Retour sur le collège "déontologie de la sécurité" du 17 décembre 2024
28 janvier 2025
Déontologie de la sécurité
Le collège « déontologie de la sécurité » s’est réuni le mardi 17 décembre 2024. Plusieurs projets de décisions lui ont été soumis pour recueillir son avis.
Deux décisions concluent à des manquements concernant l’usage de la force, notamment d’une arme à feu. La première par un gendarme qui a mortellement blessé le conducteur d’un véhicule et la seconde par des surveillants pénitentiaires qui ont blessé grièvement une personne détenue. Dans plusieurs décisions, la Défenseure des droits constate des procès-verbaux lacunaires et des manquements à l’obligation de rendre compte qui pèse sur les forces de sécurité. Enfin, une décision met en évidence une méconnaissance des caractéristiques de la soumission chimique par les services de police.
Rappel :
Le Défenseur des droits est l’autorité de contrôle externe du respect de la déontologie par les professionnels de la sécurité. Lorsqu’il est saisi par une personne qui estime qu’un professionnel de la sécurité (policier, gendarme, agent de sécurité…) n’a pas respecté ses obligations déontologiques, il enquête pour déterminer si des manquements sont avérés.
Comme le prévoit la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, « Le Défenseur des droits préside les collèges qui l'assistent pour l'exercice de ses attributions en matière de défense et de promotion des droits de l'enfant, de lutte contre les discriminations et de promotion de l'égalité, ainsi que de déontologie dans le domaine de la sécurité. ».
Les collèges sont présidés par la Défenseure des droits. Les adjointes et l'adjoint en sont les vice-présidents et peuvent suppléer la Défenseure pour la présidence de ces collèges.
Le collège déontologie de la sécurité est composé de :
- trois personnalités qualifiées désignées par le président du Sénat,
- trois personnalités qualifiées désignées par le président de l'Assemblée nationale,
- un membre ou ancien membre du Conseil d'Etat désigné par le vice-président du Conseil d'Etat,
- un membre ou ancien membre de la Cour de cassation désigné conjointement par le premier président de la Cour de cassation et par le procureur général près ladite cour.
Usage non nécessaire et disproportionné de la force et absence d’assistance et de secours lors d’une intervention de gendarmerie
Un agriculteur a été mortellement blessé lors d’une intervention de gendarmerie. Recherché après avoir pris la fuite à bord de son tracteur lors d’un précédent contrôle de son exploitation agricole, il tentait de fuir à bord de sa voiture lorsqu’un gendarme a tiré à cinq reprises dans sa direction. Le véhicule s’est arrêté après avoir percuté un arbre. L’homme, grièvement blessé, est resté sans assistance durant de longues minutes, jusqu’à l’arrivée des pompiers. Malgré son état critique, aucun geste de premiers secours n’a été pratiqué par les gendarmes présents, qui se sont limités à surveiller la victime et à attendre les pompiers.
Après avoir consulté le collège, la Défenseure des droits retient plusieurs manquements dans cette affaire. Tout d’abord, l’usage de l’arme par le gendarme est jugé disproportionné et non conforme au principe d’absolue nécessité (article R.434-18 du code de la sécurité intérieure). Selon les éléments recueillis, les tirs ont été effectués sur le côté et à l’arrière du véhicule, alors qu’il ne représentait plus un danger immédiat pour les gendarmes ou pour autrui.
Par ailleurs, la Défenseure des droits déplore l’absence de secours apporté à la personne alors qu’elle était grièvement blessée mais toujours en vie durant plusieurs minutes. Ce manquement constitue une violation de l’obligation de porter assistance à une personne en danger (article R.434-19).
Enfin, aucune enquête administrative n’a été diligentée par la hiérarchie des gendarmes pour examiner d’éventuels manquements déontologiques, sous prétexte qu’une enquête judiciaire était en cours. Le Défenseur des droits rappelle que cette carence est contraire au devoir de contrôle hiérarchique (articles R.434-5 et R.434-25).
La Défenseure des droits saisit le ministre de l’intérieur pour qu’il engage des poursuites disciplinaires, à l’égard du gendarme auteur des coups de feu pour usage disproportionné de la force et absence de secours, ainsi que de plusieurs autres gendarmes pour manquement à leur obligation d’assistance. Elle demande également un rappel des règles relatives à l’usage des armes et aux gestes de premiers secours, ainsi que la systématisation des enquêtes administratives, même si des procédures judiciaires sont en cours. Ces mesures visent à garantir la conformité des interventions des forces de l’ordre aux principes de déontologie et à préserver la confiance du public dans les forces de l’ordre.
Consulter la décision 2024-218
Usage disproportionné de la force dans un établissement pénitentiaire
À la suite d’une fouille, alors qu’elle attendait d’être reconduite dans sa cellule, une détenue d’un centre pénitentiaire affirme avoir été frappée par des surveillants dans la salle de fouille. Elle explique avoir été conduite au quartier disciplinaire et avoir subi de nouvelles violences lors de son transfert. Le rapport du médecin constate la présence de nombreuses blessures, dont une fracture du radius, justifiant 42 jours d’incapacité totale de travail (ITT). La personne détenue a déposé plainte pour violences volontaires en réunion, plainte qui a été classée sans suite par le parquet. La Défenseure des droits a été saisie sur d’éventuels manquements aux obligations déontologiques des surveillants pénitentiaires.
La Défenseure des droits conteste en premier lieu le placement au quartier disciplinaire à titre préventif de la réclamante. En détention, si tout incident provoqué par la personne détenue doit donner lieu à un compte-rendu d’incident, voire à une procédure disciplinaire, il ne doit pas systématiquement conduire à placer la personne détenue au quartier disciplinaire à titre préventif. Une telle mesure doit être exceptionnelle et être justifiée par l’absence d’alternative pour rétablir l’ordre, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La décision de transfert au quartier disciplinaire de la réclamante est ainsi jugée injustifiée et contraire à l’article R.122-10 du code pénitentiaire, qui impose aux surveillants pénitentiaires d’agir dans le respect des droits des personnes qui leur sont confiées.
Par ailleurs, la Défenseure des droits conclut à un usage disproportionné de la force. Le récit de la réclamante est à cet effet corroboré par les certificats médicaux, attestant de ses graves blessures, et les enregistrements des caméras de surveillance qui couvraient le chemin entre la salle de fouille et le quartier disciplinaire.
À l’inverse, la Défenseure des droits constate que les surveillants n’ont pas relaté de manière complète et précise leur intervention dans leurs comptes rendus écrits, ne fournissant aucune précision sur les gestes employés, ni aucune explication sur les nombreuses blessures qu’ils ont occasionnées. Ces imprécisions constituent pour la Défenseure des droits une violation des obligations de transparence imposées aux agents pénitentiaires quand ils rendent compte de leur intervention.
Enfin, la Défenseure des droits constate une violation du droit au secret médical. Les conditions d’examen de la réclamante par un médecin n’ont pas respecté le droit au secret médical, prévu à l’article L.322-3 du code pénitentiaire.
La Défenseure des droits recommande que les conditions de placement au quartier disciplinaire à titre préventif soient rappelées à l’ensemble des agents du centre pénitentiaire. Elle saisit le garde des sceaux, ministre de la justice, afin qu’il engage une procédure disciplinaire à l’encontre des surveillants pénitentiaires qui sont intervenus dans la salle de fouille et ont conduit la réclamante au quartier disciplinaire, pour avoir fait un usage disproportionné de la force et ne pas avoir rendu compte de manière précise et fidèle du déroulement de leur intervention.
Consulter la décision 2024-214
Absence de vérifications préalables lors d’une perquisition et manquements à l’obligation de rendre compte dans les procès-verbaux établis par la policière
La réclamante se plaignait d’une perquisition menée à son domicile dans le cadre d’une enquête impliquant son fils, alors qu’elle est avocate, ce qui entraîne une protection particulière de son domicile. Les policiers n’ont pas vérifié préalablement à la perquisition que le jeune homme résidait bien à cette adresse, ni qu’il était le domicile d’une avocate.
L’article 56-1 du code de procédure pénale prévoit des conditions strictes de réalisation de perquisition au sein du cabinet ou du domicile d’un avocat. L’instruction menée par le Défenseur des droits ne permet pas d’établir que les policiers avaient connaissance de la profession de la réclamante au moment de la perquisition mais elle met en évidence le fait que les policiers n’ont pas pris le soin de vérifier l’identité de l’occupant du domicile perquisitionné.
La Défenseure des droits relève que les procès-verbaux rédigés tout au long de l’enquête sont incomplets et qu’ils ne mentionnent pas le moment auquel les policiers ont eu connaissance du statut de la réclamante ni le moment auquel ils en ont informé leur hiérarchie et le parquet.
Elle conclut à un manquement à l’obligation de respect de la loi prévue à l’article R 434-2 du code de la sécurité intérieure et à un manquement à l’obligation de rendre compte prévue à l’article R 434-5 du code de la sécurité intérieure et recommande que les dispositions de ces textes soient rappelées aux policiers.
Consulter la décision 2024-216
Manquement à l’obligation de protection et méconnaissance des signes de la soumission chimique lors de la prise en charge d’une femme et de son placement en dégrisement
Après une soirée, une femme de 30 ans a été trouvée désorientée sur la voie publique par la police municipale, sans souvenirs et sans ses effets personnels. La jeune femme a été conduite au commissariat de police et placée en cellule de dégrisement après un examen médical à l’hôpital ayant donné lieu à la rédaction d’un certificat de non-admission à l’hôpital. À son réveil en cellule le lendemain matin, la jeune femme souffrait d’une amnésie partielle. Après être finalement rentrée chez elle, elle pensait avoir été victime d’une agression sexuelle. Elle s’est de nouveau présentée au commissariat pour faire part aux policiers de ses doutes.
Lors de son placement en dégrisement, la jeune femme avait prévenu les policiers qu’elle avait ses règles et que son tampon avait été ôté. Les agents lui ont remis un kit d’hygiène pour qu’elle l’utilise directement dans une cellule aux portes vitrées et équipée d’une caméra de vidéo-surveillance.
La Défenseure des droits s’est interrogée sur le respect des règles de déontologie de la sécurité lors de cette nuit et lors de la prise en charge de la jeune femme une fois après qu’elle a exprimé ses craintes aux forces de l’ordre. Elle constate plusieurs manquements.
La Défenseure des droits constate une prise en charge inadéquate et insuffisante dans la détection de soumission chimique.
En l’absence de demande de la réclamante ou d’élément matériel concret, les policiers n’avaient pas d’obligation en droit de faire procéder à des actes biomédicaux pour rechercher une éventuelle agression sexuelle. Néanmoins, ils n’ont pas exploré l’hypothèse d’une soumission chimique, malgré un faisceau d’indices (femme seule, sans souvenir, désemparée…) pouvant laisser soupçonner une agression sexuelle avec une soumission chimique. Cette absence d’appréciation illustre la nécessaire formation des services de police pour identifier les caractéristiques de la soumission chimique.
La Défenseure des droits recommande au ministre de l’intérieur et au ministre de la justice que des mesures efficaces soient prises en vue d’améliorer les techniques de détection de la soumission chimique, notamment en sensibilisant les services de police dans le cadre de leurs formations et en facilitant l’accès à des kits de détection dans les commissariats de police, les brigades de gendarmerie et les unités médico-judiciaires.
S’agissant du respect de l’intimité et de la dignité de la réclamante, la Défenseure des droits recommande que la délivrance d’un kit d’hygiène soit systématiquement accompagnée d’une proposition à pouvoir s’isoler dans des toilettes afin qu’il puisse être utilisé dignement et proprement.