
Le décès de Rémi Fraisse lors des opérations de maintien de l’ordre sur le site de Sivens : la CEDH rend son arrêt
03 mars 2025
Plus de 10 ans après les faits, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu son arrêt dans le cadre de la procédure Rémi Fraisse c. France. S’appuyant notamment sur les travaux et conclusions du Défenseur des droits, la Cour a conclu à la violation de l’article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lequel garantit le droit à la vie.
La décision du Défenseur des droits du 25 novembre 2016
Le décès de Rémi Fraisse est survenu dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014 dans le cadre d’affrontements entre des manifestants opposés à la construction d’un barrage sur le site de Sivens et des militaires chargés du maintien de l’ordre. Le 1er décembre 2014, l’institution s’est saisie d’office de l’examen des circonstances dans lesquelles est décédé le jeune homme de vingt-et-un ans, des suites du lancer d’une grenade offensive, laquelle s’était coincée entre son sac à dos et sa capuche.
Le Défenseur des droits a conduit pendant deux ans des investigations approfondies au cours desquelles il a auditionné de nombreux protagonistes de ce drame. Le 25 novembre 2016, il a rendu une décision, qui dressait plusieurs constats et formulait une série de recommandations : Le Défenseur des droits concluait notamment à l’absence de faute de la part du gendarme auteur du lancer de la grenade à l’origine du décès de Rémi Fraisse, mais critiquait le manque de clarté des instructions données aux militaires déployés sur la zone, par l’autorité civile et par leur plus haute hiérarchie, ainsi que l’absence de toute autorité civile au moment du drame, malgré le caractère à la fois sensible, dangereux et prévisible de la situation. Le cumul dommageable de ces deux circonstances a conduit les forces de l’ordre à privilégier la réalisation de l’objectif assigné, la défense de la zone, sur toute autre considération, sans qu’il soit envisagé à aucun moment de se retirer.
Si les circonstances étaient légalement réunies pour permettre un emploi de la force, dès lors que les militaires se trouvaient bien dans une situation dans laquelle ils faisaient face à un danger actuel, qui les menaçait et qui menaçait le terrain dont ils avaient la garde ; le Défenseur des droits avait également recommandé une clarification des cas dans lesquels les représentants de la force publique « ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent » (article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure) – une formulation particulièrement imprécise, permettant de recourir à la force publique sans sommation pour dissiper un attroupement.
Enfin, le Défenseur des droits avait relevé plusieurs carences dans la règlementation encadrant le recours à la force et à l’usage des armes, notamment celui de la grenade OF-F1, en particulier son imprécision, en contradiction avec les exigences fixées par la CEDH. Le Défenseur des droits avait constaté la particulière dangerosité de l’arme à l’origine du décès de Rémi Fraisse, puisque composée de substances explosives pouvant être fatales en cas de contact.
Les observations du Défenseur des droits devant la CEDH
En 2022, l’institution est intervenue dans la procédure devant la CEDH (décision n° 2022-031). Dans cette tierce-intervention, le Défenseur des droits a formulé des observations dans la ligne directe des constats et des conclusions formulés dans la décision de 2016. Elles relèvent :
- Le manque de clarté du cadre juridique relatif au recours à la force et aux armes, au regard de l’article 2 de la Convention ;
- La nécessaire présence de l’autorité civile sur le terrain des opérations, l’insuffisance de la formation du corps préfectoral et l’absence de disposition législative imposant la traçabilité des missions données au commandement de la force publique et de l’autorisation d’emploi de la force ;
- La dangerosité de la grenade offensive à l’origine des blessures mortelles de Remi Fraisse considérée comme une arme ne répondant pas aux critères d’absolue nécessité et de proportionnalité dans le cadre du recours à la force.
Jeudi 27 février 2025, la CEDH livre ses conclusions
S’appuyant notamment sur les travaux et les conclusions du Défenseur des droits, ainsi que son rapport Le maintien de l'ordre au regard des règles de déontologie de 2017, la CEDH a rendu le 27 février un arrêt dans lequel elle a conclu à la violation de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, lequel garantit le droit à la vie. Le niveau de protection requis par cet article n’a ainsi pas été garanti par l’État français au cours des évènements de la nuit du 25 octobre 2014.
La Cour considère, d’une part, que le cadre juridique et administratif sur le recours à la force applicable au moment des faits était lacunaire et insuffisant. D’autre part, la Cour relève que la grenade offensive à l’origine du décès de Rémi Fraisse était d’une dangerosité exceptionnelle et qu’il n’y avait pas de cadre d’emploi précis et protecteur.
Enfin, la Cour considère qu’il y a eu des défaillances au niveau de l’encadrement dans la préparation et la conduite des opérations, critiquant en particulier l’absence de l’autorité civile, à savoir l’autorité préfectorale, au cours de l’opération de maintien de l’ordre en elle-même : « Dans ces conditions, elle considère, à l’instar du Défenseur des droits en particulier dans sa décision du 25 novembre 2016 (…) qui a précisé que l’autorité civile « n’a[vait] pas pleinement assumé sa responsabilité dans le cadre de cet événement », comme une défaillance le fait que la direction des opérations ait pu être laissée à la hiérarchie opérationnelle sur le terrain à partir de 21h30 le 25 octobre 2014 alors que la situation nécessitait une adaptation permanente des objectifs et du dispositif à mettre en œuvre ».
Le Défenseur des droits veillera à l’exécution de l’arrêt de la Cour par la France, une fois qu’il sera devenu définitif.