité qui s’est adaptée, nous sommes passés d’un principe d’égalité devant la loi à un principe d’égalité par la loi qui reconnaît depuis 2008, notamment la loi sur les discriminations dans l’emploi, les biens et les services, 22 critères de discriminations illégales.
La Cour européenne des droits de l’Homme a rappelé à plusieurs reprises le rôle essentiel des institutions indépendantes dans l’effectivité des droits et libertés. Dans de nombreuses affaires, elle s’est appuyée sur la Défenseur des droits pour asseoir ses décisions. Cette capacité à faire le lien avec l’Europe est une force précieuse dans un monde toujours plus complexe, particulièrement concernant la défense des droits fondamentaux.
Mais je le disais aujourd’hui, le Défenseur des droits reste trop souvent perçu comme un intervenant extérieur aux juridictions. Les magistrats de première instance le sollicitent peu, et son action demeure cantonnée à certains contentieux emblématiques. Il est donc sans doute venu le temps d’inventer de nouveaux modes d’articulation entre les juges et le Défenseur. Pourquoi ne pas enseigner davantage dans les universités et à l’école nationale de la magistrature les missions du Défenseur des droits ? Pourquoi ne pas créer un mécanisme de saisie rapide du Défenseur des droits ?
Pourquoi ne pas expérimenter dans certains contentieux sensibles, notamment pour les mineurs, les étrangers, pour les questions de discriminations, une consultation systématique du Défenseur des droits. Evidemment, les moyens doivent être amenés, mais n’étant plus ministre des Comptes publics, je le dis d’autant plus volontiers.
La Cour de cassation a démontré à quel point une justice moderne s’ouvre aux expertises extérieures et accepte la consultation constructive, et intègre les réalités sociales, culturelles, économiques et humaines. Nul doute que le Défenseur des droits y a toute sa place également.
Toute sa place aujourd’hui, mais je pense qu’il aura encore plus toute sa place demain. Et pour terminer mon propos, je veux citer deux exemples.
D’abord, les défis du numérique où l’essor des algorithmes sont dans les décisions administratives et judiciaires et posent la question évidente de la transparence et du contrôle. Le Défenseur des droits a donc, à mon avis, vocation à devenir une autorité clé.
La modernité n’est pas la réduction aux enjeux de numérisation ou de dématérialisation. Chacun le voit dans sa vie, notre société est confrontée à une fracture sociale qui est aussi et surtout une fracture de l’accès aux droits. Les délégués départementaux du Défenseur des droits sont un maillage local qui doit constituer sans doute encore davantage, en lien avec les élus, avec le travail des collectivités locales pour l’accès aux droits, une médiation de proximité et un relais pour nos concitoyens. Il est fondamental d’aller vers, comme pendant nos périodes récentes, on nous a privé un peu de liberté pour la santé, aller vers encore et davantage, au-devant de ceux qui sont les plus éloignés du droit et de leurs droits. Un travail de pédagogie, de sensibilité, en lien avec tous ceux qui sont en contact direct avec nos concitoyens, pour permettre de connaître le droit et parfois de lutter contre les phobies administratives, les difficultés sociales, l’analphabétisme, le manque d’accès à une culture juridique, ou tout simplement une censure, qui les pousse à ne pas passer la porte d’un conseiller juridique.
Les travaux que vous mènerez donc aujourd’hui nous offrent au ministère de la Justice une opportunité précieuse : penser l’avenir de la relation entre le Défenseur des droits et le juge, entre la durée et l’intensité, l’un ne remplace pas l’autre, l’un ne doit pas avoir peur de l’autre, l’un doit parler avec l’autre pour le bien de notre justice et des justiciables. Vous l’avez donc compris, les résultats de vos réflexions seront regardés de près et formons le vœux qu’ils soient riches, qu’ils soient le but de concrétisations rapides, et aussi de pensées plus profondes, de comparaisons à l’international, d’innovations, et qu’ils puissent inspirer, je l’espère le plus rapidement possible, le législateur, ou peut-être, pourquoi pas, le constituant. Je vous remercie.
- Monsieur le ministre d’Etat, garde des Sceaux, monsieur le ministre Jacques Toubon, madame la Défenseure des droits, monsieur le président du Conseil d’Etat, monsieur le président de section à la CEDH, monsieur le procureur général, madame la professeure, chers collègues, Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre présence qui témoigne de l’intérêt que vous portez à l’articulation entre le rôle du Défenseur des droits et celui du juge, vous venez de le montrer dans votre intervention, monsieur le ministre.
Je suis particulièrement heureux… Excusez-moi…
D’ouvrir ce colloque qui est donc consacré au Défenseur des droits et qui est coorganisé avec la Défenseure des droits, le Conseil d’Etat, en ce lieu hautement symbolique qu’est la Grand Chambre de la Cour de cassation.
On le sait, le Défenseur des droits est né de la fusion, lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, des trois autorités administratives indépendantes, qui étaient le Défenseur des droits, la Haute autorité de lutte contre les discriminations, et la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Il est au surplus l’héritier du médiateur de la République, créé en 1973.
J’aimerais au cours du temps qui m’est imparti ce matin, jeter les premiers jalons de la réflexion qui se prolongera tout au long de cette journée, elle portera sur la relation qui lie le Défenseur des droits au juge. Expliciter la nature de ce lien apparaît d’autant plus important que le rôle essentiel du Défenseur des droits au service du justiciable n’est plus aujourd’hui à souligner.
Il suffit pour s’en convaincre de se référer à l’article 71-1 de la Constitution de 1958 et à la loi organique du 29 mars 2011 qui précise l’ampleur de ses attributions.
Autorité administrative indépendante, ainsi reconnue par l’article 5 de la loi organique du 20 janvier 2017, et l’annexe de la loi du même jour, le Défenseur des droits dispose d’un large éventail de missions. Il lui revient de protéger efficacement les droits et libertés de l’administré vis-à-vis de la puissance publique, de défendre et de promouvoir les droits de l’enfant, de lutter contre les discriminations, qu’elles soient directes ou indirectes, de contrôler le respect par les professionnels de la sécurité, de leurs règles de déontologie, et d’orienter et protéger les droits et libertés des lanceurs d’alerte.
Le Défenseur des droits est sans conteste un pilier de notre Etat de droits, au même titre que l’autorité judiciaire, gardienne de l’autorité individuelle.
Tous deux, le Défenseur des droits et le juge, ont en partage la mission constitutionnelle de protéger la liberté des citoyens.
Aussi ne sera-t-on pas étonnés de la force du lien qui les unit.
Une fois saisi, et on sait qu’il peut se saisir d’office d’une situation, le Défenseur des droits apporte son aide de grande valeur à l’institution judiciaire. Il le fait soit par une résolution amiable du litige, soit par son intervention devant les juridictions.
Dans cette dernière hypothèse, il présente au juge, national ou européen, civil ou pénal, des observations écrites ou orales sur un dossier, dans le cadre ou non d’une tierce intervention et dans le respect des exigences du procès équitable et de l’égalité des armes, comme l’a rappelé la Chambre sociale de la Cour le 2 juin 2010 à propos de la HALDE. Par l’avis qu’il rend et dans lequel il ne formule aucune demande en justice, le Défenseur des droits éclaire la juridiction. Son travail d’enquête porte à la connaissance du juge des éléments précis et déterminants qui, soumis au débat contradictoire sont de nature à l’aider à former sa conviction sur la réalité de l’atteinte dénoncée.
C’est en outre à travers un cas individuel que des défaillances systémiques sont constatées par le Défenseur des droits. C’est le cas lorsque l’employeur ne respecte pas son obligation de moyen renforcée en matière de santé des travailleurs, en s’abstenant de prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir des faits pourtant signalés de harcèlement moral, comme il devrait le faire au titre de l’article 11-4 du code du travail, ou de harcèlement sexuel, article du même code.
C’est encore le cas lorsque l’employeur embauche des travailleurs placés dans une situation de vulnérabilité particulière du fait de leur situation irrégulière, afin de dissimuler leur emploi au sens de l’article L8221-5 du code du travail. On peut penser également, en termes de discriminations, à cette affaire devant la Chambre sociale, en 2023, où la Cour de cassation, suivant l’analyse du Défenseur des droits, a censuré une cour d’appel qui, tout en caractérisant une différence de traitement fondée sur l’âge au moment d’une procédure de recrutement, avait refusé de convoquer en entretien le salarié car il avait refusé de donner des éléments sur son âge. Mais le droit du travail n’est pas le seul champ d’intervention devant le juge judiciaire. La situation des mineurs non accompagnés est aussi souvent mise devant le juge judiciaire et administratif, où se pose la question de la délivrance d’un titre de séjour à la majorité.
Son apport est également très important dans le contentieux des demandes de modification de la mention du sexe à l’Etat civil pour les personnes transgenres. Mais le lien unissant le Défenseur des droits et le juge est d’autant plus fort que l’autorité indépendante que vous incarnez depuis 2020, chère Claire Hédon, a parfois inspiré l’évolution de normes de protection sur des droits qui sont essentiels.
En témoigne l’introduction remarquée en droit français de l’action de groupe par la loi du 18 novembre 2016, ouverte aux syndicats et aux associations devant les tribunaux civils en matière de lutte contre les discriminations, elle permet au juge, s’il constate un manquement, de le faire cesser et de prendre toutes les mesures utiles à cette fin. On pense également à la loi du 21 mars 2022 qui étend le bénéfice du régime de protection des lanceurs d’alerte aux personnes morales, agissant comme facilitateurs.
En atteste encore la systématisation de l’examen médical du mineur de moins de 16 ans placé en garde à vue, prévu par l’article L413-8 du code de la justice pénale des mineurs.
Cette dernière illustration entre en résonnance avec l’œuvre de la cour, en faveur elle aussi d’une plus grande protection des droits de l’enfant.
La première chambre civile de la Cour de cassation a permis récemment d’éviter, dans le contexte d’un déplacement illicite, le retour en Ukraine d’un enfant de 5 ans, en admettant que ce recours puisse se faire dans un Etat autre que celui de sa résidence habituelle.
Permettez-moi enfin, et c’est un autre aspect important de notre sujet, d’insister sur la convergence de regards tournés vers l’avenir et les enjeux nouveaux qui relient nos deux institutions. C’est donc avec attention que la Cour a pris connaissance des recommandations du Défenseur des droits dans son rapport annuel de 2024. Ce rapport montre que le Défenseur des droits et le juge se saisissent de concert des nouvelles exigences de protection générées par la crise climatique, sur les droits de l’enfant. Tous ces éléments rendent opportunes les discussions qui auront lieu ce matin et cet après-midi, sous la supervision de la professeure Anne-Marie que je remercie.
Nous ne doutons pas que les regards croisés de tous offriront en ce sens une approche transversale.
Je vous remercie de votre écoute et je cède immédiatement la parole à monsieur le procureur général.
- Merci. Monsieur le ministre d’Etat, Garde des Sceaux, merci de nous avoir fait l’honneur et le plaisir de votre présence ce matin en ouvrant ce colloque, madame la Défenseure des droits, monsieur le premier président, monsieur le vice-président du Conseil d’Etat, monsieur le président de section à la Cour européenne des droits de l’Homme, Mesdames, Messieurs les chercheurs, professeurs, enseignants, praticiens, Mesdames, Messieurs, chers collègues, je salue également la présence de monsieur le ministre Jacques Toubon, ancien Défenseur des droits, également le chef de l’inspection général de la Gendarmerie nationale, et la présence du président de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, c’est un plaisir pour moi d’intervenir en ouverture de ce colloque organisé conjointement par notre Cour, le Conseil d’Etat, la Défenseure des droits, je vous en avais parlé, chère Claire Hédon, dès notre rencontre il y a un an, et ça nous paraissait tellement loin, cette date du 7 février 2025, et nous y sommes aujourd’hui, et c’est un grand plaisir que de vous accueillir ici dans cette Grand Chambre de la Cour de cassation.
Une rencontre consacrée à une relation institutionnelle aussi essentielle que singulière, qui unit deux grandes figures de notre Etat de droit, la Défenseure des droits et le juge.
D’un côté, le Défenseur des droits, créé par la révision constitutionnelle de 2008, installé en 2011, autorité née de la volonté politique de rassembler plusieurs missions sous une structure unique, indépendante, porteuse d’une ambition forte : protéger les droits et libertés des citoyens dans leurs rapports à l’action publique. Et de l’autre, le juge, chargé de dire le droit, le juge judiciaire, en ce compris d’ailleurs le procureur de la République, gardien, le juge de la liberté individuelle.
Et le juge administratif qu’il reviendra aussi au vice-président du Conseil d’Etat d’évoquer, il était important que nous puissions organiser ce colloque avec le Conseil d’Etat, et je remercie tout particulièrement Martine pour son investissement dans la préparation de cette journée.
Le Défenseur des droits et le juge poursuivent un objectif commun : garantir le respect des droits et des libertés. Ils diffèrent cependant par leur nature et leurs moyens.
Le juge, pour sa part, tranche les litiges et sanctionne les violations de la loi en appliquant et en interprétant les normes.
Son office repose sur l’édiction de décisions ayant force exécutoire.
Le Défenseur des droits, quant à lui, agit par la médiation et privilégie la prévention. Il ne sanctionne pas, il recommande. Ses larges pouvoirs d’investigation lui permettent de formuler des recommandations individuelles ou générales, de proposer des réformes et de promouvoir par toute action le respect des droits.
Son action vise à infléchir les pratiques et à inspirer l’évolution du droit.
Les différences que je viens de citer n’empêchent pas des interactions, à la fois concrètes et nombreuses.
Le Défenseur des droits intervient régulièrement devant les juridictions nationales et internationales. Je voulais dire en qualité d’amicus curiae, ami de la Cour, mais vous m’avez dit que ce terme pouvait prêter à discussion, mais au départ, c’est bien l’idée d’éclairer les débats judiciaires grâce à une expertise sur des problématiques complexes, mettant en lumière des réalités sociales parfois déterminantes pour le juge dans ses missions d’interprétation et d’application de la loi.
Contrôles d’identité, gestation pour autrui, droits des mineurs non accompagnés, sur tous ces sujets ô combien importants, les observations du Défenseur nourrissent la réflexion des juges, français comme européens, jusqu’à parfois exercer une influence décisive.
J’ai le souvenir par exemple, très concrètement, de l’intervention de Dominique Baudis en personne, en 2012, qui est venu présenter ses observations dans des affaires de discriminations traitées par la Chambre correctionnelle.
Inversement, les jugements et les arrêts rendus par les juridictions nationales et européennes inspirent l’action du Défenseur des droits.
De sorte que l’influence est réciproque, alors même qu’elle s’inscrit dans un cadre où l’indépendance demeure un principe cardinal. Indépendance du Défenseur des droits tout d’abord, qui lui permet d’agir librement, y compris en interpellant les pouvoirs publics, il ne s’en prive pas, et c’est normal, et les acteurs privés, lorsque les droits fondamentaux sont en jeu. Une qualité essentielle à sa mission de vigie.
L’indépendance du juge, condition de la séparation des pouvoirs ensuite, qui lui permet de demeurer souverain dans l’application du droit. Il est ainsi libre de suivre ou d’écarter les recommandations du défenseur dans les affaires dont il est saisi. Concilier les prérogatives de chacun constitue donc un enjeu majeur, particulièrement lorsque le Défenseur se prononce alors que le juge judiciaire est saisi. Deux décisions récentes du Défenseur des droits dont la presse s’est fait l’écho en sont l’illustration. La première, le 23 décembre 2024, dans le domaine sensible de la déontologie des forces de sécurité, se prononce au sujet de tirs mortels réalisés par des militaires de la gendarmerie. La seconde sous forme d’une décision cadre du 29 janvier 2025, la semaine dernière, c’est très récent, formule de nombreuses recommandations pour remédier aux lourdes difficultés rencontrées par les dispositifs de prévention et de protection de l’enfance dans les départements.
C’est également au titre de la protection de l’enfance d’ailleurs que la Défenseure des droits intervient dans un pourvoi en cours à la chambre criminelle et vient de déposer des observations aux fins de voir affirmer la prohibition de toute violence d’un parent sur son enfant. Des observations qui, à n’en pas douter, alimenteront les réflexions de la Cour.
Pour le juge judiciaire, l’un des cas les plus délicats est bien entendu l’intervention du Défenseur des droits quand une procédure pénale est en cours. Conscient des enjeux et pour prévenir les difficultés, le constituant a prévu l’obligation pour le Défenseur des droits, avant de mettre en œuvre ses pouvoirs d’investigation, de recueillir l’accord de la juridiction ou du procureur déjà saisis, mais également l’impossibilité de remettre en cause une décision juridictionnelle.
J’ai là aussi des souvenirs très précis, car comme Procureur de Paris, j’ai reçu de nombreuses demandes du Défenseur des droits d’intervention dans une affaire, dans des affaires concernées par des procédures judiciaires, nous les traitions avec mon collègue Yves Badorc à l’époque, qui interviendra cet après-midi.
Ces règles ne constituent pas des entraves, elles viennent autre au soutien de la clarté et du respect du rôle de chacun. Elles illustrent le fait que la relation entre le juge et le Défenseur des droits doit se concevoir non sous l’angle de l’ignorance ou de la concurrence, mais bien comme une complémentarité, favorable à une meilleure compréhension des enjeux et des situations et, in fine, à une plus forte protection des droits et libertés.
Pour atteindre cet objectif, sans tension ni friction, il est essentiel de se connaître et de se parler. Deux impératifs que favorisent la présence chez le Défenseur des droits, depuis l’origine d’ailleurs, de plusieurs magistrats de l’ordre judiciaire, ainsi que la signature de protocoles entre le Défenseur des droits et l’ensemble des procureurs généraux.
C’est aussi précisément l’objectif de cette journée que nous avons souhaité initier ensemble : se rencontrer, échanger et confronter nos regards, pour dresser ensemble un bilan de cette relation et envisager son avenir, avec lucidité, avec ambition.
Je me réjouis donc de la richesse du programme qui nous attend, porté par des intervenants de grande qualité que je remercie sincèrement, comme l’ensemble des personnes qui ont contribué à l’organisation de cette journée. Et notamment Pauline Cabi, avocate générale chargée de mission à mon cabinet, et ancienne adjointe de la Défenseure des droits, ce qui illustre le lien vivant entre nos institutions. Je salue aussi tout spécialement la professeure Soraya Amrani Mekki qui a accepté d’animer ces travaux, des travaux que je souhaite les plus riches et les plus féconds possibles. Sans plus tarder, je cède la parole à monsieur le vice-président du Conseil d’Etat et vous remercie de votre attention.
- Monsieur le ministre d’Etat, garde des Sceaux, ministre de la Justice, monsieur le ministre Jacques Toubon, madame la Défenseur des droits, monsieur le premier président de la Cour de cassation, monsieur le procureur général, monsieur le président de section à la Cour européenne des droits de l’Homme, Mesdames, Messieurs les présidents et magistrats, Mesdames, Messieurs, en vos grades et qualité, c’est un honneur et un plaisir de participer au lancement des travaux de cette journée, qui est le fruit d’une collaboration précieuse sans aucun doute, mais inédite entre nos trois institutions, la Cour de cassation, le Défenseur des droits et le Conseil d’Etat, et après l’honneur qui nous a été fait par le Garde des Sceaux d’en ouvrir les travaux. Cette rencontre nous permettra avec les universitaires, les avocats et l’ensemble de la communauté juridictionnelle d’explorer les dynamiques qui distinguent l’institution du Défenseur des droits et les juges judiciaires et administratifs. La compétence du Défenseur des droits n’épouse pas la distinction des compétences entre juge administratif et juge judiciaire, c’est d’ailleurs sans doute un des points qui rendra les discussions d’aujourd’hui particulièrement intéressantes.
Nos fonctions respectives, bien que différentes dans leur rapproche et leurs champs d’application partagent un socle commun : l’exercice indépendant des missions de nos trois institutions, inscrites chacune dans la Constitution.
Dans nos sphères respectives, nous partageons une ambition commune : servir les libertés et droits fondamentaux, et l’intérêt général.
Permettez-moi de revenir sur les liens particuliers qui existent entre le Défenseur des droits et le juge administratif, ce qui les rapproche dans leurs principes et leur office, et peut-être de noter ce qui les distingue, à la fois dans leur appréhension de l’action publique et dans l’acception des droits fondamentaux.
Le travail conjoint du Défenseur des droits et du juge administratif pour défendre les libertés est une évidence. Il y a une parenté de leurs missions, le juge administratif est compétent pour connaître notamment de l’annulation ou de la réformation des décisions prises dans l’exercice des prérogatives de puissance publique par les autorités exerçant le pouvoir exécutif.
Les recours portés devant le juge administratif peuvent en particulier se fonder sur la méconnaissance par les autorités administratives des droits et libertés, rapprochant le juge du Défenseur des droits dont la première mission est de défendre les droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations.
Au-delà de cette action contre les atteintes portées par l’administration aux droits et libertés des administrés, le Défenseur des droits et le juge administratif se retrouve dans leur conception et leur défense des services publics, en publiant des propositions d’amélioration des services publics par exemple, la Défenseure des droits souligne que le bon fonctionnement de ces missions d’intérêt général sont essentielles à la garantie des droits et libertés.
Le Conseil d’Etat est quant à lui, tant par son histoire que par la nature de ses missions, la maison du service public, pour reprendre les termes que nous avons utilisés lors de la première rentrée du Conseil d’Etat en septembre 2022. Le service public a en effet plongé de profondes racines dans nos décisions contentieuses. Il a été enrichi par nos études.
Cette proximité de nos deux institutions explique la richesse de notre collaboration fonctionnelle. Les textes établissent d’ailleurs des liens solides entre les deux. Le Défenseur des droits est, je le souligne, la seule autorité avec les assemblées et le pouvoir exécutif qui puisse consulter le Conseil d’Etat pour toute difficulté rencontrée dans l’interprétation d’une disposition réglementaire ou législative.
Il peut également demander au Conseil d’Etat, comme à la Cour des comptes, de procéder à une étude, ce qu’il a fait en 2013 sur la question de la neutralité religieuse dans les services publics et les activités d’intérêt général. En outre, le défenseur dispose d’un droit d’observation.
Enfin, à l’instar de ce qui existait pour la Haute autorité de lutter contre les discriminations et pour l’égalité, le Défenseur des droits dispose d’un pouvoir de saisine du juge, en particulier administratif. Cette saisine du juge des référés vise à constater l’échec de la mise en demeure.
La loi organique de 2011 prévoit que cette autorité constitutionnelle indépendante ne peut « remettre en cause une décision juridictionnelle ». En outre, les recommandations émises par le Défenseur des droits ne constituent pas des décisions administratives susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
Les sphères sont distinctes mais complémentaires sur la protection des droits et libertés.
Le Défenseur des droits et le juge administratif s’inscrivent donc dans des logiques différentes, d’abord par des approches différenciées de l’administration. Le Défenseur des droits est l’héritier de l’avènement depuis les années 70 d’une forme de démocratie administrative, celle-ci devait tempérer, voire modifier la vision d’une administration bureaucratique décrite par Max Weber, pour une construction unitaire et hiérarchique tenant trop à distance les administrés.
La démocratie administrative poursuit trois objectifs : l’amélioration des rapports, la participation au processus décisionnel, et la défense des droits des administrés.
Cette défense contre les éventuels abus de l’administration s’inscrit largement dans le réformisme des contre-pouvoirs, elle s’est traduite matériellement par l’institution d’autorités administratives indépendantes, bien sûr le médiateur de la République, l’un des ancêtres du Défenseur des droits, mais également la Commission nationale de l’information ou des libertés.
Cet héritage distingue largement le Défenseur des droits du juge administratif. Le contrôle de celui-ci a bien sûr évolué avec les avancées de cette démocratie administrative, et le juge administratif applique chaque jour les procédures qui visent à faire participer les administrés à la décision publique, les textes permettant l’amélioration des rapports avec l’administration, ou encore bien sûr le droit à communication des documents administratifs, ou même désormais des algorithmes utilisés dans le traitement des décisions individuelles.
Mais s’agissant de la défense des droits et libertés, si cette fonction est au cœur de notre métier, elle s’inscrit nécessairement dans la conception de l’intérêt général.
Notre mission est de garantir le respect de l’intérêt général que traduisent les textes adoptés par les pouvoirs publics, issus des processus démocratiques fondés sur le suffrage universel. C’est ainsi, en tant que ces textes, que nous les défendons.
Cette distinction des approches recouvre une différence dans le champ des libertés protégées par les deux instances.
Cette recherche de l’intérêt général impose au juge administratif de prendre en compte l’ensemble des droits et libertés, au-delà de celles qui limitent l’édiction des personnes publiques.
Pour cette raison, le juge administratif ne s’interdit pas d’examiner si l’administration, afin de protéger certaines libertés, ne devait pas en restreindre d’autres. Cela se comprend par exemple s’agissant de la liberté d’aller et venir, édicter des mesures de sécurité publique peut être indispensable.
Comme pour garantir la liberté de manifester en évitant des heurts ou des provocations. Ce lien entre ordre public et exercice effectif des droits et libertés était d’ailleurs déjà inscrit dans l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. La force publique est instituée pour l’avantage de tous.
C’est tout aussi nécessaire dans d’autres domaines. Imposer des prélèvements sociaux et organiser une protection sociale traduisent l’ambition de donner une réalité concrète au droit à la protection de la santé.
Dans les missions de santé publique, on peut songer aux obligations vaccinales, le Conseil d’Etat a même rappelé qu’il pouvait ordonner toute mesure de nature visant à garantir le droit à la vie, quitte à limiter le droit à l’exercice d’autres libertés individuelles.
L’administration doit bien garantir l’exercice des droits et libertés, en garantissant également les conditions d’exercice.
Or, l’administration a parfois mauvaise presse, le préfet est moins préoccupé de défense des libertés que l’ordre public, car le désordre, c’est ce que le préfet appelle dans son langage une histoire, et il ne veut pas d’histoire. Mais c’est bien l’administration qui fait vivre les droits individuels, qui accorde le permis de construire, qui assure les services scolaires. Le juge administratif prend en compte les nécessités qui pèsent sur l’administration dont l’intérêt général est la finalité. Par exemple, le juge administratif examine-t-il les mesures prises à l’égard de l’ordre public.
Il s’agit de contrôler l’administration, non pas de façon abstraite, mais en examinant concrètement comment elle peut garantir l’exercice d’une liberté sans risquer un trouble à l’ordre public, qui est par lui-même porteur d’atteinte aux libertés.
Permettez-moi de revenir sur ce qui a été évoqué hier lors d’une rencontre entre la Cour européenne des droits de l’Homme, le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, en rappelant que cet intérêt général doit plus que jamais être au cœur de l’action publique dans une société où les individualismes tentent parfois de prendre le pas sur une approche collective de notre destin.
Les échanges qui se tiendront aujourd’hui seront d’autant plus fructueux que le Défenseur des droits, le juge judiciaire et le juge administratif, s’ils regardent dans la même direction, le font à partir de positions distinctes, avec un regard différent, mais convergent. Cela sera au cœur de nos échanges, je me réjouis par avance de leur richesse et des avancées qu’elles nous permettront de faire pour le rôle de nos institutions au service de l’Etat de droit.
Permettez-moi enfin de remercier tous ceux qui, à la Cour de cassation, au sein de l’institution du Défenseur des droits et au Conseil d’Etat, ont contribué à l’organisation de ce colloque, et à émettre un vœu qu’une prochaine édition de ce colloque puisse se tenir au Conseil d’Etat en 2026. Je vous remercie de votre attention.
- Monsieur le ministre d’Etat, monsieur le premier président de la Cour de cassation, monsieur le procureur général près de la Cour de cassation, monsieur le vice-président du Conseil d’Etat, monsieur le président de section près de la CEDH, Mesdames, Messieurs les présidents et magistrats, Mesdames, Messieurs.
Je suis ravie de nous voir réunis ce matin. Et permettez-moi pour commencer de remercier tous ceux qui ont œuvré au sein de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat, des équipes du Défenseur des droits, à rassembler ici les cours suprêmes de deux ordres juridictionnels avec le Défenseur des droits.
Et je remercie la Cour de cassation de nous accueillir en son sein.
Cette rencontre traduit l’intensité des liens qu’entretiennent nos institutions. Ce colloque est né d’une volonté commune de faire connaître les modes d’action du Défenseur des droits, développer nos relations, renforcer la confiance, dans l’objectif de toujours mieux garantir les droits.
Le respect des droits et libertés est essentiel à notre Etat de droit et à la cohésion sociale de notre pays. Il prévient l’exclusion, permet d’éviter des tensions sociales, concrétise un engagement pour une société fondée sur l’égalité et la dignité de tous.
Affaiblir les droits de certains, c’est risque de porter atteinte aux droits de tous.
Ce colloque permettra de raffermir le dialogue indispensable entre les juridictions et le Défenseur des droits, entre le juge et l’autorité administrative indépendante chargée de les protéger autrement.
Le renforcement de ce dialogue permettra, j’en suis certaine, de mieux garantir l’exercice des droits et libertés.
Permettez-moi d’abord de rappeler les missions du Défenseur des droits avant d’évoquer les grands enjeux que nous partageons.
Car je partage le fait que nous sommes insuffisamment connus.
Le Défenseur des droits est une autorité administrative indépendante, inscrite dans la Constitution. La loi organique du 29 mars 2011 nous confie deux grandes missions : protéger les droits, c’est-à-dire traiter les réclamations, et promouvoir l’égalité, les droits et les libertés.
Le législateur a donc considéré que nous n’étions pas là seulement pour résoudre des cas individuels, mais bien pour dire aussi ce qu’il faudrait mettre en place pour que les droits soient mieux respectés.
Et c’est dans ce cadre que l’institution apporte son expertise au législateur, par ses avis au Parlement, et plus globalement aux pouvoirs publics et au débat public.
Cette double mission s’exerce dans cinq domaines distincts : les relations des usagers avec les services publics, la lutte contre les discriminations, les droits de l’enfant, la déontologie des forces de sécurité, et la protection des lanceurs d’alerte.
Les missions du Défenseur des droits sont transversales et se recoupent, la situation d’un enfant en situation de handicap privé d’AESH à l’école est au croisement de la défense des droits de l’enfant, de la lutte contre les discriminations et des relations des usagers avec les services publics.
Dans son action, le Défenseur des droits veille au respect des traités internationaux de protection des droits de l’Homme, et à ce titre, il se fait le relai de la jurisprudence européenne et internationale auprès des autorités nationales et des juridictions.
Pour remplir notre mission de protection des droits, nos modes d’action sont de plusieurs ordres. Nous traitons majoritairement les réclamations individuelles par la médiation.
Le développement de la médiation s’inscrit dans un mouvement ancien, qui s’est amplifié notamment avec la loi de 2016 de modernisation de la justice du 21e siècle concernant les juridictions et le Défenseur des droits. Et elle a créé plusieurs dispositifs de médiation et a consacré une conception large de la médiation.
En 2024, parmi les 140 000 réclamations reçues au Défenseur des droits, près de 80% ont été traitées par le biais de la médiation, avec trois quarts de succès. Ce mode de règlement des différends permet d’éviter la judiciarisation de certains conflits.
La majorité de ces médiations est assurée directement par les 620 délégués du Défenseur des droits, bénévoles, présents sur l’ensemble du territoire national. Ils accueillent le public dans des lieux de permanence, assurent une écoute qui devient de plus en plus rare, là où parfois les services publics ne sont plus disponibles ou en tout cas ne sont plus incarnés.
Ces médiations fonctionnent, car l’institution présente toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité, et prend appui sur le droit pour faire valoir les droits. L’institution parvient à faire primer le dialogue sur la confrontation, la confiance sur la défiance.
Le Défenseur des droits est acteur et observateur de la médiation, c’est ce que montre notre rapport de juin 2024 : droit des usagers de services publics, de la médiation aux propositions de réforme, réalisé avec la contribution des médiateurs institutionnels.
Si ce processus n’aboutit pas, si la médiation n’apparaît pas opportune ou si le réclamant a déjà engagé un contentieux, le Défenseur des droits peut formuler des observations devant l’ensemble des juridictions des ordres judiciaires et administratifs devant la CEDH et la Cour de justice de l’Union européenne.
Dans ce cadre, l’institution apporte aux juridictions une connaissance et une analyse très fine des phénomènes d’atteinte aux droits, à travers le traitement des réclamations et l’exercice de ses pouvoirs d’enquête.
Par ailleurs, le Défenseur des droits est susceptible d’éclairer le juge grâce aux méthodes faisant sa spécificité. Nous sommes forts de nos échanges avec la société civile, des travaux confiés à des chercheurs, de l’expertise des personnalités qualifiées, nommées au sein de nos collèges, notamment par les hautes juridictions.
L’ensemble des réclamations et de nos travaux nous amènent à poser un diagnostic sur les difficultés d’accès au service public, et notamment au service public de la Justice.
Les services publics incarnent l’accès aux droits, ils ont pour mission de les rendre concrets et accessibles. Or, nous constatons de manière persistante une forme d’éloignement, et même de déshumanisation de ces services publics. Je pense ici à la dématérialisation qui, lorsqu’elle est mal pensée, ou devient la voie exclusive, contribue à éloigner les personnes de leurs droits, à les égarer dans des procédures administratives parfois, même souvent, complexes.
Dans ce contexte, l’accessibilité de l’ensemble de nos institutions me paraît être un impératif et je sais que nous le partageons. L’accès au juge, notamment, ne doit pas être entravé par une mauvaise compréhension du droit ou un manque de ressources. Il est précisément l’un des moyens de lutter contre la fragilisation des droits.
Pour renforcer leur accessibilité, les services publics et l’ensemble des institutions sont confrontées à un défi majeur : la clarification des démarches administratives et juridictionnelles.
Les juridictions judiciaires comme administratives s’attachent ainsi à développer la clarté et l’intelligibilité de leurs décisions, au regard notamment de l’exigence constitutionnelle qui permet au justiciable d’exercer utilement son droit au recours.
Nous cherchons à rendre le droit et les droits plus accessibles, à les mettre à la portée de tous, à lever les barrières entravant la compréhension.
L’enjeu est de rapprocher le droit des réclamants, notamment en clarifiant notre langage, c’est ce que nous avons fait avec notre recueil de fiches pratiques à destination des personnes détenues sur leurs droits, écrit en français clair, publié en novembre dernier.
L’accès au service public de la Justice, nous le constatons dans nos réclamations, est nécessaire fragilisé par le développement excessif de la déjudiciarisation dans certains domaines.
Les garanties procédurales ne doivent pas être affaiblies, notamment lorsque les droits fondamentaux sont en jeu : le droit au juge, les droits de la défense, l’individualisation des peines, le droit au recours doivent être préservés.
Les dynamiques de simplification à l’extrême de la procédure pénale sont préoccupantes, à l’image du développement à grande échelle des amendes forfaitaires délictuelles par exemple.
Ma crainte est que ces phénomènes ne portent atteinte à l’accès au juge, particulièrement pour les personnes les plus vulnérables qui sont aussi les personnes les plus éloignées du droit. Je pense en particulier aux enfants, personnes précaires, étrangers, personnes détenues.
La Justice, nous en avons tous conscience ici, c’est un service public à défendre. Lui fournir les moyens humains et techniques d’assurer sereinement sa mission constitue un impératif pour le respect des principes qui fondent et légitiment notre République.
Dans ce contexte, le juge est confronté à des enjeux majeurs, j’en évoquerai deux : la protection de l’enfance et le droit des étrangers.
Les personnes les plus vulnérables sont souvent les plus touchées par les atteintes aux droits. En premier lieu, la situation de protection de l’enfance se dégrade depuis plusieurs années.
Pour la première fois, en 2022, des magistrats, juges des enfants, se sont tournés vers mon institution pour tirer le signal d’alarme sur la non-exécution de leurs décisions en matière de protection de l’enfance.
A partir des éléments apportés et à l’issue de deux années d’enquête, nous avons publié une décision-cadre sur la protection de l’enfance, dans laquelle j’ai formulé des recommandations.
Par ailleurs, les défaillances de la dématérialisation en matière de droit des étrangers entraînent l’incapacité de l’administration à répondre aujourd’hui aux renouvellements des titres de séjour. L’impossibilité de prendre rendez-vous physiquement, de déposer un dossier papier, engendre de trop nombreuses ruptures de parcours de vie, du fait d’un manque d’accès au droit.
Des personnes en situation régulière se retrouvent en situation irrégulière et perdent leur emploi.
Cette situation provoque l’engorgement des services du Défenseur des droits et des tribunaux administratifs. Nous devons répondre à ces sollicitations, c’est un enjeu de droit au recours pour les personnes concernées.
Mais il faut régler ce problème à la racine, c’est-à-dire assurer le fonctionnement normal du service public dédié au droit du séjour.
La préservation des droits et libertés est indissociable de l’accès au juge, inséparable du respect de la chose jugée, comme celui de l’autorité de la justice. L’indépendance du juge comme du parquet est l’une des garanties et des conditions de l’Etat de droit. Le juge judiciaire, administratif et le Défenseur des droits remplissent leurs charges sous un prisme différent, en tirent leur complémentarité, en partagent la finalité : protéger les droits et les libertés.
C’est la boussole du Défenseur des droits que le droit n’oublie personne.
Je suis convaincue des échanges stimulants à venir, et je remercie par avance Soraya Amrani Mekki pour leur conduite. Je vous remercie pour votre attention.
- Nous allons suspendre quelques minutes le temps de raccompagner monsieur le Garde des Sceaux dont l’agenda très chargé ne permet pas d’assister à l’ensemble du colloque. Nous suspendons deux ou trois minutes.
- Monsieur le premier président, monsieur le procureur général, madame la Défenseure des droits, monsieur le vice-président du Conseil d’Etat, cher tous, je mesure l’honneur et le poids de la responsabilité qui m’est confiée de devoir animer cette journée. Envisager des rencontres régulières, c’est enregistré, pour avoir des liens entre le Défenseur des droits et le juge et les autorités judiciaires et administratives.
Point important, en responsabilité, parce qu’il est important à la fois de connaître ce qu’est le Défenseur des droits et de le reconnaître dans la diversité de ses missions et la diversité de ses modes d’action. Ni juge, ni administration, ni association, il avait été qualifié par certaines critiques d’ovni, on peut dire qu’il est effectivement tout à fait singulier, mais que c’est ce qui en fait la force. D’autant plus qu’on vient d’entendre de la bouche du ministre de la Justice qu’il s’agit bien d’un pivot démocratique.
J’ai l’honneur de présider cette première table ronde qui envisage l’insertion du Défenseur des droits dans le paysage institutionnel. Et j’ai le plaisir d’être accompagnée par Mireille Le Corre, membre du Conseil d’Etat, détachée comme secrétaire générale du Défenseur des droits depuis 2022, qui a été juge à la Cour nationale du droit d’asile et qui a fait plusieurs détachements d’administration au ministère du Travail, au CESE, au cabinet également du premier ministre… Donc une expérience extrêmement large, vaste, qui est au service aujourd’hui du Défenseur des droits, et dont elle pourra nous faire part.
Olivier Renaudie, collègue, professeur de droit public, directeur de l’Ecole doctorale, du master de droit public général, mais également secrétaire général de l’Association française de droit de la sécurité et de la défense, ce qui n’est sans doute pas sans lien avec sa qualité de membre du collège de déontologie et de la sécurité du Défenseur des droits.
Et enfin, Antoine Lyon-Caen, agrégé des facultés de droit, spécialiste du droit du travail, avocat au Conseil, qui a eu à traiter de différents dossiers en lien avec la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Traité de l’insertion du Défenseur des droits dans le paysage institutionnel, il est reconnu à l’article 71-1 de la Constitution, le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics.
Institution, niveau constitutionnel extrêmement important, réglementation par une loi organique, et qui pose des liens très importants avec les pouvoirs publics, qui ne seront pas traités ici, mais également avec le juge, ou plutôt les juges, quels qu’ils soient, de première instance, Cour suprême, mais également Cour européenne des droits de l’Homme, l’occasion de saluer le juge élu au titre de la France, président de section, et la Cour de Justice de l’Union européenne. Dans ces diverses modalités d’action, il peut agir pour des cas individuels, et cette action pour des cas individuels devant des juges particuliers lui permet de nourrir une réflexion plus générale et d’atteindre le niveau macro, car il ne faut jamais oublier que le Défenseur des droits agit pour la protection des droits et libertés mais ça lui permet également de les promouvoir et de faire œuvre de propositions.
Pour comprendre ce Défenseur des droits et ses liens avec le juge dans le paysage institutionnel, nous vous proposerons trois temps, visant d’une part à envisager d’où vient le Défenseur des droits, ce qui a présidé à sa conception et à sa construction, pour envisager ensuite ce qu’il est et enfin ce qu’il fait.
Commençons par d’où il vient, et je donne la parole à Olivier Renaudie qui va nous parler de cette conception du comité Baladur et des soubresauts qu’il y a eu à l’origine.
- Olivier Renaudie : Lors des débats relatifs à la création du médiateur qui deviendra le médiateur de la République, lors des débats relatifs à cette loi institutive de 1973, différentes appellations avaient été envisagées pour celui-ci : protecteur des citoyens, haut-commissaire aux droits de l’Homme, mais également défenseur des droits et libertés. Cette dernière expression était défendue par le rapporteur du texte. Au nom du gouvernement, le Garde des Sceaux de l’époque s’était opposé à cette appellation au motif, je cite, que « la défense des droits et libertés est l’apanage de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat ». Si je me permets d’évoquer les débats terminologiques auxquels a donné lieu cette loi, ce n’est pas pour souligner un précédent, c’est aussi, au regard du sujet qui nous intéresse aujourd’hui, pour prendre la mesure de certaines évolutions. En 2007, lorsque l’idée de créer un défenseur refait surface, il n’est plus possible d’affirmer que ce sujet est l’apanage du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, car en effet, la défense des droits et libertés à cette époque est devenu un champ concurrentiel, au niveau européen, il y a la Cour européenne des droits de l’Homme, la Cour de justice de l’Union, le médiateur européen. Le Conseil constitutionnel, dont le rôle en matière de défense des libertés, s’est affirmé au début des années 1970, et par ailleurs, les nombreuses autorités administratives indépendantes, que le législateur a multipliées à partir de la fin des années 70, et qui pour beaucoup interviennent dans le champ de la défense des droits et des libertés. C’est donc dans ce contexte renouvelé qu’apparaît à nouveau l’idée de créer un Défenseur des Droits, et comme toute institution, la création de celle-ci est le produit d’un processus qui fait intervenir de nombreux acteurs. Sans doute le plus déterminant est en effet le comité Balladur de réflexion sur la modernisation des institutions de la République. En octobre 2007, dans le rapport du même nom, il est suggéré la création d’un Défenseur des Droits fondamentaux. Deux raisons sont avancées dans le rapport pour justifier cette création. Une première série de raisons concerne le caractère « lacunaire » du système français de protection des droits et libertés des citoyens et une seconde raison tient à la dilution, je cite encore, de la protection des intérêts des citoyens entre une multitude d’autorités administratives indépendantes aux attributions voisines. Convaincus par ces arguments, les pouvoirs publics se saisissent de l’idée et envisagent la création d’un Défenseur des Droits tout court, et non plus des droits fondamentaux. La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 est alors adoptée et insère, au sein de la Constitution, un nouvel article 71-1 complété par deux lois en 2011. Il résulte de celles-ci que le nouveau Défenseur des Droits est chargé de quatre séries de missions originelles, autrefois exercées par des autorités, les missions du médiateur de la République, les missions du défenseur des enfants, les missions de la HALDE et celles de la CNDS. Cela peut étonner peut-être aujourd’hui, mais au moment de cette création, sous la forme originale d’une fusion-acquisition d’autorités existantes, eh bien, cette création est loin de faire consensus. D’un côté, certaines institutions existantes dans le champ des droits de l’Homme, la CNCDH par exemple, émettent des critiques assez vives à propos de cette création. De l’autre, quelques voix autorisées sont très sévères, florilège : au Sénat, Robert Badinter affirme qu’il s’agit d’un monstre démocratique. Le député Guillaume Goulard considère que c’est un gadget. Jean-Jacques Urvoas, lui, qualifie le Défenseur des Droits de « cannibale des gêneurs ». On parle également d’« ovni » à propos du Défenseur des Droits. Que lui reproche-t-on au fond à ce moment-là ? Première chose, d’avoir avalé des institutions estimables. Seconde chose : d’exercer des missions trop hétérogènes.
- Merci infiniment. C’est très intéressant, on passe de la concurrence à la complémentarité en réalité. Justement, si on a avalé, est-ce que c’est du cannibalisme ou est-ce que ça permet de créer une transversalité et de travailler en synergie, Mireille ?
- Mireille Le Corre : Il n’est pas évident d’intervenir après ces qualificatifs ! Plus sérieusement, par rapport aux institutions qui l’ont précédé, notre conviction, je vais essayer de le démontrer, est que, aujourd’hui, l’institution est beaucoup plus que la somme des composantes d’origine qui ont été réunies en elle. L’institution le Défenseur des Droits, merci Mme la Défenseure des droits féminise son usage aujourd’hui, a grandi et s’est transformée et a été même au-delà du champ des possibles ouvert par le législateur. Cette transversalité, selon nous, se vérifie à trois égards : au niveau de nos missions, de nos pouvoirs et de notre organisation concrète. La fusion des quatre anciennes institutions nous permet aujourd’hui de prendre une réclamation individuelle qui nous arrive par les différentes facettes de façon transversale. Deux exemples concrets : si un mineur en détention saisit le Défenseur des Droits, c’est à la fois potentiellement une atteinte aux droits de l’enfant et un problème de déontologie des forces de sécurité, l’administration pénitentiaire notamment. Si une personne des gens du voyage nous saisit parce qu’elle ne peut pas scolariser son enfant, c’est une question de lutte contre les discriminations, de droit de l’enfant, etc. Cette approche transversale, qui n’est pas une fin en soi, c’est surtout que ça donne une approche plus protectrice des droits des personnes et ça évite une approche par silo que, je crois, les usagers, les citoyens ont parfois marre de subir, c’est-à-dire l’idée qu’on saisit la porte A et qu’on vous envoie vers la porte B. Ça évite qu’on renvoie la balle entre institutions pour un enfant discriminé ou ayant un problème de service public par exemple. Cette transversalité a été enrichie en 2016 par la compétence en matière de lanceur d’alerte, qui est nouvelle, et qui, au-delà d’ajouter une mission, est très transversale à l’institution, puisque nous sommes saisis par des lanceurs d’alerte qui, potentiellement, dénoncent des situations en tant que témoins, cette fois-ci, et non pas en tant que victimes, sur des sujets de discrimination, de racisme parfois, d’atteinte à des droits de l’enfant ou à des situations de service public. Voilà pour nos missions. Au titre de nos pouvoirs, là aussi, l’intérêt de cette fusion a été une harmonisation par le haut avec une palette de pouvoirs qui a été élargie. Pour ne donner que quelques exemples, le défenseur des enfants ne pouvait pas faire des vérifications sur place, là où aujourd’hui nos juristes le font régulièrement, et le médiateur de la République, par exemple, ne pouvait formuler d’observations devant les juridictions. Outre l’harmonisation par le haut et le fait que ces pouvoirs concernent l’ensemble des missions, d’autres ont été ajoutés, ça a été mentionné par le vice-président du Conseil d’Etat, aucune institution n’avait auparavant le droit de demander un avis interprétatif au Conseil d’Etat, c’est le cas aujourd’hui, et le médiateur pouvait déjà le saisir, mais pour des demandes d’étude, ce qui a été préservé par rapport à l’ajout de cet avis interprétatif. Finalement, l’harmonisation par le haut de ces pouvoirs et leur addition nous permet, pour une même réclamation, et parfois sur des sujets d’une grande complexité, de les manier sur une même situation. Je prendrai un exemple : l’an passé, nous avons eu à traiter de réclamations de personnes qui étaient contrôlées et interpellées à la frontière intérieure franco-italienne, puisque le contrôle à la frontière intérieure de l’Europe a été maintenu depuis 2015 et nous avons pour ce faire fait des vérifications sur place, des observations devant la cour de justice de l’Union européenne, devant le Conseil d’Etat qui en était ensuite saisi, puis pour compléter, des recommandations aux pouvoirs publics. La troisième traduction de cette transversalité se traduit dans notre organisation, sans vous décrire notre organigramme, il est intéressant de constater qu’il n’est pas la somme de quatre tuyaux d’orgue des anciennes institutions, nous avons une institution qui oriente les usagers vers les pôles d’instruction, deux pôles d’instruction qui s’occupent des affaires publiques et des affaires judiciaires, avec l’idée que des réclamations ont plutôt vocation à aller devant le juge administratif le cas échéant ou devant le juge judiciaire, et puis une direction de la promotion qui embrasse toutes les missions, de l’action territoriale qui anime le réseau de nos délégués, qui eux aussi sont compétents sur toutes nos missions, ce ne sont pas seulement les anciens visages du médiateur de la République, ils embrassent l’ensemble de nos compétences. Et puis des directions transversales, c’est fondamental pour une institution : la direction générale, la communication… Qui traitent de l’ensemble et qui permettent qu’il y ait une culture commune qui se soit développée. Voilà en quoi, en missions, pouvoirs et organisation, la transversalité apporte plus de force à notre sens.
- C’est une fusion-absorption réussie. Au moment de la création du Défenseur des Droits, on a beaucoup parlé de l’exemple d’el Defensor del Pueblo en Espagne par exemple. Antoine, je crois que vous vouliez faire une comparaison, une analyse, puisque les pouvoirs, mais également la légitimité de ces institutions est assez différente.
- Antoine Lyon-Caen : Je vais en effet tenter un rapprochement avec ce qui a été la source d’inspiration, peut-être pas du Parlement, mais de la commission Balladur, qui comportait en son sein un professeur de droit constitutionnel bien connu et qui était très hispanisant, le professeur Carcassonne, qui a proposé à la commission de réfléchir à la transposition en France de l’expérience espagnole du défenseur du peuple. Alors, je dis tout de suite ce qui a été retenu de cette inspiration. L’inscription constitutionnelle, c’est très important, parce que je pense que, M. le vice-président du Conseil d’Etat l’a dit, ça montre que, dans la mission de défense des droits, le défenseur joue un rôle de même valeur hiérarchique que les juridictions elles-mêmes. Ce qui a été retenue aussi, c’est le caractère d’institution unipersonnelle. Unipersonnelle puisque les expériences françaises qui ont conduit à cette confluence, on va dire, connaissaient des institutions collégiales et des institutions unipersonnelles. Le médiateur par exemple. Et le troisième élément qui est commun probablement à l’expérience espagnole, c’est le profond renouvellement du modèle de l’ombudsman qui a joué un très grand rôle dans les discussions des années 60-70, que les Espagnols ont analysé très fortement lorsqu’ils sont redevenus démocratie, en 1978.
Mais il y a au moins trois différences que je voulais signaler, et peut-être ces différences pourraient-elles inspirer des évolutions, on ne sait pas.
La première différence, c’est évidemment l’importance conceptuelle et pratique dans l’Espagne démocratique de la Déclaration des droits fondamentaux. Il suffit de consulter la Constitution espagnole. Il y a de nombreuses pages consacrées non seulement aux droits civils, mais aux droits sociaux, aux droits économiques, fondamentaux. La France était beaucoup plus réticente, et d’ailleurs, le terme n’a pas été utilisé pour l’appellation du Défenseur des Droits. La France reste réticente à l’idée de laisser circuler cette formule, « Les droits fondamentaux », peut-être à cause de la filiation avec l’histoire institutionnelle et conceptuelle allemande, en tout cas, c’est un des points intéressants parce qu’il manque peut-être en France une sorte de catégorie générale qui permet d’aborder le champ des différentes institutions comme le Défenseur des Droits ou les juridictions.
Ce qui a permis au Défenseur des Droits par exemple d’avoir un rôle devant le tribunal constitutionnel, puisque le tribunal constitutionnel connaît une voie spéciale de recours pour faire protéger les droits fondamentaux. Et évidemment, le Défenseur des Droits n’a pas… alors, je mets entre parenthèses avec un point d’interrogation… n’a pas encore cette voie d’accès au Conseil constitutionnel (?).
Le dernier point que je veux souligner, c’est : évidemment, les droits fondamentaux à l’espagnole sont des droits fondamentaux qui sont opposables à l’administration et sont opposables aux pouvoirs privés. Et donc, quand on regarde le Défenseur des Droits français, il y a certaines missions qui couvrent à la fois les activités publiques et les activités privées. Exemple : la promotion de l’égalité, la lutte contre les discriminations, mais il y a certaines missions qui ne visent que l’administration ou les activités publiques.
Or, pour le Défenseur des Droits, le Défenseur du peuple espagnol, cette différence est assez discutable parce que les droits fondamentaux sont, en Espagne, reconnus opposables à l’ensemble des pouvoirs publics et privés.
- Merci Antoine. On voit la différence.
On est déjà un petit peu dans des préconisations. Voilà d’où vient le Défenseur des Droits, voyons maintenant quel est son ADN, qu’est-ce qui le caractérise. C’est évidemment une autorité administrative indépendante qui a la particularité de ne pas pouvoir prendre directement de sanctions. On avait écrit, vous aviez écrit que c’était un juge avec la balance sans le glaive, M. Toubon. Mireille, pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez ?
- Mireille Le Corre : Pour décrire l’identité du Défenseur des Droits, il peut être intéressant de décliner les lettres d’une AI, même si ce n’est pas une AI comme les autres. C’est une autorité administrative indépendante. Derrière ces termes, ce qui semble important, s’agissant du Défenseur des Droits, c’est de souligner qu’il a un magistère d’influence. Il a des pouvoirs, il a des pouvoirs de savoir par son pouvoir d’enquêter, d’obtenir des informations, dans le public comme dans le privé, et il a le pouvoir de faire savoir par les recommandations et les décisions qu’il rend publiques, anonymisées ou non, d’ailleurs. Ce n’est pas neutre. Il a en tant que tel un pouvoir, c’est une autorité, et il a été rappelé à juste titre, même si nous utilisons souvent dans nos productions le terme de « décisions » que, comme le Conseil d’Etat l’a jugé en 2019, ces décisions ne sont pas susceptibles de justifier un recours en excès de pouvoir. Notre pouvoir est celui de la persuasion et de l’incitation, et quand la Défenseure signe des documents, elle propose, elle recommande et suggère mais n’impose pas. Ces recommandations peuvent être suivies d’injonctions, mais ce sont des injonctions à nous dire les suites de nos recommandations, donc plutôt une contrainte procédurale que matérielle. Et il n’est pas assorti de sanctions. En cas de blocage persistant, lorsque aucune réponse n’a été apportée, la force du Défenseur des Droits, c’est d’établir alors un rapport spécial, c’est-à-dire une publication au Journal officiel non anonymisée qui est une sorte de name and shame façon Défenseur des Droits. Donc, une autorité, une autorité administrative, et je pense que ce n’est pas inintéressant de s’attarder dessus. Nous sommes, au Défenseur des Droits, une autorité qui appartient à l’appareil d’Etat, une institution de la République, pas une composante de la société civile, même si les liens sont forts, pas, comme on l’entend parfois et souvent de ceux qui sont ses amis, une association militante. Ce n’est pas la marque de fabrique du Défenseur des Droits. Il tire ses missions de la Constitution, de la loi organique et se prononce dans le cadre qui a été voulu par le constituant et le législateur, il veille au respect des principes juridiques, et parfois, c’est compliqué à faire comprendre, parfois quand les médias s’attardent trop sur la façon dont nous pouvons intervenir, parce que, quand un agent se prononce, il le fait en fonction du droit en vigueur, mais quand le Défenseur fait des recommandations à travers des rapports, des avis, mais aussi dans des recommandations suite à une saisie individuelle, alors, il suggère des évolutions du droit, et ce toujours dans l’optique de protection des droits et libertés et toujours conformément à sa mission constitutionnelle.
Troisième lettre : c’est une autorité indépendante, qui n’est évidemment pas soumise aux pouvoirs hiérarchiques ni de tutelle du pouvoir exécutif, qui ne reçoit aucune instruction, dont le mandat du détenteur, donc, la Défenseur, Claire Hédon, aujourd’hui, est indépendant via le fait qu’elle n’est ni révocable, ni renouvelable. C’est très important et même crucial, puisque le Défenseur des Droits, parfois, même si, encore une fois, c’est dans le cadre du droit qui, lui, est prévu, peut dire des choses qui gênent les pouvoirs publics dès lors qu’il peut dénoncer des agissements commis par l’administration ou des atteintes aux droits commises par les services publics. C’est une autorité et pas un pouvoir, mais pour exercer cette influence et emporter l’adhésion, à défaut des pouvoirs de sanction, il doit donner des gages de sérieux et asseoir son assise institutionnelle, et ces gages de sérieux, ou disons ces assises dont il dispose, c’est évidemment l’inscription dans la Constitution, c’est la seule autorité administrative indépendante qui y a sa place, c’est d’ailleurs le dernier-né dans la Constitution, il n’y a pas d’autre institution créée depuis, peut-être que ça viendra, mais pas à ce jour. Et c’est évidemment important pour asseoir ce pouvoir d’influence et de persuasion.
Le deuxième gage de sérieux, c’est que ce ne sont pas des décisions prises à huis-clos, mais à travers le travail de la Défenseure, de ses adjoints, des agents, des délégués, à travers les réclamations, les 140 000, puisque le nombre ne fait que croître d’année en année, dont il est saisi, la connaissance très fine du terrain avec son ancrage territorial, qui en fait une originalité, je crois qu’on est la seule institution à manier des agents publics et des bénévoles, ce qui est original, ce qui est aussi une économie d’une certaine façon de deniers publics, on peut le dire, parce que les bénévoles font beaucoup plus que quelques heures par semaine. Ils sont là pour recevoir les personnes et incarner cette réponse au droit. Cette connaissance fine se fait aussi par les liens avec la société civile, par ce que nous appelons nos comités d’entente, qui sont des réunions avec les associations qui connaissent bien les atteintes aux droits, au-delà de nos saisines, et par nos comités de liaison qui sont avec les intermédiaires, les acteurs professionnels, par exemple dans le domaine de l’emploi ou du logement, et ce mix de connaissance engrange de la connaissance au service des agents qui y travaillent et développer une expertise juridique. Au sein du Défenseur des Droits, il y a des magistrats judiciaires, administratifs, des anciens avocats, des juristes, des docteurs en droit qui travaillent pour asseoir son expertise juridique. Cette singularité, c’est vraiment la combinaison assez unique de trois éléments : son indépendance, sa connaissance concrète des atteintes aux droits et son expertise juridique. Et c’est ce qui fait aussi qu’il doit travailler non pas en confrontation ou en opposition avec les pouvoirs publics, mais bien en essayant de montrer sa plus-value par ses recommandations, et d’ailleurs, on peut y voir un signe par le fait qu’il est très sollicité par le Parlement, par les demandes d’avis et d’auditions très régulières, par le gouvernement aussi qui souhaite régulièrement associer le Défenseur des Droits à des groupes de travail dans lesquels nous allons apporter notre expertise tout en gardant notre indépendance, et puis par le fait que les juges aussi, on y viendra après, nous sollicitent.
- Merci beaucoup. Une magistrature morale qui est encadrée par le droit, qui s’assure du respect du droit, et les droits fondamentaux sont du droit. Je pense que, quand vous êtes critiqué, ça rappelle quelque chose aux juges également qui peuvent être critiqués lorsqu’ils appliquent et font respecter les droits fondamentaux, éventuellement par un contrôle de proportionnalité, mais ils sont bien dans le cadre de leur action, exactement ce que fait le Défenseur des Droits. Vous l’avez indiqué, pas du tout une association militante, qui est dans le respect du droit et l’application des droits fondamentaux, mais qui peut avoir des liens avec la société civile et s’inspirer, comprendre et apporter d’ailleurs aux juges un contexte social et sociétal très important, ce qui m’amène, Antoine, à vous demander d’évoquer ce lien, justement.
- Antoine Lyon-Caen : je vais prendre la casquette d’avocat au conseil pour évoquer mon expérience.
Ce qui m’a paru caractériser le Défenseur des droits, c’est le décloisonnement. C’est-à-dire ce n’est pas une institution qui, simplement, se borne à répéter ou à appliquer. C’est une institution qui accumule des savoirs, et qui fait bénéficier progressivement ces savoirs à d’autres.
Quand on regarde les mécanismes internes ou les mécanismes de liaison du Défenseur avec des associations, des employeurs, des syndicats, le milieu associatif, les chercheurs, on se rend compte que le Défenseur des droits est l’épicentre de relations, de connaissances. Et je prends deux exemples très simples. Je pense que la compréhension de ce que sont les contrôles d’identité, les limites des contrôles d’identité, cette compréhension, cette intelligence pratique doit beaucoup aux savoirs accumulés par le Défenseur des droits. Et je prendrai un deuxième exemple, parce que ce sont vraiment des gens très vulnérables, et l’accumulation des connaissances est vraiment, là aussi, remarquable, ce sont les gens du voyage. Il y avait autrefois un député, je crois de Bourges, qui s’intéressait aux gens du voyage, en réalité, aujourd’hui, plus personne ne parle pour eux, sauf le Défenseur des droits, non seulement qui rappelle leur existence, mais décrit leur vie, montre la distance qui existe pour eux avec les juridictions, l’administration, etc.
Donc il me semble qu’une autorité administrative indépendante, une autorité indépendante, elle a une justification pleine, elle a son identité dans l’accumulation de savoirs qu’elle met à la disposition des autres, et notamment des juridictions.
Et on peut comprendre que depuis le traitement d’affaires individuelles jusqu’aux enquêtes menées ou travaux de recherches confiés à des chercheurs, puis des rapports, il y a, sur les sujets que traitent le Défenseur des droits, un savoir remarquable.
- Tout à fait, on est dans l’application des droits fondamentaux, et pour qu’ils soient effectifs, il faut avoir cette connaissance du réel, qui vient de la société civile. Et quand on parlait de tous les intervenants, il y a aussi tous les académiques qui produisent des rapports de réflexion qui sont très utilisés ensuite par la Défenseure des droits et le juge.
Dans cette diversité d’alimentation, la respiration, il y a aussi les collèges. Olivier, vous vouliez en dire un mot ?
- Olivier Renaudie : oui, il y a certainement mille manières de définir l’identité du Défenseur des droits, et certainement que cette identité est plurielle, mais si l’on cherche quelle est la singularité du Défenseur des droits par rapport notamment aux autres autorités administratives indépendantes, il y a deux éléments qui viennent à l’esprit. Le premier a déjà été évoqué, il tient à la constitutionnalité du Défenseur des droits, et cette constitutionnalité est d’ailleurs certainement due à l’effet de symétrie avec le Défenseur du peuple espagnol, érigé comme modèle, comme ça a été rappelé. Le second élément, d’ordre identitaire, c’est la collégialité. Lorsqu’on présente les différentes autorités administratives indépendantes, on peut distinguer celles qui ont la personnalité morale et celles qui ne l’ont pas. Une autre manière peut être de distinguer les autorités administratives indépendantes qui sont incarnées par un collège et celles qui sont d’ordre individuel, tel est le cas par exemple du médiateur national de l’énergie. C’est une autorité administrative indépendante qui n’est pas incarnée par un collège, comme peuvent l’être l’ARCOM ou l’autorité de la concurrence. Le Défenseur des droits s’inscrit mal dans cette dichotomie. Le Défenseur des droits est à la fois singulier et pluriel, individuel et collectif, seul et accompagné. En effet, d’un côté, le Défenseur des droits est comme son intitulé le suggère « une seule personne », et de l’autre, il est assisté de plusieurs collèges pour l’exercice de ses fonctions.
Cette collégialité pourrait être seulement décorative, seulement de façade, et cacher une organisation et un fonctionnement très centralisé. En tant que membre d’un collège, je veux dire à quel point ce n’est pas le cas, et je salue la manière dont l’actuelle défenseure travaille en étroite collaboration avec les collèges.
Quelques mots sur le fonctionnement du collège dont j’ai l’honneur d’être membre, et je salue Céline Roux, vice-présidente de ce collège.
Ce collège, en charge de la déontologie et de la sécurité se réunit régulièrement pour examiner d’un côté les projets de recommandations individuels, élaborés par les excellents services du Défenseur des droits s’agissant des réclamations individuelles et qualifiées comme recevables par le Défenseur, et d’autre part sur certains projets de recommandations à caractère général.
Loin d’être une chambre d’enregistrement, et ce serait difficile au regard de la manière dont celui-ci est composé, ce collège est un espace de débats, qui donne lieu à des échanges, parfois vifs, entre les membres du collège et les services du Défenseur, et puis, bien sûr, entre les membres eux-mêmes qui sont très loin d’avoir le même avis sur un certain nombre de sujets.
Sur quoi portent ces échanges ?
Deux choses principalement.
Première chose, bien sûr, la qualification juridique des faits, ce qui est évidemment un point essentiel en matière de déontologie.
Deuxième chose : la nature et l’étendue de la recommandation, ce qui est tout aussi important, particulièrement lorsque vous ne disposez pas d’un pouvoir de sanction.
Ces échanges peuvent donner lieu, le cas échéant, à une réécriture du projet de recommandation, et par ailleurs, lorsque ces échanges ne conduisent pas à un consensus parmi les membres du collège, le projet de recommandation fait l’objet d’un vote. Il s’agit donc bien d’une véritable délibération avec tout ce que cela implique du point de vue collectif, qui irrigue les décisions prises par le Défenseur des droits.
- Merci beaucoup, ça permet de mieux comprendre la fabrique de la production de l’activité de la Défenseure des droits.
Passons maintenant aux missions, pour essayer de tenter de présenter ces missions en très peu de temps, Antoine, en tant qu’avocat au conseil qui connaissez des dossiers et des interventions dans certains champs d’action, que pouvez-vous nous en dire ?
- Antoine Lyon-Caen : je vais essayer d’être très bref, car nous attendons tous de pouvoir écouter le juge élu au nom de la France…
- Nous avons encore un petit moment.
- Antoine Lyon-Caen : les missions sont évidemment très nombreuses, puisqu’il y a maintenant 5 missions générales. Ce qui est intéressant, c’est la diversité des prérogatives, plus que les missions, si on veut insister sur un point original, parce que le soutien au requérant, c’est un mode d’intervention. L’intervention devant les juges, c’est un mode d’intervention. L’établissement de recommandations ou de décisions-cadres, c’est un mode d’intervention, etc., je ne répète pas la liste des voies d’action du Défenseur des droits. Mais, en contrepoint, aucun pouvoir de contrainte. C’est-à-dire ni juridiction, ni imperium. Sauf sur un point qui est le suivi des recommandations.
Donc je pense que, quand on essaie de percevoir vraiment ce que fait le Défenseur des droits, c’est l’utilisation d’un registre d’actions très divers, sans jamais avoir besoin d’imposer quoi que ce soit.
Si c’est imposé, c’est par la connaissance, la légitimité tirée éventuellement de la pertinence sociale et juridique de ce qui est dit. Et je terminerai peut-être sur une suggestion un peu provocatrice. Au fond, c’était l’image historique de l’instituteur, qui accumule les connaissances et qui donne son cours, aide les enfants en difficulté, éventuellement diffuse des ouvrages, et fait même peut-être une étude, pas au sens des études aujourd’hui, mais les études après 16h30, pour ceux qui sont les plus loin du niveau de connaissances. Il me semble que le Défenseur des droits peut être représenté dans ses activités comme l’institution des droits.
- Merci Antoine.
Donc une magistrature d’influence ou morale, ce qui est important, c’est l’autorité qu’on lui accorde, et cette autorité, si elle ne vient pas d’un pouvoir de sanction et d’un imperium, elle existe néanmoins, on peut inspirer l’autorité par un statut constitutionnel, par des process, des garanties, Olivier ?
- En effet, lorsqu’on s’intéresse à l’autorité du Défenseur des droits, on ne peut pas penser au débat éternel sur la légitimité, en particulier celle de l’Etat, et sur le sujet, deux conceptions s’opposent. D’un côté, l’Etat est légitime au regard de sa puissance, de sa domination, et de l’autre, l’Etat est légitime en raison de la confiance que lui porte la population.
Ça a été dit. Le Défenseur des droits ne tire pas son autorité de sa puissance, de son pouvoir de contrainte, il n’est doté, sur le plan juridique, d’aucun pouvoir de sanction, d’aucun pouvoir d’édictions d’actes contraignants. A défaut de tirer son autorité de la contrainte, le Défenseur des droits doit inspirer confiance.
Est-ce que le Défenseur des droits inspire confiance aux acteurs concernés ?
Plusieurs raisons incitent à répondre favorablement à cette question. La première raison tient à son indépendance, indépendance à l’égard du pouvoir exécutif, à l’égard des acteurs concernés par son action, indépendance constitutionnelle, comme ça a été rappelé par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2011 sur la loi organique.
Deuxième raison : la procédure contradictoire mise en œuvre devant le Défenseur des droits à l’occasion de l’élaboration des recommandations à caractère individuelle. Le principe du contradictoire est essentiel à la procédure juridictionnelle, constituant une traduction concrète de la notion de procès équitable. La procédure suivie devant le Défenseur des droits s’en inspire et est très marquée par le principe du contradictoire, et de manière plus générale, par la loyauté des débats.
Troisième raison susceptible d’inspirer la confiance : la composition des collèges. S’agissant de celui relatif à la déontologie et la sécurité, la loi organique des procédures de nomination des membres, le tout devant être désigné au regard d’expérience dans le domaine de la déontologie et de la sécurité. Et vous avez aujourd’hui au sein de ce collège un ancien directeur de la police nationale, un ancien procureur, un ancien sénateur-maire, etc.
C’est bien la pluralité des parcours de chacun, des expériences, des compétences, qui est de nature à inspirer confiance.
On peut donc considérer que, par sa composition, le collège, en effet, accentue la magistrature morale qui a pu être évoquée tout à l’heure. De ce point de vue-là, on peut décrire le Défenseur des droits non pas seulement comme un instituteur, mais peut-être comme un influenceur. En effet, le Défenseur des droits exerce une magistrature d’influence. Elle s’exerce par des actes non contraignants, des avis, des recommandations, des rapports. Ces actes peuvent s’analyser comme relevant de ce que le Conseil d’Etat appelle le droit souple. Je dirais même que les recommandations édictées par le Conseil correspondent en tout point aux trois conditions cumulatives que le Conseil d’Etat a posées s’agissant du droit souple.
Première condition : modifier ou orienter les comportements de leurs destinataires en suscitant leur adhésion. Deuxièmement : ne pas créer par eux-mêmes de droits ou l’obligations. Troisièmement : présenter par leur contenu une formalisation.
Ces trois conditions me semblent remplies, ce qui devrait poser la question de la justiciabilité, qui sera jugée autrement qu’il y a une dizaine d’années.
- Des influenceurs d’un type particulier quand même, avec une légitimité procédurale sur laquelle il faut insister. Alors, de l’intérieur de l’institut du Défenseur des droits, comment le pense-t-on ?
- Il n’était pas prévu qu’il y ait instituteur et influenceur, et ça me fait sourire car nous allons avoir recours à une institutrice influenceuse pour parler droit de l’enfant.
Plus sérieusement, je vais un peu focaliser sur le lien Défenseur des droits et juge, une des premières particularités, c’est que le Défenseur des droits peut s’autosaisir, et ce pouvoir est important puisqu’il montre une des différences avec le juge, son action n’est pas limitée par le cadre du litige, il déborde en fait la situation qui lui est exposée, et cela l’amène souvent par l’auto-saisine à déceler des problèmes plus structurels. Deux chiffres sur une situation découverte en septembre 2022, qu’on a résumée par « les lycéens sans lycée », 58 lycéens qui n’ont pas un lycée d’affectation, la Défenseure décide de s’autosaisir, on demande des éléments au ministère de l’Education nationale, et in fine, on met un chiffre de plus de 20 000 dans le débat public, pour montrer que c’est inacceptable qu’ils n’aient pas accès à l’éducation.
Donc ce pouvoir d’auto-saisine est une particularité.
Le Défenseur ensuite, je crois, mais la confiance, c’est comme l’amour, il faut des preuves de confiance comme il faut des preuves d’amour, on complète, à mon avis, et on soutient l’action du juge de plusieurs façons. Le complément à l’action du juge, c’est d’abord évidemment par le fait que, très majoritairement, les situations qui nous sont présentées sont résolues par la médiation, et cela permet évidemment de régler des atteintes aux droits.
Deuxième façon d’être complémentaire, un des modes d’intervention, sans doute mal connu, ce sont les rappels à la loi, simplement des courriers qui ne sont pas ce que nous appelons, nous, des décisions portant recommandation, mais qui sont envoyés à des personnes mises en cause après une instruction contradictoire, sans forcément manier l’ensemble de nos pouvoirs, mais à titre pédagogique, pour rappeler le cadre juridique à une administration ou à une entreprise.
Et puis, enfin, il y a les recommandations individuelles et plus générales par lesquelles le Défenseur suggère des évolutions soit des pratiques soit du droit, et par lesquelles il montre des problèmes systémiques, ça a été dit, et notamment, pour reprendre la décision qui date d’il y a deux jours seulement, le sujet de comment un employeur, public ou privé, doit mener une enquête interne pour traiter des cas de discriminations ou de harcèlement sexuel, souvent, là, on fait œuvre, j’allais dire, pas simplement pour les témoins ou les victimes, mais pour les acteurs eux-mêmes, puisqu’il est très difficile pour un employeur, parfois, de savoir comment traiter une situation de ce type.
Complémentarité donc, soutien aussi à notre sens au travail du juge, un soutien par le travail de médiation qui a un rôle évidemment préventif des conflits, puisque le but n’est évidemment pas de déjudiciariser, mais simplement de prévenir l’émergence de conflits et d’éviter l’action devant le juge. Un rôle préventif également qui est développé et qui permet d’éviter des atteintes aux droits par les actions de formation, de sensibilisation menée par l’institution. Et puis, évidemment, par les observations en justice, une table ronde y sera consacrée cet après-midi, qui sont faites soit à la demande du juge, soit à la demande des parties, soit parce que le Défenseur décide lui-même d’intervenir et d’apporter son éclairage au juge, par ses connaissances, son travail d’enquête et les études qu’il peut soutenir ou mener. Ces observations se font dans le cadre d’un statut ad hoc, il n’est pas une partie, ni un intervenant, il n’est pas totalement un amicus curiae, dans la mesure où ce dernier n’intervient qu’à la demande du juge, et sur un point précis. Donc je crois que, parfois, il ne faut pas viser à mettre dans une catégorie, ce n’est pas très grave, c’est un acteur sui generis qui ne sert pas son intérêt ni celui des parties, il exprime un intérêt public, car au titre de la loi organique et de la Constitution, il est là pour exprimer un intérêt dans le sens de la défense des droits et libertés.
Et comme marque de soutien au travail du juge, je crois que le Défenseur veille à préserver le temps du juge, c’est-à-dire qu’il ne publie jamais une décision portant observation devant une juridiction tant que l’audience ne s’est pas tenue et tant que la décision juridictionnelle n’est pas prononcée, cela nous semble important pour ne pas interférer justement avec les débats juridictionnels.
Le juge est en retour un soutien indispensable au travail du Défenseur des droits, de manière très active par les autorisations d’instruire quand une procédure pénale est en cours, ce sera développé cet après-midi, mais aussi de manière plus passive par la simple menace qui est celle que nous pouvons dire que nous allons saisir le juge des référés si une mise en demeure n’est pas suivie d’effet.
Ce sont donc des liens convergents.
- Merci beaucoup. J’espère que vous avez mieux compris, c’est un public averti, j’imagine, mais ce qu’est le Défenseur des droits, qui doit assumer sa différence, sa singularité et son petit truc en plus, si j’ose dire. Dans le petit temps qui nous reste, quelques préconisations. Essayons d’avoir des débats constructifs, un petit temps chacun pour faire une préconisation.
- Antoine Lyon-Caen : La complémentarité supposerait, me semble-t-il, que la saisine du Défenseur des droits ait un effet suspensif sur la prescription. Voilà ce que je propose.
- Je prends de votre temps, Antoine, pour préciser que le Conseil nationale de la médiation qui a rendu son rapport fin 2024 précise bien que, évidemment, ça doit avoir un effet suspensif de la prescription, car il s’agit de préserver les droits.
C’est une institution reconnue, connue au niveau constitutionnel, donc un effet sur les délais de prescription, en effet.
Olivier ?
- Olivier Renaudie : puisque le Garde des Sceaux nous a invités à être innovant, le comité Baladur avait aussi envisagé la saisine du Conseil constitutionnel.
Mais cette possibilité de saisir le Conseil constitutionnel a été abandonnée.
Je pense qu’on peut revenir sur le sujet. D’abord, le Défenseur des droits est aujourd’hui une institution mature, qui s’est imposée dans le paysage administratif comme une sentinelle, le terme a été prononcé, des droits fondamentaux des personnes. De l’autre, la faculté de saisir le Conseil constitutionnel donnerait au Défenseur une prérogative efficace importante pour mener à bien ses missions. Je propose donc de réformer non seulement l’article 61 de la Constitution pour faire figurer le Défenseur des droits parmi les autorités de saisine du Conseil constitutionnel en matière de contrôle de constitutionnalité a priori, mais également de modifier l’article 71-1 pour y affirmer quelque chose comme « la loi organique détermine les conditions dans lesquelles le Défenseur des droits peut intervenir devant le Conseil constitutionnel en matière de question prioritaire de constitutionnalité », ce serait en quelque sorte un retour aux sources.
- Exactement. Même si parfois, on peut agir à droit constant sans demander une modification de loi, même si on peut demander une augmentation des moyens, Mireille, avez-vous des préconisations ou des points d’attention ?
- Mireille Le Corre : d’abord, le Défenseur des droits est au centre d’un certain nombre de débats récurrents, devant le Parlement, par exemple avec des idées qui émergent parfois sur un défenseur de l’environnement, un défenseur de la laïcité, qui n’atterrissent pas, mais au niveau européen, de façon beaucoup plus tangible, pour ne citer que deux textes importants, les directives standards concernant l’ensemble des organismes pour la promotion de l’égalité dans les Etats membres de l’Union européenne, avec l’idée d’aller vers le haut, et le règlement sur l’intelligence artificielle de 2024, qui pourrait conduire à ce que le Défenseur des droits exerce de nouvelles missions et compétences, qui devraient s’accompagner des moyens suffisants en termes de ressources humaines pour exercer toutes ces compétences qui lui seraient confiées.
Mais au-delà de l’enjeu et des moyens, ce n’est pas le lieu pour négocier notre budget, même si ça a été un sujet récent, il est possible à notre sens, malgré l’intérêt des propositions dites à l’instant, il nous semble qu’à droit constant, le Défenseur des droits peut intégrer les missions des directives standards, du règlement sur l’intelligence artificielle, parce qu’un des inconvénients de la rédaction, on peut le dire quand même, qui a quelques imperfections, de l’article 71-1 ou de la loi organique, dont tout n’a pas été interprété d’ailleurs, et qui nous pose des problèmes d’interprétations d’ailleurs, ce qui fait les imprécisions de la loi organique, c’est aussi une richesse car ça nous permet une approche englobante, et il n’y a pas forcément besoin d’ajouter un alinéa.
Notre boussole interne, c’est plutôt comment utiliser pleinement les pouvoirs qui sont donnés par la loi, asseoir notre assise institutionnelle, assurer une stabilité, être un gage de confiance, et finalement, y compris ce qui intervient de façon un peu récurrente comme une faiblesse sur l’absence de notre pouvoir de sanction est sans doute plutôt un levier, car ça montre que le Défenseur des droits n’agit pas seul, qu’il a besoin d’un environnement institutionnel, et que précisément, celui qui doit intervenir lorsqu’une atteinte au droit qu’on a essayé de résoudre ne l’est pas, c’est le juge.
- Merci, je crois que nous avons tous entendu le ministre parler de l’intérêt du Défenseur des droits en matière d’intelligence artificielle, on sait tous que le règlement européen sur l’intelligence artificielle a désigné la justice comme un thème avec des hauts risques, pour la démocratie, pour l’Etat de droit, donc formulons le vœu que cela se fasse tout à fait naturellement.
Vous aurez tous compris qu’étant donné l’heure avancée, nous allons repousser la session des questions à cet après-midi, et nous allons donc laisser la parole à Mattias Guyomar, juge élu au titre de la France à la Cour européenne des droits de l’Homme, président de section, qui va nous apporter un regard européen, sachant qu’on a déjà beaucoup insisté sur les liens entre la CEDH et les institutions que nous représentons. Je vous remercie.
- Mattias Guyomar : Merci beaucoup. Je vais tout de suite commencer en me référant aux adresses faites à titre protocolaire auparavant pour ne pas prendre encore plus de votre temps, mais je voulais dire que j’étais très heureux, et je remercie le premier président de la Cour de cassation et le procureur général, de m’avoir convié à participer à cet événement commun avec le Conseil d’Etat et le Défenseur des droits, parce que, en ces temps de mise en cause croissante de l’humanisme juridique et de remise en cause de l’Etat de droit, nous sommes tous conscients, et je peux en témoigner, de l’importance des synergies qui existent et doivent encore se développer entre toutes les institutions, et tous les acteurs de la société civile, les avocats, on en a parlé, les associations, les ONG, qui œuvrent ensemble pour la sauvegarde et le développement des droits humains.
A ce titre, je voudrais souligner du point de vue de la Cour européenne que j’ai l’honneur de représenter aujourd’hui, et je salue mon ami et collègue élue au titre de la Bulgarie, du point de vue de la Cour, je veux souligner le rôle essentiel que le Défenseur des droits remplit dans cette mission.
La particularité du Défenseur des droits français, ça a été souligné ce matin, tient non seulement à l’institutionnalisation de sa mission, confiée à une autorité administrative indépendante, mais aussi à sa place, organe constitutionnel, chargé de veiller au cœur de l’Etat à la défense des droits et libertés fondamentales.
Loin d’être un démembrement de l’Etat qui l’affaiblirait de l’intérieur, comme on l’entend parfois, je crois que, au contraire, cela manifeste la capacité d’un Etat de droits à créer, dans le respect de la séparation des pouvoirs, une autorité à la fois publique et indépendante qui exerce une forme de contre-pouvoir. C’est une richesse, elle est précieuse, mais je voudrais dire aussi la fragilité de cette conception institutionnelle. Du point de vue de la Cour, je développerai les trois points suivants. D’abord, je voudrais souligner que le Défenseur des droits est un relai efficace de la jurisprudence de la Cour européenne, qui contribue à sa complète réception dans l’ordre juridique français. Ensuite, je voudrais souligner qu’en intervenant devant les juges internes, le Défenseur des droits est un puissant levier dans la mise en œuvre du principe de subsidiarité, principe directeur du fonctionnement du système conventionnel.
Enfin, en intervenant devant la Cour à Strasbourg, le Défenseur des droits est une source précieuse d’informations et d’éclairages, à la fois sur la réalité du contexte national et sur l’état des lieux du droit et des pratiques.
Il est aussi un aiguillon qui pousse dans le cadre de la doctrine de l’instrument vivant à une interprétation dynamique de la convention.
Premier point, comme vous le savez, la Convention, le système conventionnel repose sur ce que le président Costa appelait la Responsabilité partagée entre les autorités nationales d’une part et la Cour européenne d’autre part, auxquels il incombe de garantir le respect des droits protégés.
Cela suppose la connaissance et la compréhension de la Cour, c’est un aspect essentiel de l’efficacité du système.
La Cour s’est dotée de nombreux outils qui commencent à être connus, mais pas encore assez à mon sens, pour contribuer à l’accessibilité et à l’intelligibilité de sa jurisprudence. Sur notre site Internet, il y a une plateforme de connaissances, de partage des connaissances, accessible à tout le monde, qui fournit des guides actualisés sur chacun des articles de la Convention, et des flash de jurisprudence sur les affaires récentes.
C’est l’occasion de dire aussi un mot du réseau des cours supérieures, qui va fêter ses dix ans cette année, avec plus de 111 juridictions, venant des 46 Etats membres du Conseil de l’Europe. Mais cela ne suffit pas, et tous les acteurs qui se mobilisent au service de cette diffusion de notre jurisprudence permettent que cette belle idée d’une convention en partage devienne une réalité concrète.
Et je crois qu’à l’échelle européenne, il est important de souligner le rôle essentiel que toutes les institutions jouent en la matière, et cela est tout à fait important aussi pour des Etats qui ont besoin qu’on traduise et les arrêts de la cour et les matériaux que notre direction produit, parce que, ici, en France, nous avons une des deux langues officielles, l’autre étant l’anglais, vous le savez très bien, donc il y a aussi cet effort de traduction qui joue dans d’autres Etats. Ce n’est pas un enjeu pour la France, même si parfois, ce n’est pas traduit dans les deux langues, je pense à Darbo et Camara, arrêt très important contre l’Italie, sur les mineurs non accompagnés, qui vient juste d’être traduit, mais qui a fait l’objet d’un relais dès sa publication par le Défenseur des droits.
Et au-delà de cette question linguistique, je tiens à saluer ici l’excellence du travail mené sur ce point par le Défenseur des droits et toutes ses équipes. Je le dis souvent à la Défenseur des droits, chère Claire Hédon, cette institution, votre institution est un relais précieux dont la réactivité, l’expertise, contribuent de manière efficace et proactive à la compréhension, à la connaissance des arrêts de la Cour.
Et en cette année des 75 ans de la Convention européenne, signée à Rome en 1950, je veux dire que grâce au suivi vigilant de toutes les équipes du Défenseur des droits, à l’analyse toujours exacte de notre jurisprudence, mais aussi à la force de frappe que constitue son maillage territorial, sa mission de promotion des droits et libertés passe de manière indispensable à nos yeux par la diffusion de la jurisprudence de la Cour européenne, seule façon d’assurer son respect.
Deuxième point maintenant, je voudrais en arriver à l’autre mission du Défenseur des droits, lorsqu’il est saisi de cas particuliers, et dans certaines situations, de questions systémiques, au regard du respect des droits fondamentaux. Le devoir d’alerter et de protéger, activer, ça a été très bien rappelé, soit par les réclamations, soit par l’auto-saisine, qui est un levier extrêmement puissant, suppose la mobilisation d’une expertise technique pour se traduire dans la réalité concrète par des progrès effectifs en matière de niveau de protection des droits.
Alors, c’est vrai que, d’une certaine manière, je pense que le premier bénéficiaire de cette connaissance de notre jurisprudence, c’est le Défenseur des droits, qui s’appuie sur la jurisprudence de la Cour européenne pour nourrir ses missions, l’exercice de ses missions, nourrir ses préconisations s’il s’agit de recommandations, nourrir ses observations et ses prises de position dans les cas particuliers. Et ce faisant, bien sûr, qui en bénéficie de façon certaine ? Ce sont les particuliers victimes d’atteinte à leurs droits, ou susceptibles de l’être lorsque les violations sont structurelles.
C’est dans cette mesure, je pense, que le rôle joué par le Défenseur des droits contribue largement à la mise en œuvre du principe de subsidiarité, qui figure dans le préambule de la Convention.
Pour prendre une image, je dirais qu’à mes yeux, de ce point de vue, le Défenseur des droits est comme l’abeille, il pique, en dénonçant les situations de contrariété aux exigences de la Convention ou de méconnaissance des droits fondamentaux. Mais il faut aussi le miel, en plaçant la question du respect des droits humains au cœur des préoccupations des autorités nationales, et en poussant constamment à l’élévation du niveau de protection des droits, que ce soit en invitant le législateur à faire cesser des violations systémiques ou à combler des vides juridiques, que ce soit en appelant l’administration à modifier ses pratiques, que ce soit en invitant les juges à faire leur travail et leur rappeler leur devoir d’appliquer, concernant le sujet dont je suis chargé, la jurisprudence de la Cour européenne.
Je voudrais citer un article de mon ancienne collègue en Estonie, dans les yeux de la Cour européenne, voilà ce qu’elle dit : d’une part, je ne citerai pas le « d’autre part », mais ils s’appuient dans leur pratique sur la convention européenne et les autres traités du Conseil de l’Europe et sur la jurisprudence de la Cour, et ils constituent des mécanismes non judiciaires de l’application dans les ordres internes de la Convention. C’est en cela que la subsidiarité peut devenir une réalité partagée. C’est à partir du moment où la synergie de toutes les énergies engagées au soutien de la sauvegarde et du développement des droits humains, et dans le préambule de 1950, les pères fondateurs du système ont demandé à ceux qui sont chargés de le faire vivre, d’assurer la sauvegarde et le développement des droits humains, ils nous ont placé dans un système de progrès. Le Défenseur des droits joue un rôle déterminant dans la mise en œuvre du principe de subsidiarité, et c’est particulièrement vrai aussi en matière d’obligation positive des Etats, qui n’ont pas seulement le devoir de s’abstenir de porter atteinte aux droits humains, mais aussi de les prévenir, y compris auprès des particuliers.
J’en viens au dernier point de mon intervention qui concerne les observations que le Défenseur des droits peut présenter devant la Cour européenne.
Les tierces interventions sont régies par l’article 36 paragraphe 2 de la Convention. Peuvent intervenir devant la Cour les hautes parties contractantes qui ne sont pas parties à l’instant, c’est-à-dire tous les autres Etats, ça arrive fréquemment, mais cette possibilité d’intervenir est également ouverte à toute personne intéressée autre que le requérant.
Ce qui inclut les tiers intéressés et les amicus curiae de l’autre.
J’ai entendu ce qui a été dit, mais devant la Cour, le Défenseur des droits est un ami de la Cour, il n’y a pas d’autre catégorie pour intervenir, que ce soit à sa demande, et il appartient à la Cour d’autoriser ou non les demandes de tierces interventions, la Cour est très libérale sur ce point, ou à l’invitation de la Cour pour servir l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
Et le cadre dans lequel ces observations doivent se développer est très strictement défini, à la fois par notre article et puis par notre règlement.
Les observations ne doivent pas porter sur les circonstances particulières de l’affaire, ni sur le bienfondé de la requête, elles ne peuvent être valablement admises que pour traiter des questions générales qui sont soulevées par l’affaire, au regard de leur expertise particulière. Et je crois que, ça, c’est extrêmement important de l’avoir à l’esprit.
Alors, pour autant, très nombreux sont les cas dans lesquels ces observations générales, et plus encore, et je le dis très clairement ici, tout ce qui est versé au dossier émanant de votre activité, votre rapport général, ou sur le cas posé dans l’affaire, des avis ou des recommandations qui auront été prises, ou les fruits d’un rapport d’enquête, ces matériaux-là sont essentiels à l’éclairage de la Cour, ce sont des sources objectives et actualisées qui nous éclairent sur le contexte national dans lequel le litige s’est noué, et qui bénéficient, cela a été rappelé, de la remarquable qualité de votre expertise technique, de vos liens avec la société civile, et de la possibilité de recueillir les fruits de votre pouvoir d’enquête. Et donc ce sont, pour un juge qui est forcément éloigné de la réalité dans laquelle s’est noué le litige, mais qui s’efforce de ne jamais rendre une décision qui soit éloignée de cette réalité, c’est un élément d’information et d’éclairage indispensable.
Ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas demander à faire des tierces interventions, mais les observations sont précieuses, encore plus tous les matériaux que vous avez produits pendant la séquence nationale, si je peux dire, et qui restituent la manière dont vous avez accompagné, poussé, défendu, obtenu un certain nombre de choses aussi à l’échelle française.
Je pourrais donner de très nombreuses illustrations des affaires françaises dans lesquelles la Cour a cité, pas seulement dans la partie résumé des observations ou cadre juridique interne, mais a cité dans les motifs de son raisonnement un certain nombre de de positions que le Défenseur des droits avait prises, à son tour et à sa place. Nourrissant ainsi la solution, ou plus exactement le chemin menant à la solution. Alors, parfois, notre Cour ne va pas pour autant constater une violation. Je peux citer par exemple l’affaire Y sur la demande infructueuse d’une personne intersexuée d’obtenir le tiers genre à l’Etat civil, le Défenseur des droits a beaucoup produit, mais nous avons constaté une non-violation, eu égard à la large appréciation, etc. Mais dans la reconnaissance que l’identité de genre fait partie de l’identité personnelle protégée au titre de la vie privée, vous avez nourri notre réflexion.
Je pourrais citer l’arrêt récent sur la pénalisation des clients des prostituées, là aussi, beaucoup de matériaux venant du Défenseur des droits, constat de non-violation. Il ne faut pas jauger à l’aune de ce que, à la fin, vos positions trouveront un écho dans un constat de violation ou non, l’utilité de votre intervention.
D’autres affaires ont donné lieu en revanche à des constats de violation. Je n’ai pas le temps de venir sur les nombreux cas de constats de violation de l’article 3 s’agissant de la rétention administrative des mineurs, en 2021, en 2023, avec, là, une constante prise de position du Défenseur des droits sur ce point.
Je pourrais parler de l’affaire de Grande Chambre, sur l’absence de contrôle juridictionnel aux demandes de rapatriement des enfants français situés dans les camps au nord-est de la Syrie. On pourrait parler de la régie MB et des conditions indignes de détention et des suites à y donner, notamment en matière de recours de pratique effectif.
Des affaires qui sont en cours de délibération ou d’examen devant la Cour viendront prochainement cette année, le Défenseur des droits y est intervenu, avec le décès de Rémi Fraysse, par exemple, les contrôles d’identité, il y a toujours beaucoup de questions soulevées par les litiges français dans lesquelles le Défenseur des droits intervient.
Je terminerai avec l’arrêt Auray contre France sur le recours à la technique de la Nas en 2010, qui a donné lieu à un constat de violation. C’est une violation historique, car entre temps, l’état du droit a changé, et la Cour l’a relevé dans sa motivation, il y a eu les prises de position du Défenseur des droits sur la nécessité d’un cadre juridique, un cadre d’emploi pour cette technique de l’encerclement, et il y a eu la décision du Conseil d’Etat de 2021 qui a annulé le schéma national de maintien de l’ordre pour insuffisant encadrement de cette technique. Et ce qu’a dit la Cour, le problème ne tient pas au recours à cette technique, mais au fait qu’à l’époque, en 2010, il n’y avait pas de base juridique pour y recourir, et encore moins de cadre d’emploi. Et donc vous voyez, ces effets d’écho, que le temps de la justice nous permet pleinement de faire jouer, entre ce qu’à l’échelle interne, le Défenseur des droits et le juge, et c’est notre sujet d’aujourd’hui, à savoir le Conseil d’Etat, ont fait dans un premier temps, et ce que la Cour a fait dans un second.
Pour conclure, je citerai à nouveau mon ancienne collègue qui parle d’une coopération fructueuse au bénéfice réciproque : la Cour européenne bénéficie de la connaissance de la réalité nationale des Ombudsman, elle est utile, ils ne sont pas seulement des ponts entre les citoyens et les administrations, mais aussi des intermédiaires entre les citoyens et les organes de protection des droits de l’Homme en Europe.
Du point de vue européen, je suis frappé de constater qu’il existe encore un certain décalage entre l’approche française et celle qui prévaut dans la majorité des Etats du Conseil de l’Europe où l’intervention et la contribution des Ombudsman au volet juridictionnel est perçue comme naturelle et comme souhaitable.
Ni concurrence des rôles, ni chevauchements des fonctions, entre le Défenseur des droits et les juridictions, mais complémentarité des offices et synergies dans l’œuvre de justice qui consiste, et c’est notre responsabilité partagée, à assurer chaque jour un peu mieux le respect effectif des droits humains. La France, longtemps frileuse en la matière, a progressé. Mais il y a encore à faire. Je ne doute pas que la force de projection du Défenseur des droits contribuera à ces progrès, de même que la belle rencontre organisée aujourd’hui. Je vous remercie.
- On se retrouve à 14h10 pour la table ronde sur les observations devant le juge.
(pause déjeuner)
- Si vous voulez bien regagner vos places pour que nous puissions reprendre. Merci.
Nous reprenons nos travaux après cette matinée extrêmement riche d’enseignements qui nous a permis de mieux appréhender l’institution du Défenseur des Droits, mieux comprendre comment elle a été conçue, comment elle fonctionne, quelle est sa nature profonde. Nous allons cet après-midi nous intéresser plus particulièrement aux points de contact qui peuvent exister entre l’institution du Défenseur des Droits et le juge, judiciaire ou administratif. Pour ce faire, nous avons le plaisir d’avoir autour de cette table, qui n’est pas ronde, mais quand même, Marc Loiselle, directeur des affaires publiques, qui a une expérience ou une expertise puisqu’il a d’abord été académique, il est docteur en droit et a soutenu une thèse sur le concept de l’Etat de droit dans la doctrine juridique française. Il a été anciennement membre de la HALDE et aujourd’hui il travaille dans l’institution du Défenseur des Droits. Nous avons également le président Jean-Michel Sommer, actuellement président de la Chambre sociale, ce qui n’est pas anodin puisque nous aurons évidemment plusieurs exemples liés au contentieux social, qui était précédemment président du Service de document, des études et de la recherche. Et par ailleurs, fin processualiste.
Et enfin, le président Mochon, qui est actuellement président de la cinquième chambre qui s’occupe de la fonction publique hospitalière et de la police administrative, qui est au Conseil d’Etat depuis 1998, président de Chambre depuis 2022 et qui, à l’occasion de sa présidence, a pu rencontrer le Défenseur des Droits, les institutions du Défenseur des Droits à travers notamment le contentieux relatif au port du numéro d’identification des agents de police, à la question de l’intégration de personnes séropositives dans la police ou encore des questions de logement à Mayotte, etc. Trois regards différents du DDD, du juge judiciaire et du juge administratif à propos de ce que l’on appelle les observations, qui sont régies par l’article 33 de la loi organique de 2011. Il est indiqué que le Défenseur des Droits ne peut remettre en cause une décision juridictionnelle, il n’est évidemment pas autorité de recours. Mais les juridictions civiles, administratives et pénales peuvent, d’office ou à la demande des parties, l’inviter à présenter des observations écrites ou orales. Le Défenseur des Droits peut lui-même demander à présenter des observations écrites ou à être entendu par ces juridictions, chose importante, dans ce cas, son audition est de droit. Pour envisager ces observations, nous le ferons en trois temps, d’abord pour essayer de faire une analyse des observations : qu’est-ce qu’une observation ? Dans quel cas est-ce qu’il existe des observations ? Deuxième point : quel est le statut procédural ? Nous avons commencé à l’effleurer ce matin, le statut procédural du Défenseur des Droits lorsqu’il formule des observations ? Et dernier point extrêmement important aussi : quelle est l’influence de ces observations dans la décision du juge ? On a parlé ce matin à la CEDH du fait de citer les observations du Défenseur des Droits dans les motifs de la décision de la CEDH. On va voir qu’il y a ici des pratiques différentes. Nous allons donc commencer, premier point, par une analyse, une description de ces observations en partant des services du Défenseur des Droits, car on peut se demander dans quels cas le Défenseur des Droits décide de formuler, quand c’est d’office, des observations à l’écrit ou à l’oral, en passant par un avocat ou pas, devant des juridictions du fond ou des hautes juridictions. Marc Loiselle, vous avez la parole.
- Marc Loiselle : Merci beaucoup. Je commence par deux remarques préliminaires sur le champ de cette intervention. C’est une présentation qui ne visera que les présentations devant les juridictions administratives et judiciaire, je ne renvoie pas à la CEDH, ni aux observations formulées devant des ordres professionnels. Deuxième remarque : la méthode que je vais employer pour expliquer ce que sont ces observations du Défenseur des Droits devant les juridictions, et je vais essayer d’éclairer cette boîte noire à partir d’abord d’une analyse statistique des observations présentées en 2023 et 2024 devant les différentes juridictions et en répondant à la question de : quand le Défenseur des Droits présente-t-il des observations ? Comment ? Et surtout pourquoi ?
Premier élément un petit peu statistique pour essayer de déterminer le volume de l’objet dont on parle et de la façon dont il est organisé. En 2023, le Défenseur des Droits a présente à 143 reprises des observations en justice, dont 64 devant les juridictions administratives et 69 devant les juridictions judiciaires. La répartition entre les deux ordres de ce point de vue-là est assez équivalente.
La façon dont finalement on intervient devant les juridictions, juge du fond, juge de cassation, on intervient plutôt majoritairement devant les juges du fond. On est intervenu 48 fois devant le tribunal administratif, 15 devant le conseil des Prud'hommes, 29 fois devant les tribunaux judiciaires, une fois devant le juge des enfants. Également devant les cours d’appel. Le Défenseur des Droits est également intervenu devant le Conseil d’Etat à neuf reprises en 2023 concernant des affaires qui touchent la déontologie, les services publics, la lutte contre les discriminations et la défense des enfants. Etant entendu qu’il est possible en fait de mélanger les approches, droit de l’enfant notamment et discriminations. Il est intervenu à quatre reprises devant la Cour de cassation, devant la Chambre sociale principalement, mais aussi devant la deuxième Chambre civile pour des affaires de protection sociale.
En 2024, on est à peu près sur le même volume : à 118 reprises, le Défenseur des Droits est intervenu de manière strictement équivalente entre ordre administratif et ordre judiciaire, 53 fois devant le juge judiciaire… Une parité assez respectée. Mais plutôt majoritairement en première instance et en appel. Dans des ordres de grandeur sensiblement identiques à l’année 2023.
Pour les interventions de la Cour de cassation, devant le Conseil d’Etat, 11 décisions devant le Conseil d’Etat, 3 décisions devant la Cour de cassation.
Effectivement, on touche tout de suite à une sorte de problème qui est en fait finalement le cœur même de cette question des observations. Ça peut paraître extrêmement faible par rapport au volume des réclamations traitées par le Défenseur des Droits, et si on rapporte des chiffres en grand nombre de l’ordre de 150 à 140 000 réclamations, il peut y avoir disproportion manifeste. Ceci étant, ces observations jouent un rôle central dans l’action du Défenseur des Droits, on va expliquer pourquoi. Mais ces observations permettent de faire évoluer le droit et de densifier les interventions en médiation et à travers la recommandation. Quand le Défenseur des Droits intervient-il devant les juridictions ? L’article 33 prévoit deux possibilités : à la demande des juridictions et de sa propre initiative.
Là aussi, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur les 118 présentations d’observations intervenues les deux dernières années, trois le sont à l’initiative des juridictions. Trois le sont à l’initiative essentiellement du Conseil d’Etat. Il y a donc une disproportion manifeste entre les observations présentées de sa propre initiative et celles sollicitées par les juridictions. De la même façon, pour la même période, on peut considérer que les interventions devant le juge judiciaire le sont exclusivement à l’initiative du Défenseur des Droits. Donc, on va essayer de comprendre pourquoi ces chiffres sont ce qu’ils sont.
Donc, le Défenseur des Droits intervient de manière spontanée dans l’immense majorité des cas devant des juridictions, avec deux conditions principales : que le contentieux soit engagé par la personne elle-même ou son avocat et que l’objet du litige corresponde au moins en partie à l’objet du litige dont est saisi le Défenseur des Droits. C’est d’autant plus important que le champ de compétences du Défenseur des Droits n’épouse pas celui des juridictions. Je pense que, pour la question par exemple assez significative des contentieux de la fonction publique, il est important de l’avoir en tête. Le Défenseur des Droits ne peut intervenir en matière de fonction publique qu’à la condition que soit en jeu une discrimination ou une atteinte à un droit des lanceurs d’alerte, il n’est pas en mesure d’intervenir sur les droits et libertés de l’agent public. Il est évident que les observations présentées en la matière par le Défenseur des Droits ne recoupent pas le champ de compétence du juge administratif de ce point de vue-là.
Le deuxième élément : le Défenseur des Droits peut évidemment intervenir à la demande des juridictions, donc, là encore, trois exemples qui illustrent cette demande, qui sont imputables au Conseil d’Etat. Le premier sur le port du RIO par les agents de police, qui a donné lieu à une décision qui est largement diffusée dans la presse, deuxième demande également sur les contrôles d’identité et une troisième qui vise essentiellement les lanceurs d’alerte, le sujet de procédure étant encore en cours, je ne l’aborderai pas. Devant le juge judiciaire, il est intéressant de voir que, s’il n’y a pas de demande adressée par la juridiction judiciaire au Défenseur des Droits, on distingue quand même une pratique qui est les demandes d’avis par les parquets. Cette pratique des demandes d’avis par les parquets s’est relativement diffusée entre 2018 et 2022, et tend progressivement à s’estomper. Un des éléments récents en la matière, ça a été une demande d’avis adressée sur l’interdiction des chiens d’aveugle dans un magasin où on a considéré qu’on était en présence d’une discrimination.
Deuxième question sur l’intervention du Défenseur des Droits : comment le Défenseur des Droits intervient-il ? , je passe très rapidement sur cet aspect. Par la communication d’un texte écrit, essentiellement par télé-recours pour les juridictions administratives et par courriel pour le juge judiciaire. Le plus important n’est pas la façon dont il communique ces pièces aux juridictions, ce qui est intéressant, c’est de voir le point de vue développé dans ces observations.
Evidemment, l’analyse du Défenseur des Droits ne répond pas aux moyens, puisqu’on n’est pas une partie, comme ça a été dit ce matin, et on communique dans un style qui correspond au statut du Défenseur des Droits devant le juge, en correspond un certain recul qui correspond à la pratique et à la posture indépendante et impartiale de l’institution. Mais surtout, troisième aspect plus intéressant sur la nature même de ces observations, pourquoi ? Dans quel but le Défenseur des Droits intervient-il devant les juridictions ?
Pour moi, il y a quatre éléments essentiels. Le premier, d’abord, pour rejoindre les échanges de ce matin sur l’origine de cette autorité administrative indépendante, ce pouvoir était auparavant dévolu à la HALDE avec l’idée que cette autorité administrative, amenée à traiter plusieurs milliers de réclamations et dont le travail quotidien était de se concentrer sur les dossiers et litiges en matière de discrimination, l’idée était donc que cette autorité administrative indépendante, exclusivement dévolue à la lutte contre les discriminations, habituée à traiter des dossiers, soit en mesure de jouer le rôle de passeur entre le dispositif d’inspiration tiré du droit de l’Union européenne pour le faire exister devant les juridictions. L’idée de cette approche telle que conçue dans un premier temps était d’assurer la diffusion et l’imprégnation d’un dispositif nouveau de lutte contre les discriminations dans le droit et dans les décisions de justice. On peut retrouver cette inspiration initiale dans la nouvelle compétence qui a été dévolue au Défenseur des Droits concernant les lanceurs d’alerte. On est bien en présence d’un dispositif nouveau relativement récent et issu d’un dispositif tiré du droit de l’Union, d’une directive européenne. Dans cet esprit, le Défenseur des Droits a par exemple présenté des interventions devant la Cour de cassation dans lesquelles elle a entendu souligner et faire trancher un point de droit, en ce qui concerne le juge des référés Prud'hommal.
Également, par rapport à la légalité d’une sanction prise à l’encontre d’un policier qui avait dénoncé les pratiques de certains de ses collègues, le Défenseur des Droits est intervenu pour souligner la nécessité de mettre en place l’aménagement de la charge de la preuve, ce qui n’avait pas été fait dans le litige de première instance. On retrouve bien finalement la fonction héritée de la HALDE dans les premiers temps de l’institution, qui était de faire exister ces dispositifs nouveaux.
Deuxième élément sur lequel je passerai rapidement : l’enjeu de ces observations est d’éclairer les juges de fond en justice sur un certain nombre d’éléments factuels, en particulier sur les éléments factuels que l’enquête a permis d’établir. Je ne m’étendrai pas sur cet aspect, ce sera l’objet de la prochaine table ronde.
Et un certain nombre, une bonne partie des observations présentées par le Défenseur des Droits, finalement, illustrent bien cette approche.
Troisième élément sur cette présentation des observations et sur les enjeux qui s’y attachent, c’est évidemment éclairer le juge, par des défaillances systémiques qui peuvent exister et sur des pratiques plus générales.
L’exemple a été évoqué lui aussi ce matin sur l’existence des contrôles à la frontière intérieure, notamment à Menton. La procédure qui était intéressante et mise en valeur ce matin, c’est que le Défenseur des Droits a diligenté une enquête sur place avec une visite sur place, ce qui lui a permis d’étendre son regard sur l’ensemble de la situation. Et cette enquête sur place a permis d’intervenir à la fois devant la CJUE et le Conseil d'Etat.
Deuxième élément qui relève, là, pour le coup, de la juridiction judiciaire : un litige visant la contestation du droit à la retraite à l’encontre d’une personne ayant exercé une profession libérale. La Cour de cassation a partagé l’analyse du Défenseur des Droits et a considéré finalement qu’on était bien en présence d’une atteinte excessive au droit à pension et qu’on ne ménageait pas un juste équilibre entre le droit individuel du droit à la pension pour la personne, qui était salariée, qui exerçait une profession libérale, et les exigences de financement du régime de retraite. Ce qui était intéressant, c’est qu’en reprenant à son compte les observations du Défenseur des Droits, le juge a transformé en norme de droit dur quelque chose qui jusqu’à présent ne l’était pas. Ce qui est intéressant dans cette démarche, c’est qu’en fait, cette transformation, cette appropriation par le juge permet d’innerver les autres modalités d’intervention du Défenseur des Droits à travers la médiation et les recommandations.
- Soraya Amrani Mekki : Merci pour cette présentation d’une sorte de politique des observations. Il y a peu de saisines par les juridictions, c’est peut-être le moment de faire passer le message qu’on pourrait saisir davantage le Défenseur des Droits. Deuxième chose : voir dans quels cas, à travers les centaines de milliers de réclamations, vous choisissez, et on voit qu’il y a des choix notamment pour faire jurisprudence ou pour alerter sur des pratiques déviantes, pour que cela permette d’être commenté et que cela infuse notamment les autres modalités d’action du Défenseur des Droits. On va passer côté juge judiciaire, sachant qu’il me semble quand même qu’il y a au moins une fois où il y a eu une demande d’avis du Défenseur des Droits, donc, le président Sommer va faire une présentation côté justice judiciaire en insistant peut-être un peu sur la typologie des cas où on demande une observation au juge judiciaire.
- Jean-Michel Sommer : Merci Madame la professeure, chère Soraya. Je ne vais pas anticiper sur des points abordés un peu plus tard dans cette table ronde. Je vais essayer de répondre à la question qui nous est posée, qu’est-ce que c’est qu’une observation, et partir brièvement de quelques éléments de cadrage, mais très grossièrement, parce qu’on n’a pas la possibilité de mobiliser complètement les données. Comme le précédent intervenant, je crois qu’il est toujours intéressant de voir dans quel paysage on raisonne et de voir de quoi nous parlons, ne serait-ce que quantitativement. Quelques données sur la place du Défenseur des Droits devant la juridiction judiciaire et devant la Cour de cassation en particulier.
Et puis je vous dirai quelques mots à ce stade des pratiques de ce que j’ai observé du Défenseur des Droits avant que, plus tard, nous parlions du contenu ou du statut du Défenseur des Droits devant la juridiction judiciaire. Depuis l’entrée en vigueur de la loi organique de 2011, j’ai consulté tout simplement la base des arrêts de la Cour de cassation, elle recense environ 150 décisions. On est sur treize ans et 150 décisions dans lesquelles on a peu ou prou une intervention ou l’occurrence du Défenseur des Droits dans les arrêts consultés. J’ai regardé les bases des cours d’appel, sur la même période, on a quelque chose comme 1000 occurrences, ce qui ne veut pas dire qu’il y a 1000 interventions, mais dans les arrêts apparaissent les mots « Défenseur des Droits », ce qui peut être mis en rapport avec les données qui nous ont été fournies. Environ 150 interventions pour la seule année 2023 devant les juridictions civile, pénale et administrative, si j’ai bien noté. ça peut être comparé aussi aux 140 000 réclamations reçues en 2023 par le Défenseur des Droits.
Tout cela montre l’intérêt peut-être de mieux comprendre les conditions et critères de la présentation devant les juges judiciaires et la Cour de cassation. Pour la Cour de cassation sur la période, on a eu quelques interventions du Défenseur des Droits devant l’assemblée plénière de notre cours à quatre reprises, en 2011 et 2013 dans deux affaires de protection sociale et en 2015 dans deux affaires d’état civil qui concernait une GPA pratiquée en Russie. Depuis, aucune observation n’a été présenté devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation. Sauf erreur de ma part, je crois que c’est le cas, il n’y a pas d’observation écrite dont on garde trace. Devant les chambres de la Cour de cassation, les choses se présentent un peu différemment. Le Défenseur des Droits a présenté des observations devant les première et deuxième chambres civiles, devant la chambre sociale et devant la chambre criminelle. On n’est pas surpris de cela compte tenu des attributions du Défenseur des Droits. Ces chambres sont saisies de contentieux qui intéressent le droit des mineurs, la protection sociale, le droit du travail, bien sûr, et le droit pénal. Dans ce score, la chambre sociale, pardon de le dire comme ça, arrive en tête avec plus de la moitié des décisions qui ont été recensées. La première et la deuxième chambres civiles viennent ensuite. Puis la chambre criminelle où, là aussi, un peu curieusement, je n’ai trouvé que deux décisions publiées assez anciennes de 2012 et 2015 où on a… je crois que les choses évoluent peut-être un peu sur ce point… très peu d’observations en matière pénale, devant la Cour de cassation en tout cas.
Aucune observation devant la troisième chambre civile, ni devant la chambre commerciale, ce qui n’appelle pas spécialement de commentaire, encore que, en matière de logement, on pourrait imaginer des procédures et des contentieux qui appelleraient des observations de la part du Défenseur des Droits.
Cinq QPC ont donné lieu à des interventions, depuis là aussi le début de la période, du Défenseur des Droits. Je ne vais pas toutes les lister. Nous n’avons pas suffisamment de temps. Je les ai regardées, je citerai simplement la dernière qui est une QPC toute récente, transmise au Conseil constitutionnel en matière d’action de groupe s’agissant des discriminations le 4 décembre dernier, que le Conseil constitutionnel a rendu sa décision hier pour déclarer conforme ; donc, une actualité qui a une certaine fraîcheur. Mais je voulais dire deux mots des pratiques d’intervention du Défenseur des Droits devant la Cour de cassation. Parce que je pense que c’est peut-être intéressant. Il n’y a eu aucun cas de saisine du Défenseur des Droits à la demande du juge ou des parties, comme l’envisage l’article 33 de la loi organique, et dans une hypothèse unique assez récente qui concerne aussi une affaire d’Etat civil, le Défenseur des Droits est intervenu à la demande de l’avocate générale devant la première chambre civile. Je dirai peut-être un mot de cette affaire plus tard. C’est toujours le Défenseur des Droits qui saisit préalablement, par une source ou d’office, qui décide d’intervenir devant le juge de cassation. Il est difficile de dire si le Défenseur des Droits est préalablement intervenu devant les juridictions du fond. Ç’aurait été intéressant de voir le chaînage pour voir si vous suivez l’affaire depuis la première instance ou pas. Mais les données sont là aussi très incomplètes. Il faudrait un temps et un travail de recherche sans doute passionnant là-dessus. S’agissant des modalités de constitution du Défenseur des Droits devant la Cour de cassation, la pratique du Défenseur des Droits semble avoir évolué puisqu’il a choisi de présenter lui-même ses observations, sans passer par le truchement d’un avocat du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation. Vous avez donc décidé d’intervenir directement, c’est une évolution intéressante parce que la consultation des mémoires des avocats au conseil, lorsqu’ils présentaient pour le compte du Défenseur des Droits des observations, ils procédaient à des développements qui répondaient aux moyens directement de la Cour de cassation, ce n’était pas nouveau, mais les avocats étaient très proches des moyens présentés par les parties, ce qui rapproche d’une certaine manière le Défenseur des Droits d’un intervenant accessoire, quand c’est un avocat au conseil qui intervient. Le Défenseur des Droits s’émancipe donc un peu à partir du moment où il intervient directement. Enfin, le Défenseur des Droits s’est emparé à de rares occasions de la possibilité de présenter des observations orales devant la Cour de cassation. Le texte de loi dit que, s’il demande à être entendu, le Défenseur des Droits, son audition est de droit. Et on a quelques rares interventions orales, et peut-être dans la partie propositions, on pourrait envisager un développement des observations en procédure orale devant la Cour de cassation lors de l’audience. Je termine cette première introduction, si on peut dire, en ajoutant qu’avant… j’ai constaté, on l’a déjà dit un peu ce matin, qu’avant de présenter des observations, le Défenseur des Droits formalise une décision… Pardon de ma naïveté… une décision écrite sur la nature de laquelle on peut s’interroger dans la procédure judiciaire, et on nous a dit que le Conseil d’Etat avait jugé qu’une telle décision était indissociable des observations, mais je trouve ça un peu surprenant car il a été dit encore ce matin que le Défenseur des Droits n’impose rien, qu’il n’a pas de pouvoir coercitif, que c’est dans son ADN, et néanmoins, il prend des décisions. Peut-être que c’est sa façon de produire un peu de droit souple que de prendre des décisions.
- Soraya Amrani Mekki : Il décide mais n’impose pas. Qu’en est-il maintenant du juge administratif ? Le Défenseur des Droits n’étant pas partie, n’a pas à être représenté par un avocat. Le choix avait été fait de le faire, mais la formalisation des observations ne pourra pas être la même et ne portera pas la même idée et ne transmettra pas les mêmes informations. Le fait de s’écarter du passage par les avocats au conseil dit aussi quelque chose de la nature de l’observation du Défenseur des Droits. Côté juge administratif ?
- Jean-Philippe Mochon : Merci beaucoup. Merci de me donner la parole, merci de cette invitation. Au plan quantitatif, je vais être rapide, puisque tout a été dit par mon voisin, qui avait des informations sans doute beaucoup plus complètes que les miennes puisque, en exploitant les bases de données du Conseil d’Etat, je n’arrivais pas à des informations aussi précises. Il faut retenir qu’il y a en effet un flux régulier qui n’est pas massif, mais régulier quand même d’observations du Défenseur des Droits, quantitativement plus important devant les juges du fond que devant les tribunaux administratifs et les cours que devant le Conseil d’Etat. Et qui se traduit donc par un investissement des différents champs de compétences du Défenseur des Droits.
D’ailleurs, peut-être un élément en complément sur le quantitatif : s’agissant des observations présentées par le Défenseur des Droits devant le Conseil d’Etat, c’est le nombre important d’observations dans des affaires de référé, ce qui peut se comprendre, en particulier bien sûr, on pense tout de suite aux affaires de référé liberté. Au plan procédural, on y reviendra tout à l’heure, mais ce que je relèverai seulement maintenant, c’est que, le plus souvent, le Défenseur des Droits intervient spontanément, éventuellement, ça peut être à la demande des parties, mais c’est important, ça a été mentionné, il arrive régulièrement que le Conseil d’Etat demande au Défenseur des Droits son intervention. Pourquoi ? Je crois que ça ressort de nos échanges de ce matin, c’est parce que le Défenseur des Droits est très bien placé pour éclairer le juge sur les enjeux de protection des droits tels qu’ils se posent et, évidemment, si on pense à la demande d’intervention qui avait été faite dans l’affaire d’Assemblée sur les contrôles d’identité à l’automne 2023, on comprend très bien que le Conseil d’Etat ait voulu s’assurer, solliciter, mobiliser toute l’expertise que le Défenseur des Droits avait pu avoir sur ce sujet.
Mais c’est vrai sur d’autres sujets aussi. Je me souviens par exemple d’une séance orale d’instruction qu’avait organisée ma chambre, à laquelle nous avions invité le Défenseur des Droits, et on a donc eu droit à la fois au Défenseur des Droits dans une séance en instruction et ensuite le dépôt d’observations. Il s’agissait de vérifier comment fonctionnait le droit au recours face au système automatisé du contrôle de stationnement payant. C’est effectivement très utile et précieux, évidemment, de pouvoir mobiliser toute cette expertise bâtie par le Défenseur des Droits. Donc, tout ça dans les différents champs de compétences : bien évidemment, la lutte contre les discriminations, et je mentionnais à l’instant l’affaire sur les contrôles d’identité qui était aussi, pour le Conseil d’Etat, la première fois qu’il se prononçait sur une action de groupe. Donc, c’était aussi absolument déterminant.
Mais c’est vrai aussi des autres champs de compétences, comme la déontologie des forces de sécurité, on a dit un mot de l’affaire relative à l’identification des membres des forces de l’ordre, le numéro RIO, et là aussi, le Défenseur des Droits avait pu jouer un rôle essentiel, c’est vrai aussi de la protection des droits dans les relations avec l’administration, et j’ai parlé de l’affaire du stationnement payant, on voit encore un champ de compétences où le juge administratif sollicité le Défenseur des Droits. C’est vrai aussi bien sûr pour les problématiques de protection des enfants et sans oublier, bien sûr, les questions ayant trait aux lanceurs d’alerte. Finalement, on voit que, sur l’ensemble des champs de compétences du Défenseur des Droits, on peut être amené à solliciter et rechercher son expertise.
- Soraya Amrani Mekki : Merci beaucoup. Après ce panorama des observations du Défenseur des Droits devant les juridictions judiciaire et administrative, la question que l’on a commencé à effleurer depuis ce matin, c’est quand même celle de son statut procédural. On dit que ce n’est pas une partie, pas un tiers, pas tout à fait un ami de la cour non plus. La Cour de cassation, et d’ailleurs, la chambre sociale dans un arrêt de juin 2024, a indiqué que, le Défenseur des Droits n’étant pas une partie, il pouvait déposer ses observations après l’ordonnance de clôture. Ce n’est pas non plus un intervenant. Mais alors, comme le droit a horreur du vide et que les juristes ont tendance à vouloir catégoriser, qu’en pensez-vous, Monsieur le Président ?
- Les textes de disent rien, la dernière décision de la chambre sociale a repris une solution antérieur et nous dit que le Défenseur des Droits a le droit de présenter des observations par lui-même, par son avocat, par son représentant, pardon, dont rien n’interdit qu’il soit avocat. Ceci ne lui confère pas la qualité de partie, et la Cour de cassation en déduit que le Défenseur des Droits n’est pas tenu par les délais de procédure, dès lors que les parties ont été mises en mesure, c’est important de le rappeler, de répliquer à ces observations. Il appartient au juge de veiller scrupuleusement au respect de ce principe. Comment qualifier la place du Défenseur des Droits dans la procédure ? En effet de manière un peu négative, ce n’est pas un intervenant volontaire, puisque, devant la Cour de cassation, l’intervention volontaire ne peut qu’être accessoire au titre du code de procédure civile, mais selon l’article 330 du code, l’intervenant accessoire appuie les prétentions des parties et la recevabilité d’intervention suppose un intérêt pour la conservation de ses droits, ce qui n’est à l’évidence pas le cas du Défenseur des Droits qui, même si la loi peut lui donner le rôle de conseil, ne poursuit pas la recherche pour une partie, ni la conservation de ses droits propres. Quant au rôle du procureur général près la Cour de cassation, le procureur général n’est pas davantage parti que le Défenseur des Droits, mais son champ n’est pas limité, il a vocation à intervenir dans toute matière et l’intérêt du droit commun ne se confond pas avec les missions dévolues au Défenseur des Droits, le Défenseur des Droits n’est pas non plus un expert commis par le juge pour éclairer seulement celui-ci sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien. Ça n’est pas non plus un témoin qui atteste des faits litigieux dont il a personnellement connaissance. C’est un acteur de l’instruction de l’affaire devant le juge judiciaire que l’on rapproche volontiers habituellement, j’ai entendu ce qu’on a dit dans la matinée, mais j’ai tendance à penser que, si on veut le rapprocher le plus de quelque chose, c’est de l’amicus curiae, mais le Défenseur des Droits peut présenter les observations de son propre mouvement, pas seulement à l’initiative du groupe, sans y être spécialement invité. Il faut bien admettre que cette place du Défenseur des Droits est procédurale et est inédite. Si je dis que c’est sui generis, je n’ai rien dit…
- Soraya Amrani Mekki : Il y a toujours une articulation avec le parquet général qui est censé être la fenêtre sur l’extérieur, mais le parquet général demande des avis au Défenseur des Droits, ce qui montre bien que ce qu’il peut apporter est de nature différente et qu’on peut avoir des complémentarités très intéressantes. Pour le juge administratif, je pense que vous allez parler de cette circulaire de 2015 qui cite le terme d’ami de la cour, donc, quel est votre sentiment ?
- Jean-Philippe Mochon : C’est un observateur sui generis pour nous. C’est effectivement… on sait tout ce que n’est pas le Défenseur des Droits, mais je pense que, pour une autorité constitutionnelle, on peut bien lui faire une place à part dans la procédure administrative, et une place… un petit détail en plus de cette procédure à part, c’est le fait que ses interventions orales soient de droit devant le juge administratif, c’est quand même quelque chose qui est quand même très, très particulier. On a eu à juger évidemment quelques éléments. On sait donc que le refus du Défenseur des Droits de présenter des observations n’est pas susceptible de recours. On sait que les recommandations du Défenseur des Droits, on s’éloigne de la problématique des observations devant le juge, mais ses recommandations ne sont pas davantage susceptibles de recours. Ça a été jugé s’agissant de la HALDE initialement, puis en 2019 encore s’agissant du Défenseur des Droits. Quand on s’intéresse au contentieux administratif, on peut se dire qu’il y a une petite question. Il se trouve que cette décision de 2019 est antérieure à certains développements de la jurisprudence administrative en ce qui concerne le droit souple et quand on se rapporte aux conclusions du rapporteur public de l’époque, on apprend qu’il n’y a pas à se poser la question de l’application de la jurisprudence sur le droit souple.
Il n’y a pas à se poser cette question parce que le Défenseur des Droits n’est pas une autorité de régulation. Certes. Simplement, le fait d’être une autorité de régulation n’est plus un critère nécessaire pour qu’on soit face à un acte susceptible de recours, donc, il y a une petite question. Mais à ce stade en tout cas, on est bien face à des actes qui ne sont pas susceptibles de recours.
Mais peut-être je voudrais ajouter un mot : le Défenseur des Droits, il est un observateur sui generis, mais ce qui est intéressant aussi, c’est que le Défenseur des Droits, même quand il n’est pas devant le juge, il est toujours là dans le paysage. Et je pense à plusieurs affaires importantes où les réflexions, les travaux du Défenseur des Droits ont été pris en compte par Conseil d’Etat alors qu’il n’avait pas produit, typiquement l’affaire de la section à la Simed par rapport aux téléprocédures. La lecture des conclusions du rapporteur public montre que les réflexions du Défenseur des Droits sur le sujet était à l’esprit de la formation de jugement. Mais je pense aussi à une affaire portée par la cinquième chambre, il était question de la dangerosité de certaines armes non létales, et là aussi, la réflexion du Défenseur des Droits était dans le paysage. Donc, on a cette observation sui generis et on a une autorité constitutionnelle qui est dans le paysage et dont les travaux informent le travail du juge.
- Soraya Amrani Mekki : Merci. Même en dehors d’une observation stricte dans une procédure, on peut informer au-delà, c’est une source d’information pour les juges. Pour le Défenseur des Droits, j’imagine que ce non-statut procédural est peut-être quelque chose de positif, finalement, parce que ça lui laisse plus de marges de manœuvre. Qu’en pensez-vous ?
- Marc Loiselle : Je ne sais pas si ça lui en laisse davantage mais il y a un consensus sur le fait que personne ne sait exactement ce qu’est le Défenseur des Droits quand il intervient en contentieux. Est-ce que ça lui laisse plus de marge de manœuvre procédurale ? Je ne suis pas sûr car on se glisse dans les règles propres à chaque juridiction, quand le Défenseur des Droits y intervient, en première instance comme en cassation, il s’approprie les règles de l’intervention qui sont traditionnellement celles du juge, donc, il n’y a pas de liberté propre de ce point de vue-là. Pour revenir sur la façon concrète dont il intervient et la question de la décision portant observation, je crois que ce n’est pas à proprement parler une décision susceptible de recours. Ce n’est ni plus, ni moins qu’un texte communiqué par écrit à une juridiction, soumis à l’appréciation de celle-ci, qui se l’appropriera ou pas, dans la mesure qu’elle le souhaite. Ces observations, telles qu’elles sont communiquées au juge, elles sont donc écrites, mais peuvent être également orales. Là aussi, ce sont les règles procédurales de chaque juridiction qui priment.
- Soraya Amrani Mekki : Merci. Quand je disais que ça laisse plus de souplesse, c’est qu’on a connu l’ami de la cour depuis très longtemps et quand on a décidé de le réglementer, on ne l’a fait que devant la Cour de cassation, on ne s’est pas posé la question de savoir si c’était possible en dehors, puisqu’on n’avait un article que pour la Cour de cassation, de la même façon que, quand on donne un statut procédural devant la Cour de cassation, on va se demander ensuite s’il faut une égalité des armes, plusieurs amis de la cour qui iraient dans un sens ou un autre pour alimenter le contradictoire, ça enclenche des questions procédurales. Le fait de ne pas être dedans permet parfois un peu plus de souplesse. Il est important maintenant de savoir quel est l’impact de ces observations sur la fonction de juger, le juge. Est-ce que ça reste une source d’information ? Est-ce que l’on reprend les motifs, est-ce qu’on les vise ? Est-ce que l’on attend des observations des éléments de contexte, est-ce qu’on est quand même preneur d’éléments strictement juridique, même si la cour connaît le droit, parce qu’on va avoir peut-être une sensibilisation particulière à la jurisprudence de la CEDH ? Question extrêmement compliquée. On commence avec vous, avec la juridiction administrative.
- Jean-Philippe Mochon : Merci beaucoup. En préparant cette intervention, j’ai demandé à un stagiaire de m’aider à regarder ça. Il a essayé de faire une statistique pour répondre à la question toute simple : dans quelle proportion de cas les observations du Défenseur des Droits sont-elles suivies ? C’est impossible en fait à dire de façon très nette ! Je préfère ne pas vous donner le chiffre auquel il arrivait parce que je crois que ce n’est pas du tout significatif. Ce qui est intéressant, c’est plutôt de se demander, et ça va nous montrer quelle est la portée de ces observations et comment s’articule le travail du Défenseur des Droits et le travail du juge, c’est de se demander : pourquoi ça peut aller dans le même sens ou non et comment ça fonctionne ?
Le juge est toujours sensible aux observations. Même quand il n’y a pas d’observation, il peut entendre le Défenseur des Droits, donc, quand des observations ont été déposées, il y est toujours sensible. Et ça ne se voit pas toujours dans la décision. Il y avait eu une affaire, c’était une association qui mettait en question les règles d’accès des personnes séropositives dans la police et la gendarmerie, sujet compliqué et extrêmement sensible.
Et en effet, le Défenseur des Droits avait présenté des observations, il estimait que le seuil de la discrimination était atteint et que les règles devaient être changées. Ça a tellement bien marché que le Ministre a adressé un courrier au ministre de la Défense pour dire qu’il fallait changer les règles tout de suite. Deux semaines après la séance. Tout ça s’est terminé par une merveilleuse décision de non-lieu où la question posée avait été résolue parce que le gouvernement avait décidé de bouger.
Je pense que les associations qui avaient saisi le juge y étaient pour beaucoup, que le juge y avait sa petite part et que le Défenseur des Droits, qui a présenté ses observations, pour qui c’était un long combat, avait également sa part. Juste un petit élément : il faut savoir que cette question précisément avait été posée à l’occasion d’une commission d’enquête, si je me souviens bien, de l’Assemblée nationale sur les discriminations dans les armées. Et il y avait un rapport de cette commission d’enquête qui, pendant deux pages, expliquait le problème et disait que ça n’allait pas, et il ne s’était rien passé, parce que sans doute il y avait une mise en cause, l’administration avait fait le gros dos et il ne s’était rien passé. Mais quand on s’y met à plusieurs, voilà, on peut avoir des résultats. Et en l’occurrence, ça ne se voit… Franchement, la décision de non-lieu ne ressemble pas à grand-chose, mais pour autant, voilà… Et le Défenseur des Droits y avait joué tout son rôle. Le juge administratif, pour autant, il ne partage évidemment pas toujours, à la fin des fins, le sens des observations dont il était saisi.
Je faisais allusion à une affaire sur les armes non létales. Il y en avait une autre qui s’était retrouvée en chambre aussi où il y avait une position du Défenseur des Droits et le Conseil d’Etat n’avait pour autant pas pris la décision qui lui était demandée, c’était en l’occurrence la Ligue des droits de l’Homme, consistant à retirer de la dotation le LBD40. La décision n’avait pas été prise. On a une pesée des intérêts et une perspective qui est différente et, donc, on n’arrive pas forcément aux mêmes résultats. Je pense à un autre exemple, il s’agissait d’une QPC, c’était encore en rapport avec la cinquième chambre, sur le régime de ce que l’on appelle le régime d’expulsion des habitats informels à Mayotte. Et le Défenseur des Droits avait produit des observations et le Conseil d’Etat a considéré qu’il n’y avait pas matière à transmettre la question au Conseil constitutionnel eu égard à l’équilibre retenu entre les nécessités d’ordre public et la protection des atteintes, y compris la dignité de la personne humaine. Voilà, la pesée peut être différente. Il peut aussi arriver que le juge partage une large part des observations, mais pas les conclusions, et là, je pense bien sûr à la décision d’Assemblée Amnesty International sur la question des contrôles d’identité, on est dans une situation où le juge a demandé des observations du Défenseur des Droits sur un sujet de long terme, position bien connue, un sujet essentiel, bien sûr, qui a été porté devant le prétoire du Conseil d’Etat, et le Conseil d’Etat reconnaît, pose dans sa décision le fait qu’il existe un problème systémique, mais pour autant, le Conseil d’Etat juge que, eu égard à son office, ce n’est pas au Conseil d’Etat de définir une politique publique, et donc, malgré le partage de beaucoup d’éléments soulevés par le Défenseur des Droits, le rôle du Conseil d’Etat le conduit, ou la manière dont il définit son office, et c’est un élément important, bien sûr, à ne pas faire droit au recours des associations.
Et puis, donc, il y a cet élément. Et peut-être encore une autre explication de pourquoi ça ne colle pas, pourquoi on ne va pas forcément dans le même sens quand on est le Défenseur des Droits et celui qui dit le droit. Un autre exemple, c’est… il arrive des cas où le juge, le Conseil d’Etat… C’est la cour administrative d’appel en l’occurrence, qui privilégie un terrain différent de celui qui avait été proposé par les observations du Défenseur des Droits, je pense à une affaire tranchée par la cour administrative d’appel de Paris l’an dernier et qui a fait l’objet d’un pourvoi en instruction. L’affaire pose la question de l’accès à la fonction publique, en l’occurrence à la police, pour une personne qui présente, sur le front, une marque caractéristique d’une pratique religieuse.
Et dans cette affaire, le Défenseur des Droits a produit des observations dans le sens de l’existence d’une discrimination, puisque c’est un refus d’accès à la fonction publique, et donc, la cour administrative d’appel a annulé la décision, mais n’a pas reconnu l’existence d’une discrimination, la cour s’est placée sur le terrain des exigences du principe de neutralité, de laïcité, a estimé que l’existence d’une marque qui peut être la conséquence d’une pratique religieuse dans le cadre privé, eh bien, ça ne suffit pas à justifier, eu égard les exigences du principe de neutralité, le refus d’agrément. C’est le terrain choisi par la cour et, dans son raisonnement, la cour se pose également la question de savoir si la qualification de discrimination serait juste et l’écarte en disant que ça peut rentrer en ligne de compte, mais que ça ne suffirait pas. Tout ça… Voilà, j’essaie de faire une sorte de panorama. On se pose des questions qui peuvent être les mêmes, dans une perspective qui n’est pas tout à fait la même. Ça a été suffisamment dit. On peut donc arriver à faire un long morceau du chemin ensemble et ne pas arriver aux mêmes conclusions.
- Soraya Amrani Mekki : Merci. C’est très intéressant. Il ne s’agit pas de remplacer le juge ou de faire le travail à sa place, il s’agit de l’alimenter en termes de réflexion, donc, on peut partager effectivement les observations du Défenseur des Droits tout en ayant un raisonnement, une articulation juridique différente. On peut aussi avoir comme référence les observations du Défenseur des Droits, mais les avoir comme motif des motifs sans que ça apparaisse dans la motivation. Qu’en est-il pour les juridictions judiciaires ?
- Jean-Michel Sommer : Merci. Je pense que cette question de l’impact des observations du Défenseur des Droits, c’est-à-dire la question de la réception par le juge de ces observations, est la plus difficile, peut-être. Et peut-être la plus intéressante en réalité parce qu’elle oblige à lire les observations si on veut essayer de rendre compte de quelque chose et en regarder le contenu dans un certain nombre d’affaires. Alors, évidemment, de manière systématique, ça n’est pas possible. La seule lecture des arrêts de la Cour de cassation, en tout cas, ne rend pas compte de la position prise par le Défenseur des Droits. Je n’ai pas trouvé d’exemple où, dans la motivation, on ait véritablement pris en considération, en dépit d’ailleurs du développement à la cour, d’une motivation enrichie, chacun l’observe dans certaines affaires, et dans les affaires les plus importantes. On n’a pas encore rendu compte de l’observation du Défenseur des Droits, il faut donc se reporter aux observations pour savoir si, oui ou non, il y a une possibilité de mettre en relation les observations avec la décision prise par la Cour de cassation.
Et de savoir s’il a été suivi, ça n’est pas mesurable. On ne peut pas mettre simplement en regard le conclusif des observations avec la décision de cassation ou de rejet par la cour pour prendre la mesure de la prise en compte de ces observations dans la réflexion qui est celle dans l’intimité du délibéré du juge de cassation. Il me paraît évident tout de même que, par ses missions, par son expertise, on l’a dit, des sujets traités, par ses ressources, son indépendance, bien sûr, l’accumulation, j’ai noté ça ce matin, de savoirs, le Défenseur des Droits met dans le débat les éléments qu’il a recueillis lors de l’enquête, lorsqu’il en a fait une, des recommandations générales, une analyse juridique, des données de contexte, qu’on appelle parfois, et je me réfère à une vieille chronique de 2005, qu’on appelle des faits de société, des données de contexte qui ne sont ni les faits de la cause, du procès, apportés par les parties, et qui ne relèvent pas davantage du domaine strictement du droit.
Et quand on lit les observations du Défenseur des Droits, je vais donner quelques exemples, on voit qu’on est, selon les cas, entre le fait et le droit, et des données de contexte, des données plus générales qui sont quand même tout à fait intéressantes pour nous car ça permet de prendre la mesure des décisions que nous prenons et de leur portée, même si nous répondons à des moyens qui nous sont présentés par les parties.
Je vous disais que je vous propose de nous référer à… je vais réduire un peu mon propos, je ne sais pas s’il y aura des contributions écrites, mais à trois décisions, trois-quatre décisions qui ont été rendues dans la période pas très récente, depuis 2020 à peu près. En 2022, la première chambre civile, sa présidente est ici, elle me corrigera si je me permets de parler de la jurisprudence de cette chambre, mais c’est un arrêt tout à fait important et intéressant qui a été rendu qui posait la question de la validité d’un règlement intérieur d’un conseil de l’ordre des avocats qui prohibait le port de signes manifestant ostensiblement une opinion, le port du voile, du foulard, etc. Le Défenseur des Droits a présenté des observations dans cette affaire très juridiques, et dans un contentieux de la légalité, c’est ça, entre guillemets, d’un acte qui était discuté, et l’analyse qui est faite est une analyse précise sous l’angle de la compétence de l’ordre des avocats et par rapport à la légalité interne du règlement intérieur. Donc des observations très détachées.
L’avis qui a été exprimé n’a pas été repris, mais on a dit que ce n’était pas déterminant, c’est comme lorsqu’on est cassé par la Cour de cassation, on n’a pas toujours tort. L’avis n’a pas été repris, ni par l’avocat général, ni par la première chambre.
Une autre affaire toujours de la première chambre sur le pourvoi du procureur général de Rennes, un arrêt qui répondait à la question de la reconnaissance de la filiation d’un homme devenue femme qui avait procréé avec son épouse après la modification de son sexe dans les actes de l’Etat civil. Les observations du Défenseur des Droits, présentées à la demande de l’avocate générale, qui avait parallèlement sollicité aussi le conseil consultatif national d’éthique, ces observations sont axées sur les lacunes du droit à la filiation en cas de changement de sexe d’un parent avant la naissance d’un enfant. Le Défenseur des Droits se réfère largement à la jurisprudence européenne, à la nécessité de garantie de l’intérêt supérieur de l’enfant, etc. Ces informations renvoient à son propre positionnement, celui du Défenseur des Droits, qui résultait d’un avis de 2018 émis par lui et a retenu l’impossibilité de la filiation de lien maternel pour l’enfant. On voit aussi ce qu’il en est à partir du contenu des observations. J’ai évoqué la question tout à l’heure de la QPC qui a été transmise, dans laquelle ont été produites devant la Cour de cassation de longues observations sur la question de l’action de groupe en matière de discrimination et la non-rétroactivité de l’action de groupe. On avait là déjà des observations très précises du Défenseur des Droits qui ont alimenté le travail de la chambre. Le Conseil constitutionnel a ensuite déclaré conforme la disposition litigieuse. La même chambre sociale en 2023 a cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui n’avait pas recherché… C’était une salariée qui avait signalé une alerte et saisi le comité d’éthique d’une entreprise susceptible d’être qualifiée de corruption, on est dans les lanceurs d’alerte, là, et donc, la question posée était de savoir s’il était rapporté la preuve par l’employeur de savoir si le licenciement était justifié par des éléments étrangers à l’alerte. Les observations du Défenseur des Droits, qui avait été saisi d’une réclamation, avaient constaté que la salarié avait bénéficié de la protection du lanceur d’alerte et bénéficiait de l’aménagement de la charge de la preuve et ces observations décrivaient des éléments factuels, de telles observations constituaient dans ce dossier une véritable défense des intérêts de la lanceur d’alerte en question devant la juridiction des droits de l’intéressée au plus près du cas qui était présenté par le Défenseur des Droits. Je cite pour terminer un arrêt de la chambre criminelle. En 2015, cet arrêt était assez intéressant, il a jugé punissable, au titre d’une discrimination, le fait de refuser d’embarquer à bord d’un aéronef sans motif légal de sécurité une personne handicapée non accompagnée et d’établir une réglementation interne à la compagnie soumettant à une condition d’accompagnement l’accès à un avion d’une personne se déplaçant en fauteuil roulant. Le Défenseur des Droits dans ce dossier a développé une argumentation par le truchement d’un avocat qui constituait aussi une défense au mémoire de la compagnie incriminée dont il analysait les moyens de cassation précisément comme s’il était en charge des intérêts du passager concerné. C’est un peu empirique, ce que je dis, on part de quelques exemples, mais on voit qu’il y a une sorte d’hésitation qui fait écho à ce qu’on a dit sur le statut naturellement du Défenseur des Droits. Mais pour nous, à la Cour de cassation, il est quand même très riche, très important, au-delà du cas d’espèce, et puis on est des juges du droit principalement, d’avoir tous ces éléments et de bénéficier de cet enrichissement de l’expérience, de la compétence et de l’indépendance aussi du Défenseur des Droits. Donc, la réception, et je ne sais pas si on fera quelques suggestions, mais voilà ce que je…
- Soraya Amrani Mekki : Merci. On voit que c’est assez intéressant parce qu’il y a à la fois des observations pour la défense d’un particulier et la défense et les observations un peu grande cause, c’est-à-dire un débat plus large. Il y a quand même deux choses qui sont intéressantes. La première, c’est que, s’il n’y a eu qu’une demande d’observation devant la Cour de cassation, c’est le parquet général et ça vient d’une personne particulièrement sensibilisée parce que par ailleurs membre du CCNE et d’une autre autorité des droits de l’Homme, donc, cette sensibilisation existait, ce qui peut permettre d’espérer qu’une sensibilisation plus large conduite à d’autres observations, et il y a des catégories différentes d’observation et il y a des cas où, par exemple dans des cas de coconstruction du droit notamment, où les observations ont un intérêt tout particulier. Ce qui m’amène à vous repasser immédiatement la parole une minute chacun pour quelques préconisations concernant les observations : comment on pourrait les améliorer ? Qu’est-ce qu’on pourrait proposer ?
- Jean-Michel Sommer : J’ai une minute ?
- Trente secondes suffiraient à vous convaincre, comme dirait un avocat, mais je vous en donnerai deux… Je vous en donne une pour que vous puissiez en prendre trois.
- Jean-Michel Sommer : Je crois, pour faire écho à ce qui a été dit ce matin par Antoine Lyon-Caen, je présenterai cette proposition sous l’angle de la prescription et de l’interruption du délai de prescription par la saisine du Défenseur des Droits. Ce qui m’importe, vu du côté du juge, c’est d’appeler l’attention spécialement sur le droit du travail du Défenseur des Droits sur la complexité de la question de la prescription. Pour les discriminations, le harcèlement, on sait ce qu’il en est, mais les dossiers sont plus complexes. Et on ne cesse de nous interroger sur la loi de 2018, ses conséquences et les prescriptions sociales en matière de droit du travail. C’est passionnant, mais tout à fait compliqué. Là, je ne voudrais pas, et je vous invite à suivre d’assez près la jurisprudence de la cour sur ces sujets-là, parce que je ne voudrais pas que les droits des intéressés, les salariés notamment, soient prescrits du fait d’une inadvertance par rapport à ces délais.
Voilà une première proposition que je fais. J’ai droit à deux propositions encore ?
Il faut aussi les faire avec prudence.
Je pense qu’on pourrait envisager, comme le Conseil d’Etat l’a fait bien avant nous, et je me suis rapproché du Sder sur ce sujet-là, de diffuser auprès des juridictions du fond, alors peut-être pas une circulaire, ce n’est pas trop dans notre culture, mais une note d’information, de présentation de l’institution, des prérogatives du Défenseur des Droits, parce que je pense qu’il y a une large part de ce qu’on observe qui résulte d’une méconnaissance, comme la nôtre, d’ailleurs, des choses.
Je pense qu’au niveau… alors, ça n’est qu’au niveau de la Cour de cassation, c’est une partie très émergée des contentieux qu’on y voit, mais je me propose, moi, d’appuyer spécialement, en droit du travail en tout cas, l’attention des conseillers et rapporteurs, dont d’ailleurs les rapports sont plus souvent diffusés, ceux de notre chambre en tout cas, à l’extérieur, d’appeler leur attention sur une recherche un peu systématique, lorsqu’on a des affaires qui rentrent dans le périmètre du Défenseur des Droits, sur les travaux qui ont été faits, sur les rapports, rapport annuel, rapports particuliers. On nous a parlé là de décision cadre de la semaine dernière sur les mineurs, de cette semaine, je crois même… J’entendais à la radio, je vous entendais hier soir, Madame la Défenseure des Droits, sur la discrimination… donc, de la documentation, du matériel, des matériaux qui peuvent être mobilisés par les rapporteurs à la Cour de cassation.
Dernière proposition, au-delà d’échanges qu’on pourrait développer plus, vous aviez suggéré sur les lanceurs d’alerte qu’on ait des échanges plus particuliers avec la cour, mais je voulais peut-être envisager la possibilité… On a vu ce qu’étaient les observations du Défenseur des Droits tout à l’heure, mais quand on a des observations très juridiques, et il n’y a pas de confusion, je comprends pourquoi vous avez abandonné l’idée de donner à un professionnel de la cassation la défense de vos intérêts, on pourrait prendre un relais derrière en relevant d’office certains moyens de cassation, ça peut être imaginé. Je ne suis pas de l’école de ceux qui pensent qu’on doit dire le droit de manière générale en nous éloignant des parties, mais j’observe quand même un développement des moyens, je les compte… enfin… des moyens relevés d’office. Je pense que, dans ce domaine, à partir de vos observations, quand elles ont un caractère juridique, on pourrait s’interroger de façon plus naturelle sur la possibilité de mettre dans le débat une question juridique, à condition qu’elle soit de pure droit, à la condition du relevé d’office. J’ai d’autres choses, on pourra échanger en dehors de…
- Soraya Amrani Mekki : C’est déjà très bien. Pour la juridiction administrative ?
- Jean-Philippe Mochon : Je pense que le premier point, c’est de continuer, pour le Défenseur des Droits, à faire connaître ce très riche travail, cette très riche expertise. On a entendu tout à l’heure les différentes conclusions, il était question de l’instituteur, mais voilà, il faut absolument que… pour que cette sentinelle puisse jouer son rôle sur la protection des droits, je pense qu’il est absolument essentiel qu’il y ait des travaux, comme les travaux sur les téléprocédures que j’ai mentionnés tout à l’heure et l’impact sur les droits des usagers. J’ai mentionné également l’affaire du stationnement payant. Ça a l’air d’une petite affaire mais on a fondamentalement des atteintes au droit qui sont perçues quotidiennement par des milliers et des milliers de personnes, donc, qu’il y ait le Défenseur des Droits pour dire : voilà, la manière dont fonctionne ce stationnement payant, c’est comme ça, et ça nous a permis, grâce à en partie de ce travail-là, de réfléchir à la façon dont on fait fonctionner aussi le droit au recours. Tout ce substrat de la protection des droits, qui est l’une des œuvres du Défenseur des Droits, c’est essentiel et je pense que c’est vraiment très précieux que ce soit enrichi. A propos des observations, je ne serai pas long, mais fondamentalement, mon message serait de dire : ne vous découragez pas, ce n’est pas parce que vous n’êtes pas forcément suivi… Encore une fois, ça met dans le paysage. J’ai essayé tout à l’heure de retracer pourquoi le destin des observations n’était pas toujours d’être suivies, mais voilà… Mais là aussi, il faut absolument continuer. Et toujours dans la même optique, la question se pose justement de savoir la distinction entre le rôle du Défenseur des Droits et le rôle de ces très grandes associations, la Ligue des droits de l’Homme, Amnesty International, etc., ils sont là et font un travail essentiel pour le Conseil d’Etat, mais le Défenseur des Droits, c’est autre chose. Mon dernier message est simple : vous avez justement cette identité toute particulière et donc, voilà, persistez dans votre être. C’est ça, mon dernier message.
- Soraya Amrani Mekki : Merci beaucoup. Il est très important de ne pas confondre l’institution du Défenseur des Droits avec des associations, des ONG, quelle que soit la qualité de leur travail. Côté Défenseur des Droits, justement, est-ce qu’il y a des propositions ?
- Marc Loiselle : J’entends ce qui a été dit dans vos interventions et je me demande si, pour améliorer ce dialogue entre les juridictions et le Défenseur des Droits, il ne faudrait pas modifier, du point de vue du Défenseur des Droits, la présentation des observations. Je me demande si, dans nos interventions, on ne devrait pas à un moment donné préciser les enjeux qui s’attachent à nos observations, préciser si on veut mettre l’accent sur les faits et l’enquête ou sur le contexte dans lequel on intervient, préciser finalement si, parfois, l’enjeu n’est pas une évolution du droit en mesure de renforcer la protection des droits et des libertés. Je pense qu’il y aurait un travail à faire chez nous qui se dégage de la préparation de ce colloque et des points de vue émis dans cette table ronde à différentes reprises. Je pense qu’il y aurait peut-être aussi un autre élément par rapport à ce dialogue entre juridictions et Défenseur des Droits, plutôt imputable aux juridictions, qui serait de préciser les attentes, lorsqu’une demande d’avis ou d’observation nous est transmise. On a souvent une transmission du dossier sans autre commentaire avec un délai de réponse, entre 21 jours et deux mois, parfois, rarement plus, d’ailleurs, et peut-être que, finalement, il faudrait aussi que le juge parfois précise ses attentes sur la nature de l’éclairage qui l’intéresserait, sur les faits, le contexte, le cadre juridique, l’interprétation que le Défenseur des Droits peut porter.
- Soraya Amrani Mekki : On est toujours dans une coopération, un travail en partenariat. Y a-t-il quelques questions de la salle ?
C’était parfaitement clair. Je vous remercie.
Question de la salle, une fois… Allez-y. Est-ce que vous avez l’amabilité de prendre le micro et de vous présenter avant de poser votre question, Madame ? Le micro arrive.
- Bonjour. Je suis présidente à la cour administrative d’appel de Versailles. J’avais une première question qui était : est-ce qu’il est possible d’avoir une photographie des saisines du Défenseur des Droits ? Est-ce que ce sont plus des particuliers ? Plus des associations ? Plus des citadins ? Plus des gens éloignés des grands centres urbains ? Est-ce que vous avez travaillé sur une photographie des saisines que vous recevez ?
C’est peut-être…
- Marc Loiselle : C’est pour moi, mais je ne suis pas si le traitement des dossiers permet de répondre pleinement. Ceci étant, sur la façon dont se décompose le panel de gens qui saisissent le Défenseur des Droits, sur la première partie de votre question qui concerne des particuliers ou des associations, une immense majorité des réclamations sont adressées par des particuliers, pour la bonne et simple raison que l’association ne peut pas saisir le Défenseur des Droits, les conditions de recevabilité sont assez complexes et l’association ne peut pas, en tant que telle, saisir le Défenseur des Droits. Il faut que, pour ça… Il y a des conditions de recevabilité différentes en fonction des missions, c’est relativement complexe, selon que l’association intervient dans le champ de la lutte contre les discriminations, ou dans d’autres champs, les conditions ne sont pas les mêmes. Mais la plupart des réclamations sont en effet adressées par des personnes individuelles.
Sur la saisine urbaine ou rurale qui semblait se dégager de votre question, là aussi, les statistiques sont extrêmement compliquées, mais je mettrai l’accent sur le fait qu’on a un réseau de délégués sur le territoire et lorsque les saisines, et même plutôt de territoires ruraux, finalement, les délégués du Défenseur des Droits interviennent donc, en dehors de ça, je n’aurai pas de statistique beaucoup plus précise à vous donner.
- Soraya Amrani Mekki : Merci.
- Je peux compléter un peu ? 80% de nos réclamations sont traitées par les délégués, elles arrivent par les délégués, qui sont des délégués territoriaux, on en a dans des grandes villes, mais aussi dans des zones rurales. On pourrait essayer de creuser si on en a plus à certains endroits… ça rejoint une question qu’on se pose sur les difficultés d’accès au droit dans les zones rurales et en banlieue. A un moment, il faudra qu’on extraie les informations que l’on a de ces endroits. Dès qu’on ouvre une permanence d’un nouveau délégué quelque part parce qu’on veut se rapprocher des gens, on a des réclamations qu’on n’avait pas avant qui arrivent.
- Mais par rapport aux sujets que vous abordez, je m’étonnais qu’il n’y ait pas des sujets par exemple sur l’accès aux soins, les difficultés d’accès aux soins. C’était ce qui motivait un petit peu ma question.
- Si, on en a, et par exemple en protection de l’enfance, c’est quelque chose qu’on a fait très largement ressortir, sur les difficultés d’accès aux soins, particulièrement en santé mentale. Après, le prisme de ce qui est repris dans les médias ne dit pas tout ce qu’on fait, en fait, et c’est là qu’il peut y avoir un hiatus entre ce qu’on fait sur le terrain et ce qui est repris, qu’on arrive à dire un peu plus au moment du rapport annuel, mais moins dans le quotidien.
- Monsieur Loisel voulait reprendre la parole, puis deux questions ensuite.
- Marc Loiselle : Une remarque par rapport à ce qui vient d’être dit… Une réclamation peut se retrouver au bout d’un certain temps devant la Cour de cassation. Il arrive en fait que le délégué intervienne par le biais de la médiation. Cette médiation ne fonctionne pas, et que, au fur et à mesure du déroulement du litige, la personne en arrive à saisir les juridictions, et là, le siège va intervenir par ses moyens d’intervention, décrits ce matin, et de fil en aiguille, il arrive qu’une réclamation qui arrive dans une permanence de délégué oralement puisse donner lieu à des observations écrites devant une juridiction.
- Merci. Madame ?
- Je suis première vice-présidente de la cour administrative d’appel de Douai. Et je suis à ce titre référente médiation et vous avez dit ce matin que 80% des réclamations se terminaient, si j’ai bien compris, en médiation. Je serai intéressée de savoir quel type de litiges font l’objet de médiations.
- Vous ne remplissez pas toutes les fonctions, mais je pense que vous pouvez répondre !
- Pas de délégué à la médiation, en effet, on en a un chez le Défenseur des Droits, mais ce qui est important, sur la question de l’articulation de la médiation avec l’intervention au contentieux, c’est de souligner qu’il n’y a pas d’objet propre à la médiation, celle-ci peut être mobilisée pour tous les types de litige (discrimination, atteinte aux droits des usagers des services publics…), à l’exception probablement, et encore, la question peut se poser, de la mission lanceur d’alerte, il n’y a pas de territoire interdit en quelque sorte à la médiation.
Donc, difficile de faire une réponse sur les types de litiges plus propices à un règlement en médiation. Ça concerne l’ensemble des missions, peut-être à l’exception aussi de la déontologie, même si ça peut se concevoir de temps à autre. Ce qui est important de souligner, ceci étant, il se peut qu’une évolution jurisprudentielle serve à un délégué du Défenseur des Droits, à renforcer finalement la médiation, donc, à une innervation, et le Défenseur des droits peut alors servir de médiateur.
- Merci. Je suis avocate honoraire au Conseil d’Etat à la Cour de cassation et ancienne déléguée du Défenseur des Droits, j’interviens avec ces deux casquettes. Sur la première pour dire que ce que j’ai entendu aujourd’hui m’a rempli de bonheur par rapport à l’affaire de la Cour de cassation pour permettre à la HALDE de présenter des observations, et ce que j’entends aujourd’hui me remplit de bonheur car nous avons beaucoup avancé sur ce point. Ma question porte sur le passage de ce qu’entendent les délégués au jour le jour dans leur permanence à la saisine des juridictions, c’est-à-dire comment est-ce que ce qui est entendu et rapporté par le délégué dans son compte rendu… ses tentatives de médiation, bien sûr, et ce qu’il regarde… peut se transformer, lorsque la personne est toute seule, qu’elle n’est pas accompagnée par un avocat ou une association mais qu’elle est venue voir le délégué pour expliquer ses difficultés, comment ceci peut, dans les services du Défenseur des Droits, peut passer à ce que nous avons décrit aujourd’hui, c’est-à-dire essentiellement le travail du siège du Défenseur des Droits ? Ce qui me conduit aussi à réfléchir à ce problème de prescription. Parce que le délégué écoute les gens, essaye des médiations, il fait ce qu’il peut, ce n’est pas toujours facile… Et est-ce que, toujours, les mesures sont prises pour préserver les droits, si la tentative qui est faite par le délégué n’aboutit pas ? Comment on passe de l’un à l’autre ? Et, d’autre part, comment est-ce qu’on veille à ce que la saisine individuelle d’un délégué individuel du Défenseur des Droits qui est un bénévole, qui n’est pas un professionnel, qui a une formation très intéressante par le Défenseur des Droits, mais qui n’a pas une formation forcément complète sur tous les nombreux sujets sur lesquels il est censé intervenir, comment faire pour que ça ne nuise pas à la fin aux droits des personnes ? Et la question se posera dans l’autre table ronde sur le problème des enquêtes.
- Marc Loiselle : Sur l’articulation d’une intervention des délégués, il y a deux aspects, me semble-t-il, il y a la parole que le délégué du Défenseur des Droits recueille dans sa permanence, cette parole, on lui donne souvent une caisse de résonance quand on rédige le rapport, et le rapport du Défenseur des Droits laisse une part importante à la parole du délégué et aux remontées de terrain. En ce qui concerne le traitement du litige et à sa prise en main par le siège éventuellement lorsque sa médiation échoue, il y a là effectivement un phénomène de transfert de dossier siège-délégué et la question qui se pose à chaque instant, c’est finalement : quel est le moyen le plus approprié pour essayer de résoudre le litige ? Si la médiation ne fonctionne pas, on peut envisager d’autres modalités d’intervention, celles-ci étant les recommandations, le droit souple ou l’intervention en contentieux. Sur cette dernière partie, la responsabilité pèse en quelque sorte sur le réclamant qui saisit le Défenseur des Droits, c’est-à-dire qu’on ne peut pas saisir le juge à sa place, donc, il y a, de ce point de vue-là, une évaluation du dossier au moment où il est transmis avec un échange avec le réclamant pour définir avec lui ce qu’il souhaite faire. C’est le premier élément. Le deuxième élément, qui est là la difficulté que vous soulignez sur les questions de l’effet interruptif des délais de recours et les implications de la loi Justice 21 sur les médiations qui sont opérées par le Défenseur des Droits. On est effectivement dans une forme d’entre-deux actuellement, et une des solutions pour préserver cet accès au juge, y compris par une médiation qui n’a pas d’effet interruptif des délais, c’est aussi parfois de conseiller la personne de saisir une juridiction pour faire préserver ses droits au recours.
On voit bien finalement l’embarras que ça peut poser actuellement.
- Soraya Amrani Mekki : Une petite précision, l’article 238 précise que c’est une suspension de la prescription, on ne remet pas les compteurs à zéro. La deuxième chose, c’est que, même de façon générale, dans les modes amiables, ça ne vise que les délais de prescription et pas de forclusion. On est aussi face à une double difficulté, c’est que la personne qui vient sache ce qu’est un délai de prescription et il faut que le délégué lui-même sache qu’il existe des délais de prescription et qu’il y a des problèmes de computation, donc, il y a peut-être un petit warning à mettre en attendant une réforme d’ampleur sur les délais de prescription. Peut-être une dernière question, mais très rapide s’il vous plaît, et ensuite, on passera à la table ronde suivante.
- Un, deux… Oui, bonjour.
Je suis avocat au barreau de Versailles. J’ai cru entend, mais peut-être ai-je mal entendu, qu’un mémoire d’intervention du Défenseur des Droits qui aurait été perçu comme trop dans les faits, trop favorable à l’une des parties, aurait été mal reçu ou mal perçu. C’est ce que j’ai cru comprendre. Mais auriez-vous la bonté de préciser ou de me détromper sur ce point ?
- Jean-Michel Sommer : Je ne pense pas l’avoir dit comme ça, mais je me suis peut-être mal exprimé, et je parlais principalement du procès de cassation, mais que, devant la Cour de cassation, lorsqu’un avocat au conseil intervient, ce qui n’est pas surprenant, il est sur le terrain du droit. Et il présente des observations qui sont des observations très proches des moyens qui sont soulevés par les parties. Ou lui-même soulève des moyens devant la Cour de cassation. Donc, c’est ce qu’on observe quand on a un avocat, et on peut s’en réjouir, c’est qu’il fasse du droit. Quand le Défenseur des Droits intervient lui-même, il fait souvent du droit également, mais son mémoire peut être davantage enrichi, nourri de questions de fait, y compris devant la Cour de cassation. Je ne sais pas si je le dis plus clairement que tout à l’heure, mais c’est un peu cela. Je veux dire juste un mot, parce que j’ai la parole, sur la question de l’accès au juge qui a été évoquée. Notamment dans le droit du travail, moi, je suis assez sensible actuellement, je l’observe de plus en plus, on a un vrai problème d’accès au juge prud’homal. Je ne suis pas là pour encourager et pousser à la saisine des juges, ce n’est pas mon propos, mais je pense, et je ne sais pas quel est le rôle que pourrait tenir le Défenseur des Droits qui va se substituer au réclamant qui peut engager ou non une procédure, mais devant l’échec des procédures mises en place, de type action de groupe, action de substitution en droit du travail, action collective des syndicats, le contentieux prud'homal est un contentieux généralement de cadre en fin de carrière. On est passé de 100 000 à 200 000 affaires en dix ans. Il prend une autre forme et ne traite pas les questions des salariés qui sont dans l’entreprise. On parle de discrimination, de harcèlement et je pense que ces questions doivent être traitées, non pas en repoussant les délais de prescription, mais par un traitement pendant le temps où les faits se produisent. Il y a là une vraie articulation pour que, si on a besoin du juge, on réfléchisse à la demande de justice. Autant qu’à l’offre de justice.
- Soraya Amrani Mekki : Sur ces belles paroles, je vous remercie tous les trois pour vos interventions et je vous propose d’enchaîner avec la table ronde suivante.
Nous reprenons avec la dernière séquence, qui est relative aux relations entre le Défenseur des droits et cette fois-ci uniquement les juridictions judiciaires, et il s’agit de traiter de l’enjeu des enquêtes. Pour en traiter, j’ai le plaisir d’être accompagnée d’abord par Marie Lieberherr, directrice de la protection des droits, affaires judiciaires du Défenseur des droits, magistrate, juge d’application des peines, cheffe du bureau de la DACG, ancienne cheffe du pôle défense des droits des enfants, directrice du pôle protection des droits, etc.
Donc une expérience riche, la qualité de magistrat qui permet, encore une fois, d’insister sur les relations et la diversité, la richesse des ressources humaines au sein du Défenseur des droits.
Nous avons également Yves Badorc, qui a déjà été cité ce matin, procureur à Metz depuis 2021, mais qui était procureur adjoint à Paris, section presse, lutte contre la haine en ligne, qui a été également, c’est intéressant pour le Défenseur des droits, chef de service au SADJAV, service d’accès aux droits et d’aide aux victimes, et actuellement membre de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme.
Et enfin, maître Slim Ben Achour, avocat à la Cour, qui est spécialisé en matière de discriminations, de relations du travail et dans les relations police-population, on va dire ça comme ça, et qui est intervenu dans plusieurs dossiers relatifs au contrôle au faciès, la célèbre affaire des femmes de chambre à l’Ibis Batignolles, et qui va pouvoir alimenter notre réflexion d’éléments très concrets et de dossiers.
Pour traiter de cette thématique, l’enjeu des enquêtes, comme pour les deux premières séquences, l’idée est de commencer par poser la question de savoir ce qu’est une enquête. Ça a l’air évident, ça ne l’ait pas tellement, car on a une manière différente d’envisager les enquêtes, que nous allons envisager tant sur le volet pénal que civil. Nous verrons ensuite l’utilité de ces enquêtes à la fois pour le Défenseur des droits, mais également dans certains dossiers, utilité qui dépasse le cas particulier et le litige précis qui concerne une personne. Et enfin, nous poserons la question assez délicate de l’articulation de l’enquête du Défenseur des droits et de l’enquête judiciaire puisqu’il s’agit d’agir en bonne intelligence, de coopérer, mais d’éviter que les enquêtes empiètent l’une sur l’autre ou qu’on soit empêché d’enquêter. L’idée est d’aller vers le plus et pas de poser des difficultés, cela peut parfaitement se faire en bonne entente.
On commence donc par ce qu’est l’enquête, la manière dont on va le concevoir, et je passe la parole à Marie Lieberherr pour traiter de cette conception côté Défenseur des droits, de l’enquête, en rappelant que cela est régi par les articles 18 et suivants de la loi organique du 27 mars 2011 à laquelle je vous renvoie, qui parle des pouvoirs d’enquête, de vérification, etc. Vous avez la parole.
- Marie Lieberherr : merci beaucoup. Parfaite transition car je voulais commencer par vous dire que le terme « enquête », on ne le trouve pas dans la loi organique, donc ne le cherchez pas, ça ne marchera pas.
Le terme d’enquête est entendu derrière les moyens d’informations, la loi organique parle des moyens d’information du Défenseur des droits, vous les trouverez aux articles 18 à 23 de la loi organique.
Mais il faut le reconnaître, entre nous, on parle d’enquête, d’instruction, et pour désigner ce que je voudrais détailler, désigner ce qui, dans le traitement des réclamations qui nous parvient, c’est ce temps où le témoin, en matière de déontologie de la sécurité car il peut nous saisir dans cette matière-là, où ces éléments sont insuffisants pour conclure à l’existant d’une atteinte à un droit, à une discrimination, d’un manquement à la déontologie des forces de sécurité ou encore à l’établissement du statut de lanceur d’alerte. Si nous considérons que les premiers éléments dont nous disposons justifient qu’on aille plus loin parce qu’ils sont insuffisants mais consistants, il nous faut aller chercher les informations nécessaires à l’exercice de notre mission.
J’insiste, je pense que c’est important d’insister sur le fait que la décision de mettre en œuvre ces moyens d’informations, ça n’induit en rien la suite des évènements et l’issue du traitement de la réclamation qui nous est soumise. Ils nous permettent d’établir notre constat et de faire ensuite le choix le plus opportun, que ce soit pour le règlement du litige et pour l’intérêt général, du moyen d’intervention que nous allons décider de mobiliser pour garantir le respect des droits, à savoir la médiation, les recommandations, les observations en justice ou la saisine de l’autorité investie du pouvoir disciplinaire. C’est important de se dire que ce n’est pas parce qu’on va mettre en œuvre des pouvoirs d’enquête qu’on va mettre en œuvre des pouvoirs de justice.
On peut faire une médiation à l’issue de l’enquête.
Et l’importance des moyens donnés par le législateur illustrent le pouvoir qu’il a souhaité donner à notre institution. Je vais les détailler un petit peu, mais la première chose, c’est que le Défenseur des droits peut demander des explications, des informations, des pièces utiles à l’exercice de sa mission, vous voyez que c’est quand même très large, à toute personne physique ou morale mise en cause devant lui, il peut entendre toute personne et recueillir toute information qui lui apparaît nécessaire. Il peut s’adresser à un champ d’interlocuteurs extrêmement large.
Ni le secret professionnel, ni le secret médical, ni le secret de l’instruction, ni celui de l’enquête, ne peuvent lui être opposés. Il a la possibilité s’il n’obtient pas les éléments sur une première demande, de mettre en demeure pour obtenir les éléments demandés et de saisir si nécessaire le juge des référés qui prononcera toute mesure utile pour qu’il y parvienne.
Autre moyen d’information, les vérifications sur place.
Là, c’est le fait de se rendre dans des locaux privés ou administratifs, pour faire une vérification dans le sens où ça ne peut pas nous être refusé, et on va dresser des constats, le cas échéant, l’autorisation se faisant sous le contrôle du juge des libertés.
Ne pas s’y soumettre, c’est un délit d’entrave, le législateur l’a institué ainsi, c’est puni d’un an d’emprisonnement et 15 000€ d’amende.
C’est intéressant de voir que c’est dans le passage qui est consacré par la loi organique aux moyens d’information de l’institution, le défenseur peut demander au vice-président du Conseil d’Etat ou au premier président de la Cour des comptes de faire procéder aux études, ou demander au ministre de donner instruction aux corps de contrôle d’accomplir toute vérification ou enquête.
Rappelons aussi sur la diversité de ce qu’on met derrière le terme d’enquête, rappelons qu’on mène aussi des enquêtes type accès aux droits, qui sont des études, des rapports, des recherches, qui ne s’inscrivent pas stricto sensu dans les moyens d’informations comme définis par la loi organique, mais qui vont venir alimenter les analyses réalisées en complément.
- Merci beaucoup.
En miroir, l’enquête judiciaire évidemment n’a pas du tout le même objet, pas du tout la même finalité, monsieur le procureur, pouvez-vous en dire un mot ?
- Merci. Je trouvais assez iconoclaste de donner la parole à un procureur, mais je vois que j’occupe la place de monsieur le procureur général tout à l’heure, je ne sais pas s’il faut y voir un signe, mais rappeler que le procureur est aussi l’avocat de la loi, c’est important lorsqu’on prend la parole justement en Grand Chambre. Avant de rentrer dans le cœur de la question sur ce qu’on entend par l’enquête pénale, je crois que tout le monde voit à peu près de quoi il s’agit, je voudrais quand même rappeler quelles sont les relations avec un tribunal judiciaire, les relations qui peuvent exister avec le Défenseur des droits, que ce soit les délégués locaux ou l’administration au niveau central. Parce que, en fait, le procureur de la République, et le juge de manière générale, il a deux points d’entrée, il y en a un qui est très important, c’est la question de l’accès au droit. Et je me plais toujours à rappeler la loi du 11 novembre 2016 sur la modernisation de la justice du 21e siècle, qui a quand même institué l’article L111-2 du code de l’organisation judiciaire, qui rappelle que le service public de la Justice concoure à l’accès aux droits et instaure un égal accès à la justice. Un des premiers acte d’enquête, c’est la plainte, et qui dit plainte dit l’accueil. Et derrière l’accueil, on a bien une question d’accès aux droits. Ce qui relève de l’administration de la justice ou du support de l’administration de l’enquête, ce qui sert en fait à permettre à un justiciable ou à une victime d’aller faire valoir ses droits, de les concrétiser, ce qu’on pourrait appeler ce droit au recours, suppose justement d’avoir cette vision de la justice comme étant avant tout la capacité que l’on offre à pouvoir concrétiser des droits. Et cette idée-là, c’est aussi de rappeler que le procureur de la République, comme le président d’une juridiction, lorsqu’ils sont siège du département, sont président et vice-président, ce qui est mon cas, du Conseil départemental de l’accès aux droits.
C’est le lien qu’on peut avoir à travers la relation au sein des CDAD, on a parlé d’influence, de stimulation, c’est bien en stimulant les questions d’accueil et de conditions dans lesquelles on peut accueillir un justiciable ou une victime dans un commissariat ou une brigade de gendarmerie qu’on fait naître une enquête de qualité derrière le recueil de la parole.
Donc il y a aussi concrètement la façon dont on peut permettre aux personnes de faire valoir leurs droits.
Mais ce qui nous intéresse, c’est bien sûr l’activité juridictionnelle, et il y a d’abord le cadre de la relation, c’est aussi bien la Constitution, la loi, le décret, mais également, il faut le savoir, une circulaire du 25 novembre 2016 qui s’adresse aux procureurs généraux et de la République qui rappelle dans quelles conditions doit s’inscrire les relations entre les procureurs de la République, les juridictions et le Défenseur des droits. Elle rappelle les prérogatives, les attributions, quel est le rôle des autorités judiciaires et du Défenseur des droits, sans rentrer dans les modalités ou l’articulation qui existe entre l’enquête du Défenseur des droits et l’enquête judiciaire, puisque seront évoqués la communication entre le tribunal, le procureur et le Défenseur des droits, le traitement des signalements, la possibilité de demander un avis ou encore les observations qui peuvent être formulées devant ces juridictions, avec quelque chose d’important, la désignation dans les juridictions, et notamment au sein des parquets, des référents qui doivent être la courroie de transmission, en tout cas le point d’entrée du Défenseur des droits quand il est question d’adresser un signalement ou de faire valoir des observations. Aujourd’hui, les fonctionnements des parquets ou des juridictions, j’ai recensé plus de 23 référents, on nous demande d’avoir 23 situations dans lesquelles un magistrat du parquet doit être désigné comme étant le référent, en cybercriminalité, en discriminations, aux fichiers… Vous imaginez que la notion de référent va être une donnée variable en fonction de la taille des parquets, on ne pourra pas raisonner de la même manière au parquet de Paris et celui de Bar-le-Duc où nous sommes 3 et que, à 3, on a 7 référents sur plein de sujets, ce qui rend très difficile la relation et qui, déjà, donne une réponse à la question de la connaissance et de la possibilité de répondre concrètement aux sollicitations du Défenseur des droits.
Quand vous êtes accaparé par d’autres tâches, vous pouvez avoir une relation moins habituelle, mais il y a dans la volonté qui est celle de la direction des affaires criminelles d’avoir des référents Défenseur des droits qui sont plus généralement ceux qui s’occupent des questions de discrimination, étant observés que les référents discriminations sont antérieurs à la création du Défenseur des droits.
D’un point de vue pratique, la relation, c’est aussi les réclamations et les signalements. Je me suis livré à un petit jeu statistique, vous savez que c’est un peu comme la métaphore de l’ivrogne et du réverbère, pour un ivrogne, on s’appuie plus facilement sur le réverbère qu’il n’éclaire. Pour moi, en trois ans d’exercice à Metz, j’ai eu 10 signalements, donc je pourrais faire des pourcentages assez simples. Sur les 4 missions originelles qui nous intéressent, c’est-à-dire la protection de l’enfance, les discriminations, le sujet bien sûr des violences dites illégitimes et l’usage de la force, et le sujet du rapport et des droits des administrés, en fait, j’ai une proportion qui est de 40% en fait des signalements qui relèvent de réclamations ou de demandes qui sont liées aux suites d’une plainte déposée, j’ai 10%, un sujet de discrimination, 10% une situation qui relève de la protection de l’enfance, et 40% qui relèvent de faits de violences, dénonciation de l’usage d’armes ou de violences exercées au sein de l’administration pénitentiaire et des difficultés rencontrées lors d’un contrôle d’identité. Donc on voit que le plus important, c’est à la fois ce qui relève de l’administration de la justice, au sens général, car vous savez que quand une plainte est déposée, c’est bien le fonctionnement de la justice qui est en cause, et les violences qui peuvent être dénoncées. Et je précise d’ailleurs que dans trois de ces cas, il y a eu des autorisations d’instruire, parce que c’est ce qui nous intéresse, et je vous dirai tout à l’heure les conditions dans lesquelles et ce qui me fait autoriser ou non cette instruction ou la possibilité d’enquêter pour le Défenseur des droits. Et pour terminer, car on m’avait donné 3 minutes et que j’ai largement dépassé…
- On rappellera aux avocats qui passeront devant vous…
- Justement, parole d’avocats, « quelques brèves observations ».
Quand on raisonne sur l’enquête, d’abord, on voit que la matière brute est la même, les journalistes parleraient de bases factuelles. On va parler des mêmes faits. En revanche, l’objet de l’enquête ne sera pas la même. L’objet de l’enquête pénale, c’est constater les infractions, rassembler les preuves et rechercher les auteurs, tant qu’une information n’est pas ouverte, avec le pendant de l’action publique, c’est-à-dire traduire une personne devant une juridiction, on est sur un principe de responsabilité individuelle et d’imputabilité d’une infraction à une personne. Mais pas que, c’est en ça que la collaboration avec le Défenseur des droits est importante, on va s’attacher aussi à rechercher les conditions dans lesquelles on commet une infraction, c’est-à-dire le terrain favorable, ce qui relèverait d’une approche plus systémique, et dans ce cadre-là, on peut avoir intérêt à connaître les avis et les observations du Défenseur des droits, avec comme je l’ai indiqué une différence, d’un côté, c’est la sanction, dans le but de l’enquête, et de l’autre, des avis et des recommandations qui viendront nourrir un petit peu l’enquête pénale.
- Merci beaucoup. On a des enquêtes qui ont des objets différents, des temporalités différentes également, mais en tout cas, que l’on parle d’enquête au pénal ou au civil, c’est la recherche de la preuve, et le droit au juge n’a pas d’intérêt s’il n’y a pas un droit à la preuve.
C’est l’effectivité des droits l’objectif final, ce dont va nous parler Slim Ben Achour.
- Slim Ben Achour : Bonjour à toutes et à tous. Je suis très heureux d’être ici aujourd’hui en tant qu’avocat.
Vous m’excuserez, je vais utiliser la rhétorique utilisée par beaucoup de mes clients, notamment dans les quartiers populaires, le Défenseur des droits, c’est le DDD, c’est plus court, et ça traduit une grande proximité.
Merci Soraya parce que le passage vous a permis d’aborder ma première partie, oui, l’enquête, ça permet d’établir les faits, je vais surtout parler de discriminations, de faits, de trouver les preuves, preuves du fait discriminatoire, des pratiques discriminatoires, des politiques discriminatoires, et de faire très souvent craquer l’opacité qui voile ces pratiques et ces faits.
Parce que les acteurs, privés ou publics, sont en général conscients des différences de traitement et des discriminations.
En tant qu’avocat, on a souvent une façon, quand on aborde les dossiers de discrimination, d’avoir une acception assez extensive de l’enquête et du Défenseur des droits, parce que l’avocat saisit le Défenseur des droits, et en réalité, il ne revient le Défenseur des droits qu’au moment de ses observations. Il y a un laps de temps assez important qui se passe, dans lequel la confiance en réalité préside à cette relation, parce que l’enquête est confidentielle, elle est secrète, et quand on a les observations, on s’aperçoit que l’enquête est justement… Elle ne peut pas être considérée dans une acception réduite puisque l’enquête, et c’est le grand avantage du Défenseur des droits par rapport à la pratique du droit en France, ce n’est pas qu’une enquête. Très souvent, vous allez trouver des expertises. J’ai en tête une affaire d’une société sous-traitance de la SNCF dans laquelle l’expert a mis en lumière les rapports de domination sexués et racisés au sein des brigades d’entretien. En gros, plus vous étiez du côté des chefs de groupe, vous étiez un homme, et plus vous vous rapprochiez de l’aspirateur, et encore plus des toilettes, vous étiez une femme, et évidemment une femme de couleur.
Donc, ça, c’est l’enquête, mais c’est aussi des enquêtes sociologiques contextualisées, qu’on a quand même très peu si on fait appel juste à un juge, consomme de Prud'hommes, ils ne sont pas équipés, ils pourraient, mais il n’y a pas ce type d’enquête. Il y a des recherches, je réfléchis ce matin, mais le travail sur les contrôles d’identité discriminatoires a commencé avec un colloque extraordinaire en 2012 où le Défenseur des droits avait invité toutes les polices du monde, y compris la police française. Il y a des actes, et ces actes sont souvent rappelés dans les observations dans le cadre de l’enquête réalisée par le Défenseur des droits. Je parle des expertises, je parle des actes, je parle aussi des recherches, le Défenseur des droits a réalisé de nombreuses enquêtes qui sont indispensables dans les dossiers qu’on doit présenter devant les juridictions, et pour moi, beaucoup le conseil de Prud'hommes. En matière de discriminations raciales, l’accès à l’éducation, les voyageurs et les populations roms, et puis je voudrais aussi, je suis à 4 minutes, je termine tout de suite, je voudrais parler de cet effet un peu déclencheur de l’enquête du Défenseur des droits, quand le Défenseur des droits fait ses propres rapports, ses propres enquêtes, ses propres évaluations, il provoque aussi des études faites par d’autres institutions éminemment crédibles et respectueuses, j’ai en tête la Cour des comptes qui a réalisé il y a deux ans, en 2023, juste après la décision du Conseil d’Etat sur les contrôles au faciès, elle révélait 32 millions de contrôles piétons en 2021. C’est quelque chose d’indispensable dans un cadre judiciaire français, qui, même en matière de discrimination, est fait pour des rapports individuels.
C’est pourquoi nous avons, pas simplement l’avocat, mais une conception très extensive de l’enquête réalisée par le Défenseur des droits.
- C’est peut-être tout l’intérêt que ce ne soit pas défini, car ça prend des formes différences, et ce n’est pas une enquête au service de l’avocat, mais au service des droits fondamentaux, et ça peut prendre des formes différentes, par des études sociologiques, des rapports académiques ou autres. Je vous redonne la parole parce que le second point visait à traiter de cette utilité de l’enquête, une fois qu’on voit qu’elle prend des formes différentes, qu’elle se distingue par son objet et la temporalité de l’enquête pénale, quelle est l’utilité de l’enquête dans le cadre d’une procédure ?
- En introduction, je dirais que je vois quatre utilités aux enquêtes du Défenseur des droits.
Bien sûr, l’obtention des preuves, voire des indices, parce qu’on peut faire le choix d’une procédure pénale ou administrative ou civile. Deuxièmement, le Défenseur des droits, même si on ne sait pas tout à fait ce que c’est, contribue grandement au rétablissement de l’égalité des armes, dans le cadre du procès équitable.
Troisièmement, la lutte contre les biais et les stéréotypes, très important, car la discrimination, à la base, vous avez très souvent des incompréhensions liées à l’organisation sociale, à l’histoire, et le Défenseur des droits et Antoine Lyon-Caen y faisait référence ce matin, ce puits de connaissances figure dans toutes les productions du Défenseur des droits.
Et puis, je suis assez surpris, parce que j’ai été un peu sonné par la décision sur les contrôles au faciès du Conseil d’Etat, mais je crois que c’est la première fois de ma vie que j’entends autant le mot « systémique ». Je ne pensais pas, c’est une vraie surprise, et personnellement, je m’en réjouis, alors, très très rapidement, le premier point sur l’obtention des preuves et des indices. C’est, je dirais, traditionnellement, le travail du juge. Il a des pouvoirs d’instruction, donc on peut a priori, devant le juge, obtenir les preuves. Ce d’autant plus que ces éléments permettent très souvent de déterminer la réparation intégrale du préjudice, qu’on pense à la nécessité d’avoir les bulletins de salaire des hommes dans une entreprise quand on considère qu’on fait l’objet d’une discrimination sexuelle dans une entreprise. C’est aussi quelque chose qui est indispensable pour évaluer son évolution de carrière, on peut être bloqué en raison d’une caractéristique partagée par de nombreuses femmes. Donc compter sur le juge, c’est compliqué, et c’est développé, j’y reviendrai un peu plus tard, mais c’est développer grâce au Défenseur des droits, ce qu’on voit dans les séries américaines, c’est-à-dire demander au juge, le pousser à faire des injonctions visant à communiquer les pièces indispensables au rétablissement de l’égalité. Bien évidemment, je suis trop dur avec les magistrats, car la réglementation antidiscriminatoire est assez jeune en France, et je vois aussi une difficulté culturelle que nous avons pour tous ceux qui sont nés sur le territoire français, c’est qu’on a une appréhension très naturelle du principe de légalité.
La discrimination, ça renvoie à un autre imaginaire, de minorités, de minorités à protéger, et ce n’est pas très compatible avec nos fondamentaux.
Sur ce point, et je pense que c’est aussi le cas pour les avocats, il y a une étude qui m’a beaucoup marquée il y a quelques années, sur l’appréhension par les magistrats de la notion de discrimination. On voit que c’est une notion compliquée, qui renvoie aux minorités, à une souffrance. Donc c’est une étude qui a pratiquement dix ans. Et je renvoie aussi au colloque qui a eu lieu dans la Grand Chambre en novembre 2020 sur la discrimination, et la Cour, je crois que c’était l’avocat général à la Cour de cassation qui constatait l’absence de condamnation pénale en matière de discriminations.
Donc je pense qu’en réalité, on souffre de tout ça. Juste pour le bon mot, car les choses ont changé, j’étais très proche du bâtonnier Thiennot qui disait, notamment pour aller chercher les preuves dans une entreprise, quand il se présentait devant un conseil de Prud'hommes : il faut abandonner ce code de procédure pénale, il faut se battre avec nos outils, avec cette possibilité d’instruction réservée aux magistrats surtout en matière de discriminations, de changer les choses.
Alors, justement, sur ce point, le Défenseur des droits nous a beaucoup aidés avec une décision-cadre qui a deux ans, qui est un guide en réalité sur la production forcée de preuves, et c’est donc le premier point. Je vais accélérer.
Le DDD contribue à l’égalité des armes, là, je renvoie aux travaux qui viennent des Etats-Unis, qui sont contextualisés différemment, mais aux travaux de Marc Galanter, qui fait une analogie avec le jeu. Devant des juges, vous avez des joueurs répétés, c’est-à-dire des professionnels, des assurances, les policiers, avec des avocats, et puis de l’autre, vous avez des personnes vulnérables, avec des avocats probablement généralistes, qui seront quelquefois être un peu perdus dans les dossiers de violences policières. Le Défenseur des droits permet aux joueurs occasionnels, qui se retrouvent rarement devant les juges, de ne pas atteindre le niveau du joueur répété, mais va arriver avec quelqu’un qui lui aura permis d’avoir une enquête, des observations, et là, vous avez une forme d’asymétrie qui prend fin, ou en tout cas qui permet au juge de prendre la mesure du dossier.
Troisièmement, les stéréotypes et les biais. Un dossier auquel je pense, le Défenseur des droits y est attaché, il s’agit d’un dossier d’une jeune fille qui a 15 ans et qui est formée dans le plus grand club de football du monde, qui se trouve être sur le territoire français. Ce club, paradoxalement, ne traite pas de la même façon les jeunes filles à l’académie de football. En d’autres termes, le football, ce n’est pas pour les filles. Heureusement, le Défenseur des droits fait une enquête, est obligé d’exposer à la FFF que le foot, c’est aussi pour les filles et que le droit protège de la même façon les garçons et les filles, malgré une décision d’un juge qui dit qu’en la matière, il y a un vide juridique. Donc vous voyez que, là, il y a une forme de croyance ou de biais qui tombe, je le dis même si je sais que c’est très controversé, avec l’affaire de foulard par exemple, mais il y a un système au sens politique, une jeune fille qui veut aujourd’hui travailler, s’émanciper avec le foulard en France, c’est très compliqué, l’administration lui est fermée, le secteur privé, c’est compliqué, et les professions libérales commencent à leur être fermées. Donc je trouve que vous avez, pour toutes ces raisons, le Défenseur des droits est utile.
Et la dernière, je ne vais pas m’étendre, c’est pour attaquer la problématique des discriminations structurelles, institutionnelles et systémiques, le Défenseur des droits, vous êtes très heureux de l’avoir à vos côtés parce qu’il a énormément produit, y compris dans les actions de groupe. Pardonnez-moi, j’ai été un peu long.
- Ce qui est assez intéressant quand même, c’est que ça montre qu’on peut intégrer la production du Défenseur des droits dans des stratégies probatoires quand on est avocat. On peut s’appuyer sur sa production, on peut essayer de susciter des enquêtes ou des mesures d’investigation, on peut s’en inspirer pour utiliser le 145, il y a tout un tas de choses qui peuvent être mises en place.
Côté Défenseur des droits, l’utilité justement de ces moyens d’informations.
- Comme je le disais, l’enquête, pour nous, c’est un moyen qui nous est donné pour exercer nos missions. C’est ce qu’on a en tête lorsqu’on réfléchit à la façon dont on va enquêter dans un dossier, si c’est nécessaire, comme je l’ai dit tout à l’heure, mais on va réfléchir à ce qu’on cherche, à ce qu’on doit… Quel est l’objectif poursuivi dans le cas d’espèce. Mais la première utilité qu’on va avoir en tête, c’est celle d’établir les faits qui seront nécessaires à notre analyse, qui va être destinée à dire, sur la lutte contre les discriminations et le contrôle de déontologie des forces de sécurité, s’il y a effectivement discrimination au sens des dispositions civiles et/ou au sens du code pénal, ou encore s’il y a manquement à la déontologie.
Donc en fonction des situations, on va décider s’il nous est utile de demander, et on va pouvoir demander informations, documents, procédures judiciaires, explications, rapports, comptes rendus, enregistrements vidéo, on va pouvoir faire des auditions, et éventuellement effectuer des vérifications sur place, et tout ça favorise l’accès à la preuve, puisque, effectivement, c’est tout l’enjeu.
Donc on va recueillir ces éléments qui nous apparaissent nécessaires, on va les soumettre au contradictoire, pour obtenir des réactions, des explications, souvent par courrier, parfois au cours des auditions, pour étayer notre enquête et notre analyse, mais sans jamais communiquer tels quels les éléments que nous aurons obtenus, ça, c’est important d’insister dessus. C’est-à-dire que personne, ni le réclamant, ni la personne mise en cause, que ce soit une personne physique, un agent, une administration, n’ont accès aux documents qui ont été obtenus dans le cadre de notre enquête. Lorsqu’on a obtenu les éléments nécessaires, qu’on a pu avancer dans notre analyse et qu’on a finalement conclus à un manquement, sinon, on va simplement clore le dossier en expliquant pourquoi, donc si on est dans la position d’établir ce manquement, on va établir une note, qui n’existe pas dans la loi organique, mais qui est notre façon de mettre en œuvre le principe du contradictoire, une note soumise au contradictoire qui récapitule les éléments de faits et notre analyse, pour laisser la possibilité à la personne mise en cause soit d’apporter de nouveaux éléments de faits, soit de contester avec des arguments notre analyse, avant qu’on prenne notre décision. On peut décider à la suite de cela que nous sommes convaincus, soit par des éléments faits, soit par des éléments d’analyse, et renoncer à conclure à un manquement. Il y a une autre utilité à notre enquête, on l’a beaucoup abordé déjà au cours de la journée, qui va différer vraiment de l’enjeu et de l’enquête judiciaire, c’est celle d’aller plus loin que les seuls faits qui nous sont soumis pour mettre en lumière par exemple d’éventuelles pratiques discriminatoires plus générales, qui sont instituées dans une société donnée par exemple, ou encore des pratiques de contrôle d’identité discriminatoires dans un service de police ou de gendarmerie au-delà des faits précis qui ont constitué la saisine initiale.
L’objectif de notre enquête, c’est aussi d’aller plus loin que les seuls faits qui pourraient revêtir une qualification pénale, en prenant en compte la globalité de la situation qui nous est soumise, sans nous limiter, puisque les termes de la saisine, de la réclamation du Défenseur des droits, ne viennent pas limiter le champ de notre intervention, puisque le champ de notre intervention, c’est nos missions.
C’est par exemple le cas dans l’examen de l’affaire Adama Traoré, au-delà du cœur de notre enquête, portant sur l’usage de la force qui a pu entraîner le décès, on a enquêté sur la manière dont il avait été interpellé, dont il avait été pris en charge ensuite, et sur la manière dont la famille avait été informée du décès. On prend une situation dans sa globalité pour examiner les différentes facettes.
Ou encore sur une situation complètement différente, à partir d’une situation individuelle d’une étudiante dans une université, qui se plaignait de harcèlement sexuel, on a enquêté sur l’effectivité de la lutte anti-discrimination au sein de cette université et on a pu faire des recommandations plus générales.
Dans le même sens, il peut aussi nous arriver, et je pensais à ça en réfléchissant finalement à la façon dont l’enquête du Défenseur et l’enquête judiciaire s’articulent, il peut nous arriver qu’on ne soit pas en mesure d’établir les faits, c’est-à-dire que malgré notre enquête, on n’est pas en mesure d’établir les faits et de conclure au fait qu’il y a eu manquement, on va constater les divergences de versions, le fait qu’on ne soit pas en mesure d’établir et de conclure à un manquement. Mais pour autant, et peut-être contrairement à ce qui va venir clore l’enquête judiciaire par un classement sans suite, nous concernant, on va examiner s’il n’existe pas des manquements qui seraient à l’origine de l’impossibilité d’établir ces faits, et du coup d’exercer notre mission en tant que Défenseur des droits, mais aussi d’empêcher le juge de remplir son office, etc. Je prends un exemple en matière de déontologie de la sécurité, c’est assez présent en matière de déontologie de la sécurité, c’est-à-dire qu’on va souvent relever, lorsqu’on n’arrive pas à établir les faits, souvent des défauts dans la qualité des comptes rendus professionnels, on va relever des défauts dans le déclenchement des caméras piétons par les forces de l’ordre, des non-conservations d’enregistrements vidéo, etc. Et on va travailler là-dessus pour pouvoir, au-delà du fait de constater qu’on ne peut pas relever un manquement individuel, on va travailler plus loin pour faire des recommandations en ce sens.
En matière de discrimination dans l’emploi, ça nous arrive régulièrement de constater qu’on ne peut pas valider les faits, car il y a eu une mauvaise réalisation de l’enquête interne suite au signalement qui a été fait, qui est finalement à l’origine du défaut d’établissement des faits, et qui porte atteinte évidemment à la lutte contre les discriminations de manière plus générale.
Voilà. Donc un objectif qui se distingue de celui de l’enquête judiciaire, même si ces deux enquêtes sont amenées à se nourrir l’une et l’autre, dans le souci que soit rempli l’œuvre de justice, mais aussi les missions spécifiques du Défenseur des droits, notamment de lutte contre les discriminations et de contrôle externe des forces de sécurité qui lui sont assignées.
Les éléments de l’enquête du Défenseur des droits, ce n’est peut-être pas à moi de le dire, mais je pense qu’elles sont utiles à l’institution judiciaire. Pour donner un exemple très récent qu’on a cité à plusieurs reprises, c’est notre actualité brûlante, car on a sorti cette décision-cadre hier, on a élaboré cette décision-cadre sur la procédure de harcèlement et d’enquête interne en matière de discrimination dans l’emploi, ça part de multiples enquêtes qu’on a mises en œuvre dans des situations individuelles et qui nous ont permis petit à petit de construire un constat, d’élaborer des recommandations, et je pense que c’est un travail qui sera, évidemment, le premier objectif est d’être utile aux employeurs et de lutter contre les discriminations, mais qui sera utile aussi pour les juridictions, parce que ça rentre vraiment dans le cœur du sujet de l’enquête interne et de l’obligation de protection par l’employeur.
- Très bien. Merci. On a à la fois l’idée que, même si ce n’est pas une enquête judiciaire, même si ce n’est pas dans le cadre d’un procès, ça respecte des garanties procédurales, pour une légitimité du résultat, et puis on met aussi le doigt sur des éléments permettant d’amener à ce que cette enquête n’ait plus lieu d’être, avec un cadre un peu plus général.
J’imagine, j’en suis assez persuadée, mais je le dis, que ces enquêtes sont extrêmement utiles. Quelle est la vision du parquetier, est-ce que ça nourrit, est-ce que ça augmente vos éléments d’enquête ?
- Pour répondre à cette question, il faut reprendre les deux mots qui sont peut-être revenus le plus souvent dans la bouche de ceux qui étaient à notre place, c’est le mot de concurrence et de complémentarité. Le mot de complémentarité est celui qui est, je crois, apparu le plus souvent. J’en rajouterais un, celui de subsidiarité, car lorsqu’il y a une enquête pénale, évidemment, elle est soumise, en tout cas l’enquête du Défenseur des droits, à l’autorisation soit du procureur de la République, soit du juge d’instruction. Si je parle de concurrence, c’est que dans le champ concurrentiel, on a bien compris que dans ce paysage de la défense des droits et libertés, il y a eu le Défenseur des droits, mais si j’élargis la réflexion, on voit que l’enquête elle-même est un champ concurrentiel, tout le monde s’intéresse à des situations. C’est l’enquête journalistique, celle de l’association, celle du Défenseur des droits, et au milieu de tous ces enquêteurs, il y a le procureur de la République qui, lui-même, doit diriger son enquête. Mais la grosse différence entre la relation qui peut exister avec les autres enquêteurs, c’est qu’il y a une relation institutionnalisée entre le Défenseur des droits et le procureur de la République à travers les textes qui existent, donc c’est une concurrence qui n’est pas antagoniste et qui renvoie justement à la complémentarité. J’aurais tendance aussi à mettre un petit peu en perspective la complémentarité, à travers un double mouvement qu’on peut observer, c’est d’abord celui de la contractualisation de l’action publique, ça a été évoqué dans cette salle quand on a évoqué la contractualisation de la procédure pénale, et bien sûr que le Défenseur des droits est une institution, une autorité à rang constitutionnel, mais lorsqu’on le met dans le paysage de l’enquête, dans la collaboration avec la justice, on voit qu’on n’est pas dans une justice verticale, on est dans l’horizontalité, même si le Défenseur des droits n’est pas l’émanation de la société civile, il s’en rapproche suffisamment pour atteindre cette idée de justice un peu plus collaborative. Et deuxième mouvement, la méfiance, défiance, voire le rejet de la justice. On va essayer donc de trouver une solution en dehors de la justice. C’est en cela que le Défenseur des droits est utile, pas simplement à l’enquête, mais au procureur de la République ou à la justice, parce qu’on a beaucoup évoqué le rôle du Défenseur des droits pour savoir si on le qualifie d’amicus curiae, d’institution sus generis, mais du point de vue de l’enquête, il est le tiers garant, et celui de l’égalité des armes, mais lorsque le Défenseur des droits apparaît dans le paysage de l’enquête en sollicitant le procureur de la République, le juge d’instruction, en étant autorisé à instruire, je vous dirais même qu’il est le garant de l’impartialité de l’enquête. Ça veut dire que le procureur de la République est dans le rôle de celui qui peut dire qu’il n’a rien à cacher et également diriger son enquête sans qu’il y ait une critique qui soit faite non pas sur son statut, non plus sur la façon dont on peut appréhender les faits, mais sur la façon dont il peut agir, et je dirais que cette relation avec le Défenseur des droits est déjà utile pour la justice dans le gage ou la confiance qu’elle peut instaurer au niveau pour nos concitoyens, et ça a tendance à rassurer le justiciable de savoir qu’il y a une relation qui peut exister entre le procureur de la République et le Défenseur des droits. Mais au-delà de l’utilité pour le procureur de la République et des gages qu’elle peut donner, c’est aussi utile pour l’enquête, et quand je dis cela, c’est même utile comme facteur déclencheur d’une enquête, parce que, concrètement et en pratique, vous allez avoir trois situations qui vont se présenter pour le procureur de la République. D’abord, vous pouvez avoir une plainte sans qu’il y ait eu de démarche en parallèle d’une victime devant le Défenseur des droits, et après coup, le Défenseur des droits pourra s’intéresser à cette situation. Autre situation : la double-saisine, la personne va à la fois déposer plainte, et va également faire cette démarche parallèle devant le Défenseur des droits. Et vous avez quelque chose qui doit être pris en considération et qui renvoie justement à ma réflexion sur la défiance que l’on peut avoir de l’institution judiciaire, c’est la démarche qui est d’abord et exclusivement celle devant le Défenseur des droits. Et là, il y a quelque chose à avoir à l’esprit, c’est la relation et la rapidité de la relation qui doit exister entre le Défenseur des droits et le procureur de la République, à travers l’article 40 et les signalements faits par le Défenseur des droits dans ce cadre-là. Et la difficulté devient procédurale, car quand vous avez une saisine du Défenseur des droits sans passer par la case « enquête », police ou gendarmerie, il peut y avoir un risque de dépérissement des preuves. Et lorsque se pose la question des vidéos, et notamment vidéosurveillance, il y a une limitation dans le temps, un mois maximum, il y a aussi l’utilisation des caméras piétons, limitée aussi dans le temps, donc si la personne fait une démarche d’abord devant le Défenseur des droits et que cette démarche n’est pas suffisamment rapide, on sait qu’il y aura une déperdition des preuves.
Mais on voit bien que la démarche est une démarche différente en fonction des situations, et lorsqu’on est avec cette double-saisine, se posera la question de l’autorisation d’instruire, tout ça pour vous dire qu’il y a quand même une utilité, et ça a été évoqué, il peut y avoir un enrichissement de l’enquête pénale par l’enquête du Défenseur des droits, sur un double aspect. D’abord sur une connaissance de la matière, la valeur ajoutée, et c’est très vrai en matière de discrimination, et on comprend bien aussi le lien qui peut être fait entre l’autorisation d’instruire qui est un peu le préfigurateur de la demande d’avis, car pour donner un avis, il faut bien savoir de quoi on parle, mais aussi dans le choix des éléments à recueillir, ça permet de savoir où aller chercher certains éléments de preuve, et également de se forger un fond documentaire sur la connaissance de la matière, qui est plus poussée que certains magistrats, il faut avoir à l’esprit que ce sont bien des policiers et des gendarmes qui diligentent l’enquête et qui sont là pour recueillir les éléments de preuves. Mais c’est aussi un enrichissement, c’est la balance et le glaive, nous sommes le glaive pour le Défenseur des droits puisqu’il est limité dans ses moyens contraignants, même s’il y a un délit d’entrave, qui mériterait d’être questionné d’ailleurs, car c’est demander à quelqu’un d’être entendu alors que, nous, on n’a pas moyen de contraindre quelqu’un quelquefois, je le dis d’un point de vue judiciaire, en tout cas, les moyens de contrainte sont limités, ce qui permettrait d’enrichir d’éléments venant nourrir à la fois la réflexion du Défenseur des droits, mais ensuite à un particulier de s’en servir dans le cadre d’un procès.
En matière de contrôle d’identité, vous avez les contrôles d’identité qui ont pu donner lieu à des enquêtes pour violences, qui vont déboucher sur un classement sans suite car il n’y a pas d’éléments permettant de démontrer ces violences, mais le cadre a pu mettre en évidence dans le cadre de ces questions de contrôles d’identité, donc on se retrouve dans l’exemple de la recommandation. Le procureur de la République rappelle qu’une vérification d’identité doit donner lieu à un établissement d’un procès-verbal et ne doit pas simplement être mentionné en main courante, donc on voit bien les interactions qui peuvent exister. Et il y a l’enquête dans son déroulé immédiat, mais aussi le fait de pouvoir s’appuyer sur les recommandations, vous avez évoqué les caméras piétons, ça devient une recommandation forte ensuite qui permet de sauvegarder des éléments permettant d’étayer ensuite des poursuites, donc il y a des vraies interactions.
Une dernière, l’ouverture des juridictions, car c’est un point qui a été évoqué, sur la relation et l’ouverture des juridictions, sur les réalités sociales, sans employer le terme « systémique », car je l’avais dit à mon camarade, c’est une façon de gagner à tous les coups, ces éléments de contexte, de structuration aussi de certains phénomènes permettent d’avoir une réflexion plus poussée et d’établir également les degrés de responsabilité.
- Puisque vous avez la parole, 5 minutes, pas plus, justement, pour que ce soit une plus-value et pas une moins-value, comment on fait pour bien articuler l’enquête DDD et l’enquête judiciaire ?
- Je suis allé vérifier ce que disait le décret, et je me suis dit : pour quelqu’un qui a peine à construire un propos, peut-être que le décret va me donner des réponses. Il y a un article 5, de la conciliation du pouvoir d’enquête du Défenseur des droits… Donc j’ai pensé trouver des modalités pratiques de concilier, car c’est le terme indiqué… Et j’avoue que j’ai eu un espoir un peu déçu car il y a un seul article, le 13, qui renvoie à l’article 23 de la loi organique, expliquant que l’autorisation d’instruire doit être faite de manière écrite. Donc ça renvoie à la pratique, et il ne faut pas tomber soit sur un fonctionnement trop hétérogène qui serait illégal, soit sur un fonctionnement trop standard qui va laisser de côté la question de savoir quand on autorise le Défenseur des droits d’instruire.
Je crois qu’il faut avoir une vraie casuistique. Il y a un cadre de référence qui est en train de changer dans l’institution judiciaire, il faut avoir à l’esprit que c’est une autorité à rang constitutionnel, lorsqu’on est saisi d’une demande du Défenseur des droits, c’est en fait le dialogue entre deux autorités constitutionnelles, ça mérite quand même une attention particulière. Ce qui veut dire que, je crois, et il y a peut-être une évolution, et je sais que je serai peut-être contredit sur ce point-là, c’est qu’il ne doit pas y avoir de fin de non-recevoir, et même s’il y a une primauté offerte par la loi obligeant le Défenseur des droits à demander une autorisation, je crois qu’on doit prendre avec considération la demande du Défenseur des droits au regard de son statut constitutionnel. Je dis ça parce qu’une autorité constitutionnelle doit demander l’autorisation, mais une administration, elle, n’a pas à demander d’autorisation si elle veut conduire son enquête disciplinaire. De la même manière, vous avez des organismes indépendants, comme le Bureau d’étude accident qui pourra diligenter lui-même son enquête en s’appuyant sur des normes internationales sans se poser la question de savoir si l’autorité judiciaire a des pouvoirs qui lui sont propres, permettant de pouvoir diligenter son enquête comme il le souhaite. Donc avoir à l’esprit que le cas par cas est sans doute la meilleure des solutions, mais en ayant comme principe et point de vue que c’est bien une autorité et un rang constitutionnel qui demande cette autorisation d’instruire. Et d’ailleurs, quand on raisonne sur le cas par cas, il peut y avoir des clauses de revoyure. Il y a un moment, vous évoquiez la temporalité, il y a un moment où, effectivement, il faut attendre, mais lorsqu’il y a eu un déroulé de l’enquête, dans un temps urgent, dans un second temps, lorsque l’enquête sera suffisamment avancée, on peut rentrer dans un dialogue et une autorisation d’instruire, et la vraie difficulté est de conduire cette relation complémentaire dans la durée, et qui dit durée dit dialogue. Et j’ai presque envie de vous dire qu’on est passé de l’articulation à plutôt de la coopération, et c’est rendre harmonieux, et pour ça, il faut dialoguer, avec un point d’entrée, notamment avoir un référent qui est en mesure de pouvoir dire au Défenseur des droits qu’il peut instruire ou pourquoi il ne peut pas instruire, parce que, de manière conservatoire, il faut éviter les interférences et préserver l’intégrité de l’enquête, car c’est le premier des principes, en évitant qu’il y ait des éléments parasites. Je ne vais pas dire que le Défenseur des droits est un élément parasite, mais vous comprenez bien que lorsqu’il y a des témoins et des témoignages qui doivent être pris, on ne peut pas se partager le témoin, et il faut penser à un calendrier d’auditions, et éviter peut-être d’entendre plusieurs fois la même personne, car au bout de plusieurs fois, la personne ne va pas être dans le récit de ce qu’elle a vu ou de ce qu’elle a fait, mais dans le récit de ce qu’elle a dit, et ça change complètement les choses. C’est pour ça que, de temps en temps, il vaut mieux se répartir des fois les témoins lorsqu’on sait que l’enjeu n’est pas tout à fait le même. Lorsque vous avez un témoin indirect qui vient contextualiser, je pense qu’il est plus dans l’intérêt du Défenseur des droits de l’entendre que pour la procédure judiciaire qui se concentrera sur les témoins directs. Mais ce qu’il faut peut-être aussi dire, c’est que l’on est dans cette phase de concertation et de coopération et d’articulation, il faut aussi garder à l’esprit qu’il y a une indépendance des enquêtes, ça a une importance car elles n’ont pas vocation à se suppléer l’une à l’autre, l’indépendance, ça veut dire aussi, et c’est rappelé dans la circulaire, la circulaire de 2016 distingue les discriminations et tout ce qui relève de la déontologie et de la sécurité. Pour la déontologie et la sécurité, il y a une vraie complémentarité, en tant qu’autorité administrative, en revanche, s’agissant des discriminations, la circulaire n’hésite pas à parler d’appui. Donc on voit bien que dans le cadre des discriminations, on aura vocation à nourrir l’enquête d’une demande d’avis, mais l’idée est toujours de cette indépendance des enquêtes.
L’indépendance des enquêtes et toujours cette coordination supposent une relation, et la relation ne se fait pas simplement entre le procureur de la République, le juge d’instruction ou le Défenseur des droits, il y a quand même un élément très important qui s’appelle l’enquêteur. Et il faut faire une différence entre les services spécialisés et ceux qui ne le sont pas, lorsqu’on est à la fois dans la déontologie de la sécurité ou les questions de discriminations, on comprend bien que ces questions de déontologie de la sécurité sont des questions de spécialistes.
Du point de vue de l’enquêteur, le Défenseur des droits ne sera pas vu comme quelque chose qui vient enrichir, mais ce sera un élément de complexification, donc il faut l’avoir à l’esprit, c’est tout le rôle de celui qui est censé diriger l’enquête, d’accompagner l’enquêteur pour qu’il aille vers le Défenseur des droits et qu’il comprenne que, au contraire, dans le jalonnement de son enquête, il peut être utile à son enquête. On voit qu’il y a des efforts à faire de ce point de vue-là.
Je rajouterais pour terminer mon propos qu’il y a aussi des garanties procédurales à avoir en tête, quand je parle de cela, c’est que même si l’enquête du Défenseur des droits obéit aux standards du procès équitable, on doit se poser la question du droit au silence. Qu’est-ce qu’on ferait d’éléments recueillis par le Défenseur des droits contre une personne qui est mise en cause pour des faits de discrimination ou dans des cas de violences illégitimes, qui fait des déclarations devant le Défenseur des droits, mais qui opposerait le droit au silence et que ces éléments sont ensuite soumis au juge. Il faudra peut-être trouver une harmonisation, même si les règles du procès équitable sont respectées.
Voilà, j’ai essayé d’être assez général dans mon propos, en revisitant un petit peu ces questions de l’articulation de l’enquête entre l’enquête judiciaire et celle du Défenseur des droits.
- Merci beaucoup, c’est très clair. J’entends avec beaucoup d’intérêt le fait que ça peut paraître étonnant de demander une autorisation quand on est une autorité de niveau constitutionnel, et on entend aussi que la réponse ne doit pas être binaire, mais qu’on peut réfléchir avec les parties prenantes pour que les enquêtes soient utiles et complémentaires.
Côté Défenseur des droits, comment on vit cette question de relation avec les enquêteurs et le parquet sur le terrain ?
- Merci. Avant d’arriver vraiment à cette question qui est centrale, je voulais juste redire deux mots d’autres moments d’articulation et de connexion entre l’enquête du Défenseur et la procédure pénale. Un mot sur les avis qui sont demandés par le parquet, on les a vus dans le cadre des observations en justice, mais c’est intéressant dans l’exemple où on a été sollicités pour donner notre avis sur l’existence d’un délit de discrimination dans le fait de refuser l’accès d’un magasin aux chiens accompagnateurs de personne malvoyante. On a rendu une décision, le tribunal correctionnel a condamné l’intéressé du chef de discrimination, mais par exemple dans cette affaire-là, nous, on n’a pas fait d’enquête, on s’est prononcé à partir des éléments transmis par le parquet, et en revanche, notre avis a rejoint le dossier de procédure pénale, et il a fait partie du dossier soumis au débat contradictoire lors de l’audience correctionnelle.
Une autre hypothèse, celle du fait qu’on peut être saisi de faits apparaissant comme une potentielle infraction pénale. Cela peut nous amener à transmettre les éléments communiqués bruts au parquet quand ça nous paraît justifié. Ça nous arrive à un autre moment, à un autre stade, on va commencer par exemple une enquête sur de la discrimination, et en voyant si on va pouvoir la caractériser au sens des dispositions civiles ou du code pénal, et puis si à l’issue on considère qu’il y a un délit de discrimination constitué, on va pouvoir transmettre au parquet, on fait une décision de transmission au parquet pour qu’il apprécie ensuite l’opportunité des poursuites à partir des éléments qu’on va lui transmettre. On l’a fait récemment dans une affaire de refus de location. On est sur un particulier qui refuse la location en raison du port du voile par la réclamante. La location est formalisée, mais au moment de la présentation de la locataire, elle porte le voile et elle est mise à la porte. A l’issue de notre enquête, on a constaté l’existence de ce que nous avons caractérisé comme étant un délit de discrimination, on a transmis au parquet, le parquet a décidé de poursuivre, ça, c’est son opportunité évidemment, et par un jugement rendu en 2024, le tribunal correctionnel a condamné le propriétaire pour discrimination. On va pouvoir également, c’est un autre moment d’interaction, on va pouvoir également, lorsqu’on va constater un délit de discrimination, proposer au parquet d’homologuer une transaction pénale, ça implique là aussi un dialogue renforcé entre nos services et ceux du parquet pour échanger sur le principe de l’homologation, et puis les termes puisqu’il va falloir que le parquet homologue en fonction de la peine, et éventuellement même de l’indemnisation sur le plan civil.
Alors, l’autre cas sur lequel on s’est évidemment… Où l’articulation est essentielle, c’est l’hypothèse du Défenseur des droits qui est saisi de faits donnant lieu à une enquête préliminaire ou de flagrance ou pour lesquels une information judiciaire est en cours. J’insiste sur les mots, il faut bien que les faits soient identiques. C’est le moment où le Défenseur va s’interroger sur la nécessité de l’accord ou non. Si on est saisi de faits qui font l’objet, en général, on va le savoir, parce que la personne va nous dire qu’il y a une plainte au pénal qui a été déposée, dans ce cas-là, on va obligatoirement se tourner d’abord, si la réclamation nous paraît méritée d’être traitée, si on a quand même des premiers éléments, on va adresser une demande d’accord préalable à la juridiction saisie ou au procureur de la République selon les cas. L’exemple classique, c’est celui que vous avez donné : la plainte déposée d’un côté pour des violences commises par un agent des forces de l’ordre, et en parallèle, une saisine au Défenseur des droits sur le manquement déontologique.
Généralement, par mail, demande préalable au référent désigné par le parquet, ou au procureur de la République, ou juge d’instruction en charge de l’information judiciaire.
Sans ça, on ne pourra pas avancer du tout. C’est-à-dire qu’on pourra obtenir des éléments donnés par le réclamant ou le témoin, mais on ne pourra rien solliciter. Donc c’est concrètement un dossier qui est mis en stand-by dans l’attente du positionnement de l’autorité judiciaire.
Juste pour avoir un repère, en 2023, c’est 270 demandes d’autorisations d’instruire qui ont été adressées par l’institution, et on a regardé, à distance de plus d’une année, ce qu’il en était ressorti, il est apparu qu’on avait obtenu l’autorisation, l’accord préalable des juridictions dans la moitié des affaires, dans 20% d’entre elles, on ne l’a pas obtenu, et dans près d’un quart, 25% des affaires pour lesquelles on avait adressé une demande, nous n’avons obtenu aucune réponse du parquet ou du juge d’instruction sollicité. Ça nous a amené à informer les réclamants que nous ne pouvons pas traiter la réclamation puisque nous n’avons pas l’accord de la justice.
On observe des pratiques très hétérogènes selon les parquets dans les réponses qui nous sont apportées, et on arrive à identifier un petit peu les différents positionnements, certains qui vont refuser par principe l’accord au Défenseur des droits tant qu’il y a une enquête préliminaire en cours, pour la protéger. D’autres qui vont plutôt accepter par principe. D’autres qui vont plutôt accepter par principe et différer exceptionnellement leur accord au cas par cas. Certains qui vont afficher le fait qu’ils n’ont pas de position de principe et qui donnent leur accord au cas par cas. Et d’autres, et c’est problématique pour nous, qui nous demandent d’attendre qu’ils aient pris leur propre décision sur les suites de l’enquête pénale, c’est-à-dire que, finalement, l’enquête de police ou de gendarmerie peut être arrivée à son terme, on est en attente d’orientation d’exercice de l’opportunité des poursuites, et le fait de différer la possibilité de tout accord au fait que l’enquête soit terminée, ça revient à mettre un petit peu en cause les dispositions de la loi organique, puisque, une fois que l’enquête est terminée, nous n’avons plus besoin de l’accord de la juridiction.
Alors, vous l’avez compris, la temporalité de l’accord, ça a une incidence très importante sur la possibilité et la façon dont on va pouvoir enquêter et donc dont on va pouvoir remplir notre mission à l’égard des réclamants.
En matière de discrimination, une petite particularité, l’absence de cet accord va nous empêcher d’enquêter pendant le temps de l’enquête pénale, et finalement de pouvoir établir l’existence d’une discrimination au sens civil, puisque la preuve de discrimination est beaucoup plus aisée à apporter avec l’aménagement de la charge de la preuve posée par le législateur, que la discrimination au sens du code pénal.
En matière de déontologie de la sécurité, l’absence d’accord préalable va nous conduire aussi à devoir attendre l’issue, parfois pendant plusieurs mois, parfois plusieurs années, et ça va rendre au final nos moyens d’intervention et d’informations souvent assez inopérants dans le sens où… C’est particulier présent quand on fait des auditions, parfois à deux ans de distance des faits, quand on entend des victimes ou des agents qui n’ont plus de souvenirs du déroulement des faits.
Donc la conclusion… Non, simplement insister pour dire que mon propos n’est pas de remettre en cause le principe de l’accord préalable de la justice, c’est l’expression de la volonté du législateur de préserver l’enquête judiciaire d’éventuelles interférences, de laisser le magistrat apprécier le stade de l’enquête, ce n’est pas le sens de mon propos, mais le législateur n’a pas non plus fait le choix d’interdire toute possibilité d’enquêter au Défenseur des droits pendant le déroulement d’une enquête judiciaire, et donc plutôt d’insister sur la complémentarité, l’équilibre à trouver pour que, dans le respect des prérogatives judiciaires, le Défenseur des droits puisse exercer ses propres missions au service des usagers de service public dans des délais raisonnables.
- Merci. Nous arrivons au terme de cette journée. Maître Ben Achour ?
- Slim Ben Achour : est-ce que j’ai quelque chose à dire sur l’articulation de l’enquête pénale avec celle du Défenseur des droits ? Oui. Sans vous faire perdre du temps, doublement oui. Même si c’est vrai, pour les raisons évoquées, sur les particularités de la procédure civile en matière de discrimination, avec l’aménagement de la charge de la preuve, ce qui peut amener à des choix stratégiques plutôt aisés à faire. Mais je voudrais quand même parler de ce sujet-là en commençant par un exemple qui m’a beaucoup marqué, parce que ça a pris beaucoup de temps, la décision est définitive, donc je peux donner le nom de l’entreprise, il s’agit de la société Adecco, la Maison des potes dépose plainte en 2001, pour fichage ethnique, il existe un fichier où sont regroupés les intérimaires noirs qui vont servir de force d’appoint.
L’ordonnance de renvoi au tribunal correctionnel est en 2021, la plainte est déposée en 2001. 2021, le dossier est plaidé en janvier 2024, et la décision du tribunal correctionnel de Paris est de 2024.
Je vous dirais que j’aurais souhaité que la HALDE ne soit pas née en 2005, mais au moment des garanties posées par les directives en 2000 parce que, là, on a quand même un exemple assez emblématique d’une procédure qui pêche. Et on voit la difficulté de compréhension de la problématique de la discrimination raciale et la problématique aussi du fichage.
Une fois que je vous dis ça, je vais aborder deux sujets : les violences policières et les contrôles discriminatoires. Les violences policières, je pense que je ne vais pas développer devant vous tellement ça paraît évident, on ne peut pas demander à un jeune souvent contrôlé et violenté d’aller déposer plaint dans un commissariat. C’est inconcevable. Prendre un avocat, déposer plainte, on est souvent exposé à ce qu’on appelle un classement courrier, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’enquête. Et je vais vous parler d’un dossier très rapidement qui a un peu défrayé la chronique, concernant les violences policières, qui concerne des mineurs, sans l’enquête du Défenseur des droits, nous n’aurions jamais eu les échanges entre le procureur de la République de l’époque et monsieur le préfet de police de Paris qui reconnaissent les dysfonctionnements graves au sein de la police du 12e arrondissement, du contrôle d’identité jusqu’au commissariat. Je passe sur la décision de justice, il y aura une décision, même s’il y a une plainte pénale, avec ce dossier pénal et ces éléments systémiques, l’Etat va être condamné en 2020 à de nombreuses… C’était une procédure civile en réparation du préjudice, décision définitive concernant les violences policières.
Deuxième cas, les fameux contentieux de contrôle au faciès, qui prospèrent dans un environnement pénal, contrôles d’identité, prérogatives de police, mais à l’occasion d’une procédure en réparation, et là, on n’a pas été exposé… Si, dans un premier temps, à la problématique d’Adecco, dans le sens où on a eu des premiers juges qui ont eu du mal à comprendre la discrimination puisque les contrôles d’identité dits au faciès, le tribunal judiciaire, en 2011, considère que les principes de non-discriminations ne s’appliquent pas aux contrôles policiers, les policiers n’ont qu’à respecter les dispositions de l’article 78-2. Puisque monsieur Sommer est là, j’en profite pour dire que ce contentieux est un contentieux de droit du travail, le Défenseur des droits nous a suivi dans ces observations, après son enquête, puisque nous avons transposé les règles de droit du travail, d’aménagement de la charge de la preuve, dans la relation police-population. C’est aussi à cette occasion que le Défenseur des droits, pour la première fois, a partagé l’idée excellente que les contrôles d’identité soient tracés.
Les contrôles au faciès, c’est aussi le fameux contentieux de la Gare du Nord, une élève de Terminale est contrôlée à la sortie du Thalys, je ne vais pas rentrer dans le dossier, juste vous dire que si le Défenseur des droits n’avait pas fait son enquête, nous n’aurions pas su que les images et les messages audios avaient été détruits, alors que l’enquête du DDD démontrait que les autorités policières étaient informées du contrôle problématique dès le lendemain des faits puisque les élèves et l’école avaient diffusé l’information et le contentieux civil démarrait une semaine après le contrôle.
Deuxième enseignement grâce au Défenseur des droits, à partir du moment où les autorités sont informées d’une allégation d’une discrimination raciale, elles doivent enquêter. Ce qui n’a pas été fait.
Concernant l’action de groupe, le travail du Défenseur des droits, parmi d’autres organisations, notamment internationales, je parle des Nations unies qui ont souhaité déposer des observations d’amis de la cour, ce travail a amené, tous comptes faits, nous avons été débouté par le Conseil d’Etat, pour autant, nous avons acquis quelque chose, le Conseil d’Etat rejette l’idée qu’il s’agit de contrôles isolés, pour autant, pour des raisons qu’on ne va pas évoquer, elle a considéré qu’elle n’avait pas le pouvoir de mettre en place une réforme, ce qui reste quand même, et c’est un vrai problème pour nous, que si le Conseil d’Etat ne peut pas mettre une politique publique en place, il reste la politique publique des contrôles au faciès, il reste une politique grave. Enfin, pour donner un peu d’espoir, nous suivons les mots du président Louvel, nous avons internationalisé le contentieux, et je sais que le Défenseur des droits sera à nos côtés puisque le contentieux se déplace à Strasbourg et aux Nations unies. Voilà sur ce que je voulais vous dire sur le point n°3.
- Merci infiniment. J’ai obtenu une autorisation exceptionnelle de dépassement pour que chacun ait une proposition à faire pour avancer une préconisation sur la question des enquêtes, Slim, si vous voulez bien poursuivre.
De manière synthétique.
- Je souhaiterais plus d’enquêtes, plus de moyens. Le rêve, ça a été le choix qui a été fait dans quelques pays, mais même si ça m’apporterait moins de travail, mais je serais prêt à concéder, une réglementation qui permettrait à une organisation comme le DDD à porter des contentieux, comme aux Etats-Unis ou au Canada. Mais tout ça dépend d’une volonté politique que j’espère… Et je vais abuser en réalité, Soraya, parce que je souhaite… Je suis avocat, mais je suis un mandataire, je représente, je voudrais vous parler juste en un mot du fait que tout le travail accompli ne l’est pas seulement par le mandataire que je suis, je suis l’avocat de nombreuses associations, de syndicats, de ceux qui se battent contre les discriminations, contre les contrôles au faciès, et je le dis parce que le moment est particulier, historique, et je tiens à remercier le réseau d’anciens magistrats, d’anciens membre du DDD, un réseau pour agir en justice contre les discriminations, RAJD, j’espère que nous allons tenir, que le droit à l’égalité va tenir, en tant que magistrats, juristes, avocats, nous avons une responsabilité en ce moment, car il y a quand même des projets discriminatoires qui sont dans les tuyaux, et pas simplement en France, et je voudrais vous dire que je suis un révolutionnaire qui pense qu’on peut faire la révolution en appliquant simplement le droit.
Donc merci à vous, et longue vie au Défenseur des droits.
- Merci.
Difficile d’enchaîner après ces propos qui auraient été une magnifique conclusion, mais monsieur le procureur, un mot pour finir ?
- En un mot, simplement, partant des 25% de non-réponses aux demandes formulées par le Défenseur des droits, et sachant, parce que j’ai été mis dans la confidence que des travaux étaient conduits actuellement par la Défenseure des droits, ses équipes et le ministère de la Justice pour revisiter la circulaire de 2016, préconisation un peu double, c’est de rappeler le rang constitutionnel et le fait de dialoguer avec une autre autorité constitutionnelle, c’est déjà une façon de diminuer le chiffre peut-être, et surtout, car on voit que c’est le point de friction le plus évident, c’est de donner des préconisations un peu plus précises sur le moment où l’on doit et on peut donner l’accord pour instruire, je crois que ça nous ferait avancer. Il existe des protocoles entre les cours d’appel et les Défenseurs des droits, et je crois qu’aujourd’hui, il faut descendre dans le dur de la modalité pratique, et on voit qu’on peut donner quelques orientations, ne serait-ce que sur les clauses de revoyure, par rapport à des enquêtes qui durent parfois un peu trop longtemps.
- Merci beaucoup. Marie ?
- Des choses très concrètes, dans le même sens que vous, monsieur le procureur, ce dont on a besoin aujourd’hui, c’est probablement d’accroître la confiance, au-delà de libérer du temps pour les magistrats pour traiter nos demandes, mais ça, ça ne va pas dépendre de moi. En revanche, sur la confiance, je pense qu’il y a une part qu’on peut prendre à notre compte aussi pour rappeler des choses assez pratiques, ce que je disais tout à l’heure, du fait que nos dossiers sont confidentiels, protégés par les règles de la CADA, et donc pas accessibles, il y a une confidentialité, rappeler que nous sommes soumis, agents et délégués, au secret professionnel, insister sur le fait qu’on peut aussi nous donner un accord préalable à notre instruction avec des conditions, en disant : allez-y, mais en revanche, ne faites pas d’audition tant que je ne vous donne pas le go, parce que j’ai une confrontation à faire, ça, on le respectera scrupuleusement. Pour répondre à un point soulevé par M. Badorc, cette question de l’articulation sur le droit au silence, c’est un délit d’entrave de ne pas répondre à la convocation, en revanche, ne pas répondre à chacune des questions, nous respectons ce silence, même s’il n’est pas précisé, mais nous le respectons, et jamais nous ne saisirions un parquet pour délit d’entrave sur le fait d’avoir refusé de répondre à une question posée par le Défenseur.
Dans le même champ, on partage aussi avec la juridiction saisie, parquet ou juge d’instruction, le fait qu’on peut l’informer que, là, on va mener une audition, qu’il peut nous le demander, le contenu de notre audition, pour le verser à son dossier judiciaire, par réquisition, mais c’est possible. Et dernier point de vigilance, le fait que nous tenons bien informés les parquets de l’issue de nos enquêtes, je pense que c’est bien fait, lorsque nous rendons des décisions, c’est systématiquement communiqué à l’autorité judiciaire, en revanche, sur les clôtures, quand on clôt sans aller plus loin, je sais que, là, on a une marge de progression. En tout cas, toute ma direction et toute l’institution est à la disposition des magistrats judiciaires pour échanger sur ces enjeux, ces articulations et favoriser à la fois la justice et les missions du Défenseur.
- Merci infiniment. Pour reprendre ce que disait Slim tout à l’heure, je crois que le DDD est une petite entreprise qui ne connaît pas la crise, qui ne manquera jamais de travail, malheureusement, elle n’est pas seule, elle est accompagnée, et chacun peut apporter à ce combat permanent pour les droits et les libertés.
Un petit mot de conclusion simplement pour remercier très chaleureusement la Cour de cassation, le Conseil d’Etat, pour avoir eu cette magnifique idée de collaborer avec le Défenseur des droits pour organiser ce colloque, remercier infiniment toutes les personnes qui ne sont pas visibles mais qui ont travaillé énormément pour que ce colloque puisse avoir lieu, et peut-être vous dire deux petits mots. D’abord vous dire que malgré l’ambiance actuelle, on peut avoir de bonnes nouvelles, la première, c’est que cela devrait être des rendez-vous réguliers, une fois au Conseil d’Etat, une fois à la Cour de cassation, je formule le vœu que ce rendez-vous régulier soit peut-être tous les premiers vendredis de février, pour qu’on n’ait plus à se poser la question de la date. Deuxième chose intéressante et bonne nouvelle, on pourrait publier les actes de ce colloque car beaucoup de choses ont été dites, beaucoup de choses très importantes, et dans l’idée de diffuser et de faire connaître et reconnaître le Défenseur des droits, une publication serait très utile.
Troisième bonne nouvelle, nous avons eu une ouverture du ministre Garde des Sceaux qui a précisé que le Défenseur des droits était un pivot de la démocratie, il faut le garder en tête pour que chaque juge se rappelle que, finalement, ils ont une mission en commun qui est la garantie des droits et libertés. Finalement, cette journée nous a permis de mieux connaître le Défenseur des droits, comprendre que, derrière l’incarnation exceptionnelle par Claire Hédon, finalement, il y a plein de choses derrière, une grande diversité, et que si elle incarne une institution qui est diverse, riche de ses acteurs et de ses ressources humaines, les membres des collèges, les adjoints, les délégués, les agents, c’est quelque chose d’important, et riche aussi de ses modalités d’action, car depuis ce matin, on n’a de cesse d’articuler les différentes modalités d’actions et de comprendre qu’elles s’épaulent mutuellement, au bénéfice de tous, avec des articulations avec le juge, dans un sens comme dans l’autre. Donc que reste-t-il à souhaiter ? D’abord peut-être un besoin encore de reconnaissance, parce que, malgré tout, on a pu entendre que pour le commun des mortels, on parle de DDD, c’est bien pour la société civile, peut-être que les juges devraient plus en parler, et l’idée de diffuser une note d’information pour tous les juges du fond, pour mieux connaître le Défenseur des droits, l’idée de se dire qu’il faudrait peut-être plus le saisir pour des contentieux émergents, des questions où on se dit qu’on pourrait faire jurisprudence, pour des litiges sériels, on proposait qu’éventuellement le Défenseur des droits soit associé aux travaux de l’observatoire des litiges judiciaires, pour amener justement des questions un peu systémiques, et puis une reconnaissance par la loi, nous avons beaucoup tourné autour aujourd’hui, la question de l’effet pour préserver le droit des parties est une question absolument essentielle, et en attendant la loi, on a l’article qui nous dit que la prescription ne court pas contre celui qui est empêché d’agir, par la loi, la force majeure et la convention, on pourrait y ajouter les faits.
En tout cas, ça pourrait être utilisé par le juge pour finalement préserver les droits des justiciables.
Par la loi également parce que, finalement, on a entendu aussi une révision constitutionnelle, pourquoi pas, pour permettre l’intervention du Défenseur des droits au Conseil constitutionnel, et pourquoi pas aussi quand on a parlé de l’inefficacité des actions de groupe, pourquoi pas le Défenseur des droits qui pourrait porter une action de groupe ? Cela supposerait des moyens, mais nous sommes dans la liste des vœux de Noël, au mois de février, c’est assez cocasse.
Aussi un besoin de coopération, le mot a été répété, le ministre a parlé de coopération précieuse et heureuse, à vous de rendre ce bonheur-là possible. Il est vrai qu’il existe déjà des outils de collaboration, avec des protocoles d’accord, des référents, des formations. Mais l’idée, c’est que ça devienne une coopération formelle. Il faut tisser des liens et donc connaître l’autre.
Je veux clôturer par les propos de Kofi Annan : La seule voie pour un avenir meilleur est celle de la coopération et du partenariat, DDD et juge. Je vous remercie.