17e Baromètre des discriminations dans l’emploi : focus sur les seniors
10 décembre 2024
- Discrimination
- Emploi
Le 4 décembre 2024, le Défenseur des droits, en partenariat avec le Bureau français de l’Organisation internationale du travail (OIT), a présenté le 17e Baromètre des discriminations dans l’emploi. Une édition dédiée aux discriminations vécues par les personnes de 50 ans et plus, un enjeu majeur dans le contexte actuel du vieillissement de la population active.
À l’occasion de cette publication, la Défenseure des droits, Claire Hédon, et l’OIT ont réuni experts, chercheurs et représentants syndicaux et patronaux pour échanger autour des résultats et des solutions pour lutter contre les discriminations dans l’emploi vécues par les personnes de plus de 50 ans. Un temps d’échange à revivre ci-dessous.
Les principaux résultats
Des discriminations toujours présentes pour les seniors dans l’emploi
Alors que le taux d’emploi des seniors a nettement progressé ces dernières décennies, l’enquête révèle une réalité préoccupante :
- 1 senior sur 4 déclare avoir été victime de discriminations.
- Ces discriminations se manifestent tout au long du parcours professionnel, et notamment au moment de l’embauche : un quart des seniors au chômage déclarent qu’on leur a déjà fait comprendre qu’ils étaient trop âgés pour le poste lors d’un entretien d’embauche.
- Au travail, 1 senior sur 2 rapporte avoir connu des relations professionnelles dévalorisantes au cours des cinq dernières années.
Les stéréotypes à l’encontre des seniors restent ancrés : manque de dynamisme, difficultés d’adaptation aux nouvelles technologies ou encore incompatibilité avec des équipes plus jeunes. Ces préjugés sont parfois renforcés par d’autres critères comme l’état de santé, le handicap ou l’origine. Par exemple, les seniors perçus comme étant d’origine étrangère déclarent deux fois plus de discriminations (43 % contre 22 %).
Un avenir professionnel incertain pour les seniors
L’enquête met en lumière un sentiment d’insécurité professionnelle partagé par de nombreux seniors :
- Un tiers des seniors s’inquiètent pour leur avenir professionnel.
- 20 % travaillent dans la crainte de perdre leur emploi, une peur plus marquée dans le secteur privé.
Ces discriminations et inquiétudes ont des répercussions graves, notamment sur la santé mentale, le déclassement professionnel ou encore l’isolement. Plus de la moitié des seniors au chômage (56 %) déclarent avoir déjà postulé à un emploi en dessous de leurs compétences.
Un temps d’échange pour trouver des solutions
La Défenseure des droits, Claire Hédon, et Cyril Cosme, directeur du bureau de l’Organisation internationale du travail pour la France ont rappelé les enjeux et le rôle clé des pouvoirs publics, des employeurs et des organisations syndicales dans la lutte contre les discriminations.
« En mettant l’enjeu de l’âge au cœur de notre baromètre annuel, nous avons voulu rappeler qu’au-delà des dispositifs spécifiques qui peuvent être mis en œuvre au bénéfice des seniors, l’enjeu est de supprimer les discriminations qui frappent ces salariés. » Claire Hédon
Un premier temps d’échange a permis de présenter et mettre en perspective les résultats du baromètre, avec :
- Marielle Chappuis, responsable des études au Défenseur des droits
- Florence Bonnevay, chargée d'étude à la chaire Futurs de l'industrie et du Travail (Mines Paris-PSL)
- Dorothea Schmidt-Klau, directrice de l’emploi, des marchés du travail et de la jeunesse à l’OIT Genève
- George Pau-Langevin, adjointe de la Défenseure des droits chargée de la lutte contre les discriminations.
Dans un deuxième temps, les partenaires sociaux ont pu revenir sur les discussions dans le cadre du « Pacte de la vie au travail » et de l’accord interprofessionnel en faveur de l’emploi des seniors et présenter leurs visions pour mieux lutter contre ces discriminations :
- Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT
- Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT
- Frédéric Souillot, secrétaire général de Force ouvrière (FO)
- Samuel Tual, vice-président et trésorier du Medef
- Anne-Catherine Cudennec, secrétaire nationale Europe, international & droits humains de la CFE-CGC.
Favoriser la formation, l’adaptation des postes et la transmission des savoirs figure parmi les pistes évoquées pour redonner confiance aux seniors dans leur avenir professionnel.
Revoir la présentation en vidéo
Présentation des résultats du 17e baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi
04 décembre 2024
- Claire Hédon : Je vous propose qu’on démarre si ça vous va. Pour remercier tous ceux qui sont à l’heure ! Merci beaucoup. Je vous laisse vous installer, il y en a encore qui sont à l’extérieur, je vous laisse rentrer. On a pas mal de personnes à distance, je leur dis bonjour aussi. Allez-y, rentrez, installez-vous. Il n’y a plus personne dehors. Je vous propose qu’on démarre. Je suis très heureuse d’ouvrir cette 17e édition du baromètre des discriminations dans l’emploi, consacré cette année aux discriminations en raison de l’âge et spécifiquement celles vécues par les seniors, et je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué à ce baromètre, Cyril Cosme et l’Organisation internationale du travail spécifiquement, avec qui nous avons une coopération fructueuse depuis plus de dix ans. Mes remerciements également aux intervenants de cet après-midi dans les différentes tables rondes pour leur disponibilité et l’intérêt que vous portez à cet enjeu de la lutte contre les discriminations dans l’emploi. Mesdames, Messieurs les secrétaires généraux représentants des organisations syndicales, représentants des organisations patronales, du monde de la recherche aussi, avec qui nous avons des liens réguliers. Je veux aussi remercier les équipes de l’institution pour qui c’est chaque année un travail important, en particulier la direction de la promotion de l’égalité et de l’accès aux droits et la direction de la communication. Et merci à vous tous d’être là présents en présence ou à distance. Je sais que vous êtes aussi nombreux à distance. Cette 17e édition du baromètre cible spécifiquement les discriminations auxquelles font face les salariés et agents publics de plus de 50 ans. En mettant cet enjeu de l’âge au cœur de notre baromètre annuel, on a voulu rappeler que, au-delà des divers dispositifs spécifiques qui peuvent être mis en œuvre aux bénéfices des seniors, l’enjeu est de supprimer les discriminations et pas simplement de les diminuer. Le taux d’activité des 55 ans ou plus a quasiment doublé entre 1998 et 2021 pour se stabiliser depuis. Cependant, si le taux d’emploi des 55-59 ans est au-dessus de la moyenne, celui des 60-64 ans reste parmi les plus bas de l’Union européenne. En 2024, les seniors représentent 25% des 30 millions de personnes en âge de travailler, et cette augmentation du nombre de seniors actifs est liée aux évolutions démographiques et aux politiques publiques mises en œuvre en réponse au vieillissement de la population, au recul progressif aussi de l’âge moyen d’entrée dans la vie professionnelle et bien sûr aux effets des différentes réformes des retraites. La place des seniors dans le monde du travail est explorée depuis longtemps sous des angles divers, celui du vieillissement de la population active, sur la redéfinition du monde du travail et des conditions de travail, celui évidemment aussi du maintien des seniors en emploi ou encore des spécificités des situations de chômage des seniors. Les travaux portant sur l’âgisme, c’est-à-dire les représentations sociales négatives liées à l’âge et qui contribuent à déconsidérer les seniors sur le marché du travail et également sur les discriminations des seniors sont plus récentes et méritent d’être davantage mises en avant. Les représentations négatives à l’égard des seniors prennent des formes très diverses : baisse de performance ou de motivation, augmentation des pathologies, inadaptation aux évolutions du monde du travail, notamment aux nouvelles technologies. Elles se traduisent souvent par un clivage dans les collectifs de travail entre les plus jeunes et les plus âgés, des réponses inadaptées de la part d’employeurs, mise à l’écart par exemple, de dispositifs de formation, freins aussi à l’évolution des carrières pouvant engendrer un sentiment d’exclusion et être également source de discrimination. Notre baromètre confirme ces préjugés et montre sans surprise que les plus de 50 ans sont particulièrement touchés par les discriminations lors de l’embauche, dans le quotidien professionnel également et dans la carrière.
Juste quelques chiffres, parce qu’on va revenir plus en détail après sur le baromètre, près d’un quart des seniors déclare avoir vécu des discriminations. Un senior sur deux a connu des relations de travail dévalorisantes au cours de ces cinq dernières années. Et un quart des seniors au chômage déclarent qu’on leur a déjà fait comprendre qu’ils étaient trop âgés pour le poste lors d’un entretien d’embauche. Le baromètre permet également de pointer un sentiment généralisé d’inquiétude des seniors vis-à-vis de leur avenir professionnel, en particulier la crainte de perdre leur emploi. Un tiers des seniors se disent inquiets quant à leur avenir professionnel. Les données tendent à corroborer ces inquiétudes avec le constat d’un risque de chômage de longue durée plus marqué particulièrement pour les demandeurs d’emploi de 60 ans et plus et d’un retrait prématuré du marché du travail. Et en miroir, les employeurs tendent à sous-estimer leur rôle pour lutter contre les stéréotypes âgistes et parfois leur incidence. Les seniors sont nombreux dans l’enquête à souligner l’inaction de leur employeur face à des difficultés exprimées qui auraient pu donner lieu à un aménagement des conditions de travail ou du temps de travail, de manque de propositions de suivi par le médecin du travail et de prévention. Les seniors accèdent moins aux dispositifs de formation professionnelle, y compris d’ailleurs parce qu’ils ne le demandent pas, ne sont pas assez accompagnés vers un changement de poste et aussi vers une reconversion professionnelle. En outre, les mesures déployées, notamment en matière de prévention des risques professionnels, sont considérées comme insuffisantes. Et je tiens à rappeler ici les obligations spécifiques vis-à-vis des salariés âgés qui sont contenues dans le décret du 20 mai 2009, qui semblent insuffisamment considérées, je pense ici à l’anticipation de l’évolution des carrières, à la prévention des situations de pénibilité, à l’accompagnement vers le développement des compétences et des qualifications ou encore à la transmission du savoir, des savoirs, au tutorat et à l’aménagement des fins de carrière. Compte tenu des objectifs de taux d’emploi des seniors en lien avec la réforme des retraites, une vraie réflexion doit donc se tenir sur la pénibilité des emplois qui limite singulièrement le maintien des seniors dans le même emploi. Face à ces résultats qui rendent compte d’un environnement professionnel perçu comme insuffisamment bienveillant, d’une forte inquiétude des seniors quant à leur avenir professionnel et qui attestent des discriminations dont ils sont victimes ou qu’ils craignent de voir advenir, dans l’emploi ou pour accéder à l’emploi, les pouvoirs publics ainsi que les employeurs et employeuses ont une responsabilité centrale, en lien bien sûr avec les organisations syndicales de salariés. Ils doivent se mobiliser, former leurs personnels, réviser leurs process pour corriger et prévenir les discriminations des seniors et nos échanges d’aujourd’hui pourront peut-être permettre d’identifier des dispositifs efficaces et des propositions dont on pourrait s’inspirer. Il est essentiel de restaurer la confiance des seniors dans leur avenir professionnel en favorisant leur maintien dans l’emploi, et votre engagement en tant que partenaires sociaux dans le cadre des négociations interprofessionnelles autour du pacte de la vie au travail marque la volonté de faire de l’emploi des seniors un objectif partagé, il sera d’ailleurs sans nul doute question aujourd’hui du projet d’accord national interprofessionnel du 14 novembre 2024 en faveur de l’emploi des seniors dits expérimentés. Avant de laisser la place à une table ronde, je laisse la parole à Cyril Cosme, directeur du bureau de l’OIT pour la France. Je vous remercie.
- Cyril Cosme : Merci beaucoup Claire. Bonjour à toutes et à tous. Mon premier mot sera moi aussi pour vous remercier de nous accueillir une fois de plus dans vos locaux pour la présentation des résultats de ce 17e baromètre. Et remercier également toutes vos équipes sans lesquelles ce baromètre ne verrait pas le jour et, en particulier, Martin Clément et Julie Voldoire. C’est un très beau partenariat qui nous lie depuis pas mal d’années maintenant et qui aboutit à organiser ce rendez-vous annuel bien identifié et suivi par l’ensemble des acteurs de la lutte contre les discriminations professionnelles. S’agissant de ce baromètre, je voudrais commencer par citer deux de ses mérites qui me semblent particulièrement d’actualité pour cette présente édition. Le premier mérite, c’est le fait d’éclairer le débat public, de fournir aux acteurs du monde du travail, partenaires sociaux et entreprises, des données et des analyses pertinentes. Eclairer aussi sur les voies de recours, les façons de remédier au problème et éclairer aussi sur les façons dont le dialogue social peut se saisir d’un certain nombre de questions ayant trait aux discriminations.
Deuxième mérite que je voulais souligner, c’est le fait de mettre l’accent sur la perception d’un phénomène complexe à mesurer et à restituer, et au cours de ces dernières années, avec les différents motifs que nous avons pu couvrir dans ce baromètre, on a de plus en plus mis en lumière le lien entre les discriminations perçues au sein du monde du travail et les manifestations plus diffuses qu’on qualifie tantôt de malaise, tantôt de mal-être ou de souffrance au travail. Les dernières éditions du baromètre se sont en effet attachées à décrire plus finement les effets des discriminations sur les personnes et leur trajectoire professionnelle, ainsi que leur contribution à la détérioration des collectifs et des environnements de travail. Et je crois que cette édition 2024 du baromètre, en visant les plus de 50 ans, montre de façon encore plus éclatante cette dimension des effets des discriminations en soulignant les conséquences sur ceux qui en sont victimes ou qui redoutent de l’être, puisqu’un des résultats les plus marquants, pour moi en tout cas, de ce baromètre, c’est le fait que près de deux personnes sur trois redoutent d’être discriminées passé le seuil de 50 ans. Avec les discriminations selon l’âge, on est manifestement en présence d’une des causes des difficultés pour rester dans l’emploi passé un certain âge, difficultés qui sont plus prononcées en France qu’ailleurs, et on y reviendra dans les tables rondes. Je voudrais aussi aborder quelques éléments de contexte qu’il faut avoir à l’esprit lorsqu’on traite de la discrimination selon l’âge, en particulier pour les plus de 50 ans. Comme pour l’ensemble des motifs de discrimination, on a évidemment affaire à une question ayant trait aux droits fondamentaux du travail, qui sont clairement identifiés sur le plan national comme sur le plan international. A l’OIT, on a tout ce qu’il faut, si je puis m’exprimer trivialement, avec la Déclaration de 1998 sur les principes et les droits fondamentaux au travail, parmi lesquels l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession. Il existe aussi des conventions internationales maintenant anciennes toutes ratifiées par la France sur l’égalité de rémunération ou concernant la discrimination dans l’emploi et la discrimination professionnelle. Mais la question des discriminations qui touchent les plus de 50 ans a aussi à faire avec un enjeu important des politiques de l’emploi depuis de nombreuses années qui cherchent à réunir les conditions nécessaires pour éviter les cessations précoces d’activité, les exclusions du marché du travail, et maintenir les personnes dans l’emploi. Ce n’est évidemment pas un hasard, si on a choisi de mettre l’accent cette année sur les seniors. Nous avons jugé utile de mieux documenter les discriminations touchant cette catégorie d’âge en relation avec les débats autour de la réforme des retraites l’année dernière et aussi dans le contexte évidemment de la négociation interprofessionnelle qui s’est achevée en France le mois dernier, comme vous l’avez rappelé, Claire Hédon, précisément sur le thème de l’emploi des « salariés expérimentés ». Ce terme exprimant sans doute une volonté claire justement de sortir des qualificatifs peu valorisants qui entretiennent les stéréotypes âgistes, on y reviendra dans la présentation des résultats du baromètre et dans nos débats. Mais je voulais souligner que le sujet est plus ancien qu’on peut le penser. Pour l’histoire du baromètre, on avait dédié une édition à ce thème en 2013, donc il y a un peu plus de dix ans, mais je voulais remonter aux années 70 où, à l’OIT, on a eu des discussions sur les problèmes particuliers auxquels sont confrontés les travailleurs âgés, discussions qui ont abouti à l’adoption de la recommandation 162, et je salue ma collègue Dorothea ici présente, qui reste à ce jour le seul instrument de l’organisation qui porte spécifiquement sur cette catégorie de travailleurs. Depuis cette époque, et pas seulement en France, mais partout dans le monde, le vieillissement démographique s’est accéléré. C’est une dimension très, très importante à souligner aujourd’hui, comme élément de contexte. La proportion de personnes âgées de plus de 55 ans dans la main-d’œuvre dans le monde augmente et continuera d’augmenter dans les années qui viennent. Entre 2020 et 2030, on a une augmentation de cette main-d’œuvre de 2,5% dans les pays en développement, ce qui est modeste, qui est essentiellement due aux tendances dans l’Afrique subsaharienne qui conserve une dynamique démographique très forte, mais ce taux s’élève à 76% dans les pays développés, dans les pays comme la France, et à 80% dans les pays émergents. Et là, on a le poids dans les statistiques de la Chine, évidemment, qui contribue fortement à ce résultat très élevé.
Et d’ici 2050, la population en âge de travailler dans le monde aura commencé à diminuer. Donc, c’est évidemment une donnée majeure pour les politiques de l’emploi qui doivent rendre possible la participation continue aux différents âges de la vie professionnelle, et elle doit jouer sur la formation, la santé au travail, l’aménagement des carrières, mais elle doit aussi intégrer, c’est ce que tend à montrer ce baromètre, la lutte contre les discriminations et faire évoluer nos représentations sur le travail après 50 ans, en luttant précisément contre les préjugés et les stéréotypes âgistes.
Alors, on se place ici sur un terrain compliqué, un peu culturel aussi, mais il faut que ces représentations du monde du travail puissent intégrer toutes les générations et, au passage, ces stéréotypes âgistes jouent également négativement sur l’insertion professionnelle des plus jeunes générations. Tout ce qu’on peut donc souhaiter, c’est que ce baromètre puisse vous conforter, conforter les acteurs publics et sociaux dans le fait d’inscrire la question des discriminations et de la lutte contre les stéréotypes âgistes dans leurs propres stratégies, dans leurs moyens d’action et leur dialogue social. On y reviendra dans les deux tables rondes qui vont suivre. Je vous remercie pour votre attention.
- Marielle Chappuis : Bonjour à tous, Mesdames, Messieurs bonjour, je suis très heureuse de pouvoir vous présenter les résultats de ce 17e baromètre des discriminations dans l’emploi, réalisé en collaboration avec l’Organisation internationale du travail et consacré aux discriminations dans l’emploi en raison de l’âge avancé. Avant de rentrer dans le vif du sujet, je souhaitais vous rappeler très rapidement quelques éléments de contexte. On compte actuellement en France plus de 30 millions de personnes en âge de travailler, dont plus d’un quart ont 50 ans ou plus actuellement. Depuis plusieurs années, on constate une augmentation sensible du taux d’activité des personnes âgées de plus de 50 ans du fait d’évolutions sociétales, mais également de la mise en œuvre de politiques publiques pour répondre aux enjeux du vieillissement de la population. Et toutefois, des études montrent que les seniors sont confrontés aujourd’hui à des difficultés importantes d’accès à l’emploi ou de maintien dans l’emploi. L’institution du Défenseur des Droits est elle-même à ce titre régulièrement saisie pour des discriminations dans l’emploi en raison de l’âge avancé, comme des refus d’embauche, des incitations à partir à la retraite de façon prématurée, des refus d’aménagement de poste ou des difficultés à e maintenir dans son emploi. Donc, la question du maintien dans l’emploi se pose avec plus d’acuité encore aujourd’hui depuis la réforme des retraites de 2023. C’est face à ce constat que le Défenseur des Droits et l’OIT ont décidé de consacrer ce 17e baromètre à la question des seniors. Ce baromètre vise à dresser un panorama des discriminations vécues par les seniors dans l’emploi et entend mesurer la fréquence de ces discriminations en France et leurs conséquences sur le travail et la vie personnelle. Il entend documenter les représentations associées aux seniors au travail, et le rapport de ces derniers à l’emploi, et entend identifier comment les organisations professionnelles aujourd’hui prennent en considération les seniors dans l’organisation du travail. Pour répondre à ces objectifs, nous avons réalisé une enquête par Internet du 8 au 28 avril auprès d’un échantillon représentatif de la population active âgée de 18 à 65 ans. On a donc interrogé 2284 individus. Les personnes ayant déclaré 50 ans ou plus au moment de l’enquête ont été considérées comme seniors. Que nous disent ces résultats ? Quels sont les principaux enseignements à en tirer ? Le premier résultat important concerne la perception des discriminations dans la société, et comme dans les précédents baromètres, on constate aujourd’hui qu’une très large majorité des actifs pensent que des personnes sont souvent discriminées en raison d’au moins un critère prohibé par la loi. Les principaux critères évoqués sont l’état de santé, le handicap, l’origine, l’identité de genre, l’apparence physique et le critère de l’âge arrive en cinquième position. Plus d’un tiers des actifs témoignent avoir été témoins de discrimination dans l’emploi au cours de sa carrière professionnelle. Les seniors semblent moins sensibles aux discriminations que les actifs les plus jeunes, ils déclarent qu’il y a moins souvent de discrimination dans la société. Ce résultat a déjà été observé dans d’autres études et traduit vraisemblablement une forme d’intériorisation des situations d’inégalité que pourraient rencontrer les plus âgés, tandis que les plus jeunes seraient davantage sensibilisés à ces questions ou auraient des attentes plus élevées en matière de respect de l’égalité, ce qui pourrait expliquer ce résultat. En matière de vécu, ce qu’on constate, c’est que l’enquête révèle que près d’une personne active sur trois déclare avoir personnellement fait l’objet de discriminations. Si les seniors déclarent moins de situations de discrimination que les plus jeunes, ils sont toutefois un quart à déclarer avoir été victimes de discrimination dans le cadre de leur activité professionnelle. Ces derniers citent principalement et ce de manière significativement plus fréquente que les jeunes le critère de l’âge avancé et de l’état de santé.
Par ailleurs, la moitié des seniors a déclaré des relations de travail dévalorisantes ces cinq dernières années, comme une sous-estimation des compétences, ou le fait de se voir confier des tâches perçues comme inutiles, ingrates ou dévalorisantes. Ce baromètre met en évidence un phénomène de cumul de facteurs de vulnérabilité, en effet, les difficultés en lien avec l’âge peuvent se cumuler avec d’autres facteurs de discrimination, par exemple, la fréquence de discrimination est plus élevée chez les femmes que les hommes, les seniors perçus comme non-blancs également déclarent deux fois plus que ceux perçus comme blancs. Les seniors déclarant un mauvais état de santé ou étant en situation d’aidance déclarent significativement plus de discriminations. Les seniors ayant déclaré des situations économiques précaires rapportent également être davantage discriminés. Les circonstances des discriminations sont légèrement différentes entre les seniors et les plus jeunes. Les plus jeunes en effet rapportent davantage de discriminations au moment d’une demande d’augmentation, de changement de statut, d’une demande de mutation ou d’un retour de congé longue durée, donc à des moments clés, alors que les seniors citent plus souvent des discriminations dans leur travail au quotidien.
Ce résultat peut peut-être être rapproché du sentiment de plafond d’âge évoqué par certains chercheurs dans d’autres travaux, qui renvoie au fait que les seniors souffriraient davantage de l’absence de possibilité de progression au fil de leur carrière. Autre résultat important, un tiers des seniors déclare avoir vécu une rupture professionnelle au cours des 5 dernières années précédant l’enquête (licenciement, rupture conventionnelle)… Et parmi eux, un quart impute cette rupture à leur âge. En ce qui concerne les difficultés de retour en emploi, il convient de souligner que, parmi les seniors au chômage, 8/10 sont en recherche d’emploi depuis plus d’un an et près de la moitié depuis plus de trois ans, des périodes d’inactivité bien supérieures à la moyenne nationale. De même, parmi les seniors au chômage, un quart indique qu’on leur a déjà dit ou fait comprendre qu’ils étaient trop âgés pour le poste lors d’un entretien d’embauche. Ces données pointent les difficultés de retour à l’emploi des seniors, qui ont également des conséquences importantes en matière de déclassement professionnel et social, puisque, d’après notre enquête, plus de la moitié des seniors au chômage ont déclaré avoir déjà postulé à un emploi en dessous de leurs compétences. Et un quart s’est déjà interdit de candidater à des offres d’emploi qui correspondaient à leurs compétences en raison de leur âge. Les personnes qui ont déjà fait l’expérience de discrimination dans l’emploi ou qui déclarent un mauvais état de santé se censurent encore plus que les autres.
Alors, quelles sont les conséquences de ces discriminations sur les conditions de travail et sur la santé des personnes concernées ? L’étude révèle que ces évènements restent rarement sans conséquence puisque seuls 18% des victimes ont déclaré que l’événement n’avait eu aucune incidence sur leur vie professionnelle, mais plus de 20% des victimes de discrimination ont démissionné ou négocié leur licenciement à la suite de l’événement, 16% ont été licenciés ou non renouvelés et 20% ont déclaré que leurs conditions de travail ont été dégradées ou ont décidé de se réorienter professionnellement. Les discriminations ont également des répercussions durables et importantes sur la santé mentale des personnes puisque 71% des victimes reconnaissent avoir traversé une période où leur santé s’est dégradée suite à cet événement. Deux tiers ont également déclaré ne plus avoir envie d’aller travailler ou avoir peur d’aller travailler suite à cet événement.
En matière de recours, l’étude révèle encore une fois, c’est un résultat qu’on avait déjà observé, un très faible recours en cas de discrimination, et ce sans distinction selon l’âge. Près d’un tiers des victimes de discrimination n’ont rien dit à la suite des faits.
Ce non-recours s’explique notamment par le fait que les victimes pensent dans une grande majorité des cas que cela n’aurait rien changé. Plus d’un tiers déclare ne pas savoir quoi faire et un quart craint des représailles. Parmi ceux qui dénoncent les faits, la plupart se tournent pour une grande majorité vers leur entourage personnel ou professionnel, et seuls 15% déclarent avoir engagé une procédure contentieuse, un sur 10 avoir contacté l’inspection du travail, un avocat, une association ou le Défenseur des Droits. Les seniors se tournent quand même significativement plus vers les représentants du personnel ou un syndicat que les plus jeunes.
Alors, les discriminations subies par les seniors s’expliquent en partie par les stéréotypes et représentations attachés à l’âge, comme évoqué tout à l’heure, qui restent très prégnants dans le monde professionnel. Ainsi, nombre de personnes anticipent une baisse de performance ou de motivation avec l’âge des salariés approchant de la retraite, des préjugés partagés par les employeurs comme par les salariés eux-mêmes selon les différents travaux menés jusqu’à présent. Ces constats sont largement confirmés par nos enquêtes. Si deux tiers de la population active considèrent que les seniors sont davantage investis ou efficaces dans leur travail que les jeunes, nombreux sont ceux malheureusement qui adhèrent à des stéréotypes âgistes négatifs. Cinq actifs sur dix considèrent ainsi que les seniors sont dépassés par les nouvelles technologies, quatre sur dix considèrent qu’ils ont une santé fragile, qu’ils sont plus difficiles à intégrer au sein d’équipes plus jeunes ou qu’ils coûtent cher aux entreprises et trois sur dix pensent qu’ils manquent de dynamisme. Les préjugés négatifs sont davantage véhiculés par les plus jeunes, ce sont les traits en rouge et en gris sur le graphique que par les plus âgés (les lignes jaunes).
Quel est le rapport au travail des seniors et comment les organisations professionnelles prennent en considération les seniors dans l’organisation du travail ?
Les résultats du baromètre mettent en évidence une ambivalence des seniors entre engagement professionnel et détachement dans leur rapport au travail. En effet, moins d’un tiers des seniors se dit davantage investi dans son activité professionnelle qu’en début de carrière. La moitié déclare que le travail n’est plus sa priorité ou évoque une baisse d’énergie dans le travail. Un tiers évoque également des difficultés de concentration ou d’intégration dans le collectif de travail. Il convient de noter que les seniors ayant des fonctions d’encadrement semblent néanmoins moins affectés par leur âge que les autres. Autre résultat important à mettre en lumière : près d’un tiers des seniors se disent inquiets quant à leur avenir professionnel et un sur cinq déclare travailler avec la peur de perdre son emploi. Le fait de déclarer des conditions de travail pénibles, d’être exposé à des risques psychosociaux ou de déclarer un mauvais état de santé participent à une plus grande inquiétude encore. Ces résultats font également écho à la crainte d’être discriminé en raison de leur âge. C’est le cas de deux tiers des seniors interrogés. Cette crainte augmente au fur et à mesure de l’avancée en âge. Cette crainte est également beaucoup plus fréquente chez les femmes, ainsi que chez les actifs qui déclarent des problèmes de santé, qui connaissent une situation économique difficile ou ceux ayant des conditions de travail pénibles. On constate enfin que les salariés du public semblent moins concernés par ces craintes que ceux du privé, ce qui peut attester d’un possible effet protecteur du statut d’emploi.
Il convient de rappeler également que, parmi les seniors, près de quatre sur dix déclarent avoir une santé moyenne, voire mauvaise, et près d’un tiers des problèmes de santé durables. Ces résultats interrogent bien évidemment sur la capacité à se maintenir dans son emploi en cas d’état de santé altéré.
Parmi les seniors qui ont déclaré ressentir des difficultés au travail, comme un manque d’énergie, un manque d’investissement, des difficultés de concentration, seuls quatre sur dix disent avoir eu l’occasion d’en parler avec leur employeur. Parmi eux, seul un sur deux considère que ce dernier a été à l’écoute. Parmi les personnes qui, elles, n’ont pas évoqué ces difficultés, un quart indique avoir eu peur d’un changement d’attitude de l’employeur et un quart craint des répercussions sur le poste en cas d’évocation de ces difficultés.
A noter que, parmi les salariés qui ont évoqué avec leur employeur des difficultés au travail, seuls un peu plus d’un quart se sont vu proposer un aménagement des conditions ou du temps de travail, moins de 10% ont obtenu une proposition de suivi par un médecin de prévention ou une reconversion professionnelle, 7% se sont vu proposer une rupture conventionnelle. Pour près de trois seniors sur dix, aucune proposition n’a été envisagée à l’issue de la révélation par le salarié de ses difficultés.
Interrogés sur les mesures qui permettraient de faciliter le maintien dans l'emploi des seniors, les actifs évoquent les dispositifs permettant une retraite progressive avec maintien des cotisations et le développement de l’aménagement du temps de travail.
Les autres mesures comme la généralisation du compte épargne temps ou la formation sont peu plébiscitées. Ce résultat est sans doute à mettre en lien avec les études indiquant que les seniors sont peu demandeurs de formations et que les chances d’accéder à une formation professionnelle tend à diminuer avec l’âge des salariés.
Donc, ces résultats montrent la persistance des discriminations et des difficultés importantes auxquelles les seniors sont exposés dans l’accès et dans le maintien dans l’emploi, avec des conséquences importantes et durables sur leur vie professionnelle et personnelle. Ils soulignent la nécessité pour les pouvoirs publics et l’ensemble des acteurs concernés de s’engager pleinement dans la lutte contre les discriminations liées à l’avancée en âge. Avant de laisser la parole, je tiens juste à remercier les personnes qui ont contribué à la réalisation de ce baromètre, Frédéric Dupuis et Cyril Cosme et Laetitia Langlois, Cécile Marcel, Martin Clément, toute l’équipe de la direction de la communication qui a organisé cet événement que je vous souhaite fructueux. Merci pour votre écoute.
- Madame Florence Bonnevay, maintenant, je pense.
- Florence Bonnevay : Bonjour à tous. Je suis ravie d’être parmi vous aujourd’hui. Je suis chargée d’étude à la chaire futur de l’industrie et du travail à l’école des Mines et je suis consultante dans une entité, Expérience +, qui s’occupe justement de l’emploi des seniors. Ce dont je vais vous parler aujourd’hui, c’est ce que vous savez tous, c’est que l’âgisme est la dernière discrimination qui est vraiment tolérée. C’est vraiment patent tel que le montre votre étude. Ça se voit dans la vie de tous les jours. Il va falloir un changement des représentations et considérer que les seniors ne sont pas une catégorie homogène et qu’à force de mettre les gens dans des boîtes, on risque de créer de fait une discrimination rien que par ça. Je vous proposerai ensuite de voir comment on peut s’adapter à la variété des attentes. Je vais me permettre de mettre un petit chronomètre pour être sûre que, quelque part, on va y arriver, à tenir le temps. Voilà.
Si je vous dis : vu les attentes des clients, je préfère un homme blanc hétérosexuel catholique avec une bonne présentation, ça, vous allez me dire que ce n’est pas tolérable. C’est vrai qu’on n’a pas le droit de dire ça. Mais si je dis : la candidate n’est-elle pas un peu âgée compte tenu des contraintes du poste ? Ça, c’est complètement tolérable malheureusement. Pour moi, c’est intolérable, mais de fait, c’est le sens commun. On a fait un atelier d’écoute des seniors et des managers et un manager a dit : le DG m’a dit qu’il ne voulait pas voir notre collaboratrice senior lors de cet événement, il a simplement dit : « la mémé, je ne veux pas la voir », parce que c’était un événement de communication, et en plus, cette dame remplaçait quelqu’un de jeune et donnait un coup de main… Et le manager m’a dit : maintenant, quand j’y repense, je me sens très en colère. Pourtant, c’est tellement dans les mots ! C’est devenu dans les mots des seniors eux-mêmes. Ce qui m’a intéressé dans votre baromètre, c’est que finalement, le senior lui-même finit par penser que c’est normal. Et un quart des candidats ne candidatent pas à un job en fonction de l’âge parce qu’ils ne vont pas être pris. J’ai souvenir des gens que j’accompagne qui me disent : j’ai envoyé mon CV, on m’a dit que j’allais avoir rendez-vous, et quand on a vu mon âge, on m’a dit non. Ou un chasseur de tête qui m’a dit : un commercial, c’est 54 ans, un directeur financier, c’est 57 ans… Ça fait très mal. Avec ce genre de représentations, on ne va pas y arriver. Et seulement un tiers des victimes de discrimination ont engagé une démarche, je me dis que certains se disent que ce n’est juste pas audible, et si ce n’est pas audible, c’est quand même un vrai problème que se dire que cette discrimination-là, on l’accepte et que c’est normal. Ça va donc façonner nos représentations sur le sujet. Ça va façonner nos représentations et il va falloir les transformer, ces fameuses représentations.
C’est essentiel de les transformer profondément et c’est la culture du travail qu’il faut transformer. Ce petit dessin-là, il dit : encore 100 millions d’années ? Désolé, ça ne va pas être possible. Le monsieur qui a dessiné ça, il a travaillé dans la finance et aujourd’hui, il est graphiste. Il parle de lui et de nous. « Dino, il t’arrive quoi ? » « Plein de choses : il faut que tu changes de lunettes et que tu changes de lunettes sur toi parce que le monde a changé ». Les compétences techniques vont avoir une durée de vie de deux ans, contre vingt ans en 87, selon l’OCDE, donc, on est tous obsolètes. Imaginez que, si vous avez 57 ans… Quand vous en aviez 47, on pensait qu’on allait vous virer dans le plan social. Vous êtes devenu invisible. Peut-être que ça faisait mal à 47 ans, mais dix ans après, ça fait très, très mal. Les effets qu’on a aujourd’hui sont les fruits des politiques qu’on a mises en place il y a un certain nombre d’années. Je voudrais saluer Mme Guillemard qui est dans la salle qui était précurseur de ces analyses. Elle nous dit que les effets normatifs et cognitifs de ces politiques de préretraite et de mesure d’âge ont construit une culture de sortie précoce du marché du travail partagée par tous les acteurs du marché.
Il faut changer cette donne, c’est pour ça que les chasseurs de tête disent : à 57 ans, ce n’est pas la peine, c’est pour ça que nous-mêmes, potentiellement, on se dit : mais ce n’est même pas la peine de candidater, parce que les vieux, on n’en veut pas. Il faut changer cette culture-là parce qu’on a inactivé les seniors, plus dans notre pays que dans les autres. La formation, c’est essentiel à tous les âges de la vie. C’est intéressant, à 45 ans, ça baisse. Et moins vous êtes qualifié, plus ça baisse, donc plus c’est grave. Première chose.
Deuxième chose importante : si on doit bosser pendant longtemps, on se rappelle que l’étude de refonte sur les conditions de travail nous positionne comme lanterne rouge, on n’y a pas trop travaillé, à l’usure et à la pénibilité. Ça serait intéressant de pouvoir changer en milieu de carrière. C’est dans les métiers les plus pénibles qu’on ne va pas jusqu’au bout. C’est ce qui se passe dans l’accord en disant : entretien de seconde partie de carrière. C’est une façon de voir les choses quand même assez différente.
Il y a une autre représentation qu’il faut déconstruire, c’est que le parcours de carrière, c’est de gravir les échelons petit à petit pour devenir chef. Si on ne propose pas un job de chef… Mais il y a combien de chefs pour tous les collaborateurs ? Mais aujourd’hui, c’est plus pyramidal, il y a plein d’opportunités de s’épanouir, mais pour ça, il faudrait être reconnu. Des entreprises ont mis en place des filières experts, projet, qui donnent l’opportunité de reconnaître les autres dans autre chose que le management. C’est un problème, le fait d’avoir un modèle où il faut monter pour que ça fonctionne. Autre chose, c’est la représentation traditionnelle d’une vie en trois étapes : la formation, la carrière et la retraite. Aujourd’hui, la vie, c’est très différent, on peut s’arrêter en cours de route, se former, partir faire le tour du monde. Chacun a une trajectoire de vie qui va être différente. Il faut donc que l’entreprise s’adapte à ça et considère ça. Quand je disais, tout à l’heure, qu’il ne faut pas mettre les gens dans une case, je pense que la première discrimination, c’est de mettre les gens dans une case, quelle qu’elle soit, qu’on soit jeune ou vieux, si on est considéré comme un modèle, on est déjà enfermé. Donc, il faut apprendre, nous, les individus, à nous libérer, il faut apprendre, la société, les entreprises, à libérer les gens de ce cadre-là. Et comprendre que, finalement, les attentes vont être différentes et elles vont être franchement de tous ordres. Les seniors ne sont pas une catégorie homogène. Il y en a peut-être qui sont fatigués et usés. Ça, c’est sûr. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Il y a une étude très intéressante du CEREQ de 2023 qui nous demande comment les seniors envisagent-ils leur avenir professionnel jusqu’à la retraite? En fait, ils nous disent qu’il y a quatre types de seniors. Il y en a 22 qui veulent avoir une progression en interne, 30 qui souhaitent monter en compétences, 18 qui voudraient se reconvertir. Il y en a qui veulent aller vers la retraite, c’est le reste. Ça fait quatre catégories. On pourrait dire : il y a ceux qui veulent continuer, progresser en interne. Il y a ceux qui veulent partir dans de bonnes conditions, peut-être avoir un emploi aménagé, un temps partiel senior, peut-être même que certains voudraient accélérer leur carrière. Schneider Electric a créé quatre persona : je veux continuer, je veux transmettre, je veux ralentir, mais pourquoi pas aussi : je veux accélérer ? J’ai élevé mes enfants, je suis une femme, je n’ai plus personne à la maison, je suis célibataire, je veux y aller… Et pourquoi pas ? Pourquoi ce serait choquant d’accélérer ? Comment on déconstruit ces stéréotypes ? Ils ont fait cette communication pour permettre de changer les choses et de dire que c’est OK d’avoir des aspirations différentes. Les jeunes aussi ont des aspirations différentes. Ce qui est essentiel, c’est de se dire qu’il faut avoir des propositions de valeur correspondant à ces aspirations de flexibilité du travail, dans le travail, télétravail. On se rend compte que, dans l’engagement des personnes, la flexibilité, c’est essentiel.
Peut-être que dans l’aidance, j’ai besoin d’aller aider mes parents, mais peut-être que je serai prête à travailler à d’autres moments. Peut-être que, si je suis vieux, pour moi, c’est OK de bosser le soir. Comment on réinvente un modèle d’entreprise où on prend en compte cette flexibilité du salarié ? Peut-être aussi la flexibilité de l’entreprise, qui a des besoins de flexibilité, pour autant qu’on ne soit pas dans un moins-disant social, attention.
Mais il faut rechanger ce modèle-là. Or, notre regard est parfois un peu trop rigide. En créant cette catégorie seniors qu’on va enfermer dans : est-ce que ce sont les plus de 55 ? Les plus de 50 ? Ça dépend des critères… On est en train d’oublier qu’on parle d’un parcours de carrière, de personnes et que l’individu doit y trouver aussi son compte. Il y a ceux qui veulent s’engager au service de la société, il faudrait peut-être les aider, parce que dire qu’à la retraite, on éteint la lumière, est-ce que c’est la bonne solution ? Je n’en suis pas tout à fait sûre.
Quand on a regardé tout ça, finalement, on se dit que l’objectif serait peut-être de trouver des solutions pour ne pas discriminer, mais pour personnaliser. Ça veut dire quoi ? D’abord écouter les gens, comprendre ce dont ils ont besoin. Chaque entreprise est différente. Quel est le contexte ? Qu’est-ce qui se joue chez moi ? Suis-je en croissance ou en décroissance ? Ecoutons les gens. Communiquons et sensibilisons sur le fait qu’il y a des rôles modèles seniors qui font autrement, qu’il y a des réussites, que c’est important. C’est essentiel, pour changer la donne, de communiquer. Et il faut former les gens, peut-être particulièrement en fin de carrière s’il y a eu un retard, parce qu’ils ne sont pas forcément moins numériques que les autres, les seniors, peut-être que, quand ils s’en servent, ils s’en servent bien. Certains seraient en tout cas plus numériques, il faut leur donner les mêmes sens et à tous, seniors ou pas. Il faut gérer la santé et l’usure. On a parlé de la pénibilité, mais l’usure, c’est aussi les sujets de réorientation. Il faut organiser la flexibilité tout au long de la carrière, les flexibilités des uns n’étant pas celles des autres, il y a sûrement des choses à faire. Et accompagner les gens à la retraite. Il y a une vie derrière. Le fait de dire que ça s’éteint, c’est terrible pour les gens. Et à la fin, il faut mesurer, parce que ce qui ne se mesure pas n’existe pas. Et je voudrais saluer une initiative de la Fédération Seniors Force Plus, qui a mis en place le senior score. C’est presque comme un nutriscore des entreprises pour regarder ce qui se passe pour les seniors. C’est plus que l’index senior. Cette fédération a donc mis ça en place. C’est très intéressant de regarder ce qui se passe. On peut avoir des tas de représentations et peut-être que ça va mieux que ce qu’on croit. J’ai la conviction que le plus essentiel, c’est de mesurer ce qui se passe, en plus de tout ce que je vous ai dit. Merci de votre attention.
- Madame Dorothea Schmidt-Klau, directrice de l’emploi, du marché du travail et de la jeunesse à l’OIT.
- Dorothea Schmidt-Klau : Tout d’abord, merci beaucoup pour l’invitation de parler aujourd’hui pour vous donner un peu de la perspective globale de l’OIT sur ce sujet très important, qui est : les discriminations des seniors dans l’emploi.
Tout d’abord, excusez toutes mes fautes en français, votre langue magnifique ! Mais pas ma langue maternelle. Et, malheureusement, elle est trop difficile à apprendre parfaitement. Désolée si je fais des fautes.
Je vais vraiment commencer avec une question : pourquoi ce type d’analyse qu’on discute aujourd’hui est-il important ?
Tout d’abord, c’est parce qu’aucune discrimination n’est acceptable. Mais il y a aussi d’autres raisons : c’est parce qu’un enfant né aujourd’hui en Europe a 50% de chances d’atteindre cent ans et plus et il y a moins d’enfants en parallèle.
Imaginez : tous les enfants nés aujourd’hui vont avoir cent ans dans cent ans. Ça change les difficultés complètement et ça change complètement les marchés du travail. Il y a une énorme pression sur les systèmes de protection sociale, il manque de main-d’œuvre qualifiée. Il y a une augmentation de la pauvreté entre les seniors, mais aussi, comme on l’a entendu déjà, il y a de nouveaux modèles de vie. Qu’est-ce qu’on fait ?
Il y a beaucoup de solutions, mais une des solutions qui est très importante, c’est de laisser les personnes âgées désireuses de participer au marché du travail de le faire et essayer de motiver le plus grand nombre à travailler. Ce qui est super important à ce moment-là, c’est qu’on ne parle pas de forcer les seniors à travailler, on parle de leur donner des opportunités d’utiliser leur potentiel et de participer au marché du travail quand c’est quelque chose qu’ils veulent et, quand ils participent, leur donner des opportunités décentes pour qu’ils puissent vraiment utiliser leur potentiel.
Si on parle de potentiel, là, j’ai mis quelques pays au hasard. Ce n’est pas systématiquement. C’est pour montrer deux choses. D’abord, ça montre que le taux d’activité a changé entre-temps. Beaucoup changé.
Et en même temps, ça montre qu’il y a des différences énormes entre les pays. Il y a des pays maintenant qui ont un taux de participation de groupes d’âges de 45 à 55 de presque 80% et il y en a d’autres où il y a 50-60%. Par exemple, en Suède, je n’ai pas mis la Suède là, mais on a un taux de participation de ce groupe d’âges de 90%. C’est plus haut que pour les autres âges, si on regarde bien. Souvent, les gens disent que c’est le résultat du système de protection sociale. Non, ce n’est pas le cas. La Suède a une protection très bien pour les âgés. C’est une question de beaucoup d’autres choses, mais c’est aussi une question de politiques sur place, des politiques de l’emploi et du marché du travail. Ça fait la différence entre les taux de participation qu’on voit ici.
Mais c’est aussi l’existence de l’âgisme. Il y a beaucoup de gens qui ne veulent pas travailler quand ils sont plus âgés parce qu’ils ne se sentent pas bien quand ils travaillent.
Et pourquoi ils ne se sentent pas bien ? C’est parce qu’il y a beaucoup de perceptions fausses et je vais parler de quelques perceptions fausses qui sont les plus courantes. Ça, c’en est quelques-unes sur lesquelles l’OIT a travaillé. Le premier, c’est : les personnes âgées sont moins productives. Non. C’est le cas pour quelques occupations, mais ce n’est pas le cas en général parce qu’elles profitent de leur expérience.
Ou : les personnes âgées ne peuvent pas acquérir de nouvelles compétences. Absolument faux. Mais il doit y avoir un parcours d’apprentissage sans interruption.
Tout le monde est capable d’apprendre pendant toute la vie. Mais quand on arrête d’apprendre, on perd la capacité d’apprendre. C’est pour ça que le concept de life long learning, c’est-à-dire d’apprendre tout au long de la vie, est très important, spécifiquement dans des sociétés âgées.
Les personnes âgées ne sont pas douées pour ouvrir une entreprise. Ça, c’est absolument faux.
Les entreprises qui sont ouvertes par des seniors ont beaucoup plus de succès que les entreprises ouvertes par les jeunes. Et en plus, ils créent beaucoup plus d’emplois que les entreprises des jeunes.
Et ça, c’est le résultat de la capacité des vieilles personnes d’évaluer les risques. Elles ont de meilleures ressources et profitent de leurs connaissances techniques.
Finalement, les personnes âgées ne veulent pas travailler. Faux ! Elles travaillent si les conditions de travail sont réunies. Ça veut dire, on en a déjà entendu parler, qu’elles préfèrent un travail à temps partiel, elles ont besoin d’avoir du respect, et pour les seniors, très souvent, c’est plus important que le salaire. Elles veulent avoir un peu de flexibilité du travail et, le plus important, ne pas travailler quand il y a de l’âgisme.
C’est quoi, le résumé et les perspectives ? Le vieillissement est l’un des plus grands défis. Il a un impact sur le marché du travail, mais les marchés du travail ont aussi le potentiel de contribuer à résoudre le problème.
Il faut changer au niveau national, accroître la prise de conscience que la discrimination fondée sur l’âge est un obstacle. Il faut changer les politiques, les politiques d’emploi, les politiques du marché du travail. Il faut aussi changer les attitudes au niveau des sociétés, au niveau des travailleurs et au niveau des employeurs.
Et il faut changer les institutions. Par exemple, les institutions de dialogue social. Le dialogue social doit mieux prendre en compte les problèmes des seniors, mais aussi les services d’emploi. Et juste une chose qui est très importante : les politiques actives de l’emploi pour les seniors sont beaucoup plus efficaces que pour les jeunes. Mais les investissements dans ces politiques-là sont beaucoup moindres que pour les jeunes. Et ça, c’est quelque chose qui n’est pas explicable. C’est très important : on ne veut pas jouer les jeunes contre les plus âgés, mais il faut vraiment voir ce qui marche bien et où l’investissement, dans les politiques, est bien et où ça ne marche pas.
Au niveau international, un droit de l’Homme protégeant les personnes âgées est en train d’être réalisé. Ça va prendre encore un peu plus de temps. Mais là, il y a une grande réflexion sur les problèmes d’âgisme sur les marchés du travail, l’âgisme en général, mais en lien avec les marchés du travail, et on espère que ce droit de l’Homme va changer la situation pour les seniors en général, mais aussi pour les seniors qui travaillent.
Au sein de l’OIT, nous sommes en train de discuter une nouvelle norme internationale du travail sur la nécessité d’une solidarité intergénérationnelle. Comme Cyril l’a déjà dit, on a beaucoup de normes internationales en place, mais on a vu que la situation a changé un peu. Il faut vraiment trouver des solutions, trouver un cadre international dans lequel les droits des personnes âgées sont mieux respectés et où on est sûr qu’on discute toutes ces choses-là pas seulement avec les personnes âgées, mais aussi avec les jeunes. Et on définit les responsabilités et les solutions pour les jeunes et pour les âgés en même temps.
Avant de vous dire merci, je voulais vraiment féliciter les auteurs de l’étude. Ça, c’est une étude qui n’est pas seulement très intéressante, mais elle donne aussi une perspective importante. Elle est absolument nécessaire. Et je vais essayer, dans mon travail, de motiver d’autres pays à utiliser la méthodologie et de faire des études comme celle-là, pas seulement dans des pays qui sont développés, mais aussi qui sont en développement, parce que même là, c’est un fait que les sociétés sont en train de vieillir. Merci beaucoup pour votre attention. Et encore une fois, désolée pour les fautes !
- George Pau-Langevin : A mon tour.
Moi, je m’appelle George Pau-Langevin, je suis adjointe à la Défenseure chargée plutôt des questions de discrimination et d’égalité.
Avant toute chose, je voulais remercier nos deux intervenantes, Madame Florence Bonnevay et Madame Dorothea Schmidt-Klau, pour la richesse de leurs éclairages distincts et complémentaires concernant ce 17e baromètre. Leurs interventions confortent un constat partagé : les salariés de plus de 50 ans sont particulièrement exposés à un risque de stigmatisation, d’isolement, de discrimination et de déclassement professionnel dans l’emploi. Et traiter de cet enjeu est absolument nécessaire au regard du vieillissement de la population active dans les sociétés européennes.
Les réclamations qui sont adressées au Défenseur des Droits liées à l’âge corroborent également les résultats de ce baromètre.
En 2023, les saisines traitées par le Défenseur des Droits pour des situations de discrimination liées à l’âge concernent principalement le domaine de l’emploi et les plus de 50 ans sont particulièrement touchés par des discriminations à l’embauche, dans le quotidien professionnel, mais aussi dans la carrière.
Permettez-moi d’évoquer deux exemples récents de décisions que nous avons eu à instruire.
Le premier concerne un refus d’embauche discriminatoire dans le cadre d’un cumul emploi -retraite fondé sur l’âge. La réclamante, qui avait occupé durant plus de 20 ans un emploi de conseillère de vente au sein d’une société, a demandé à bénéficier de ses droits à la retraite et, en même temps, elle a demandé un cumul emploi-retraite à temps partiel à raison de deux jours par semaine au sein de la même société. On lui a refusé. L’instruction que nous avons menée a permis de constater que ce refus de la réembaucher dans le cadre d’un cumul emploi-retraite était fondé sur son âge et était par conséquent discriminatoire. L’analyse du registre unique du personnel a fait par exemple ressortir qu’au moment de l’embauche, la moyenne d’âge des employés recrutés à temps partiel au poste de conseiller de vente était de 22 ans. Les propos du représentant de la société mise en cause selon lesquels la société n’embauchait jamais de salarié de l’âge de la réclamante, ça montre qu’il avait bonne conscience en disant et en faisant cela, propos qui ont été qualifiés d’aveux judiciaires par le conseil des prud’hommes, qui sont venus confirmer cette discrimination. Le second exemple de décision illustre le cas d’une réclamante qui se plaignait d’avoir été écartée d’une promotion en produisant à l’appui un compte rendu établi par un représentant du personnel à la CAP selon lequel le fait d’avoir plus de soixante ans constituait un des critères de rejet d’une candidature. En réponse, le rectorat n’avait pas démenti que l’âge était un critère d’élimination d’une candidature. Et effectivement, l’examen des candidatures du Défenseur des Droits dans le cadre de son enquête a fait ressortir que tous les dossiers des candidats ayant atteint l’âge de 60 ans avaient été éliminés de la sélection. Nous avons donc conclu à une discrimination en raison de l’âge.
Une lecture complémentaire, deux conclusions issues du baromètre : d’abord, le poids de l’âgisme sur les perceptions des discriminations par les seniors eux-mêmes. C’est intéressant, finalement, on intériorise le critère en question, et c’est vrai que les seniors peuvent être fréquemment confrontés, dans le travail, à des attitudes dites âgistes qui alimentent un sentiment de dévalorisation, de sous-estimation de leurs compétences ou encore alimentent leur relégation à la réalisation de tâches perçues comme inutiles ou ingrates. On comprend, à travers le baromètre, que l’âgisme est susceptible d’accentuer les risques psychosociaux dans l’emploi, mais aussi de nourrir l’inquiétude d’être discriminé dans l’emploi en raison de son âge, car il existe bien chez les seniors une crainte importante d’être discriminés en raison de l’âge. Selon notre baromètre, cette perception s’aggrave notamment lorsque la pénibilité du travail est accrue, c’est un peu ce qui a été rappelé tout à l’heure.
Par ailleurs, on note une autocensure des seniors et un manque d’accompagnement par l’employeur.
Les seniors sont également nombreux à souligner que leur horizon d’emploi est limité, notamment parce qu’ils n’accèdent plus aux dispositifs de formation, qu’ils sollicitent d’ailleurs de moins en moins, plus leur carrière avance. De la même manière, ils sont trop souvent considérés comme n’étant plus à même de réaliser une mobilité professionnelle. Dès lors ils ne sont pas accompagnés vers un changement de poste ou une reconversion professionnelle. Pourtant, il est reconnu que la mobilité professionnelle améliore la soutenabilité du travail.
En complément de ces résultats marquants, vous avez, Mesdames, apporté un autre regard qui nous a permis de faire un pas de côté via, d’une part, les analyses des propos des employeurs, et non plus uniquement des salariés, ou encore les pratiques mises en place dans les administrations et les entreprises en France, et les comparaisons internationales et les recommandations de l’OIT. Vos présentations sont de nature à alimenter nos débats sur les bonnes pratiques à l’égard des seniors, autant que sur les politiques publiques à conduire, à ouvrir le champ des possibles afin d’améliorer leur carrière. Je dois dire que, l’an dernier, quand nous avions travaillé dans le baromètre sur la question des maladies chroniques, on avait déjà vu que c’était un petit peu ça qui se passait, c’est-à-dire qu’au lieu d’aider le salarié à surmonter ses difficultés, on le poussait plutôt gentiment vers la sortie.
C’est vrai que nous avons donc à réfléchir sur les bonnes pratiques à réaliser. C’est vrai que ce que nous avons à affronter, c’est un contexte dans lequel tout cela se passe. C’est-à-dire que nous devons aller à l’encontre d’un déni collectif sur ce sujet des discriminations à l’encontre des seniors dans l’emploi. Les effets du vieillissement des actifs, en dépit de leur prévisibilité, sont encore, on l’a dit, trop souvent ignorés par les différents acteurs de l’entreprise : la direction, les ressources humaines, les managers de proximité, les représentants du personnel et les collègues. Tout le monde aborde assez difficilement avec les principaux intéressés l’organisation de leur seconde partie de carrière, les départs en retraite, et surtout l’aménagement nécessaire du poste de travail. Or, les pouvoirs publics et les organisations publiques ou privées sont confrontées aujourd’hui à des défis majeurs, notamment la nécessaire prise en considération de l’âge et des carrières des seniors, que ce soit dans l’accès à l’emploi, à la formation tout au long de la vie professionnelle ou pendant le déroulement de carrière. Autre défi, celui de la prévention des discriminations liées à l’âge, mais aussi quand d’autres critères s’y joignent comme l’origine, la vulnérabilité économique, l’état de santé… En ce qui concerne la prévention des discriminations envers les seniors, ont été évoqués dans vos interventions les dispositifs qui fonctionnent dont les acteurs pourraient s’inspirer. Cette politique de prévention doit permettre de donner aux cadres, aux services des ressources humaines, aux représentants du personnel et à l’ensemble du personnel encadrant, la capacité d’identifier des situations de mal-être au travail et de discrimination à la fois pour les prévenir et pour savoir comment y faire face. Au regard des résultats de l’enquête, il apparaît important de créer des conditions favorables à l’expression des besoins exprimés par les salariés ou agents, mais qu’ils estiment insuffisamment suivis d’effets, et permettre ainsi une réponse appropriée de l’employeur pour assurer un environnement de travail non discriminant. Les dispositifs qui concourent à favoriser l’accès et le maintien dans l’emploi des seniors doivent être déployés, de la formation des personnels sur les enjeux de santé et d’aménagement au renforcement du dialogue social entre les parties prenantes. Je voudrais rappeler ici que, face à la persistance des discriminations à toutes les étapes de la carrière que révèle ce baromètre et dans le prolongement des débats qui ont eu cours dans le cadre des négociations interprofessionnelles, le principe de non-discrimination dans l’accès à l’emploi des personnes de 50 ans et plus doit être consolidé, car il demeure encore trop peu considéré comme un vecteur permettant de se centrer sur les capacités et aptitudes des seniors. Les employeurs ont une responsabilité centrale dans l’accès des seniors à l’emploi et leur maintien dans l’emploi, mais aussi pour leur proposer un horizon d’emploi acceptable et adapté. Il importe de consolider également le droit au recours des salariés comme des agents publics, de se donner les moyens de ce recours qui passe par la nécessaire identification des actes et comportements discriminatoires. Pour terminer, je souhaite poser deux questions qui se situent en deçà des leviers d’action évoqués, mais qui nous permettront peut-être d’amorcer la discussion. Mesdames, comment peut-on sortir d’une vision peut-être trop rigide des âges de la vie qui nous font penser les carrières comme des successions d’étape ? Et quels seraient, selon vous, les facteurs d’engagement des seniors ? Je vous remercie pour votre attention.
- Merci beaucoup pour ces questions. Je me permets de répondre sur la vision rigide des âges de la vie, parce qu’on ne l’avait pas préparé comme ça. Je pense qu’il faut rejouer la partie fréquemment. Il y a des entretiens professionnels dans certaines entreprises, c’est se reposer la question de là où on en est. C’est quand on donne de la flexibilité, parce que ce qui est intéressant, c’est que les premiers qui ont demandé de la flexibilité, ce sont les jeunes. Et on s’est intéressé beaucoup à eux et on a oublié les vieux, je suis un peu schématique volontairement. Mais tout le monde veut cette flexibilité, et proposer ces capacités du congé sabbatique, du temps partiel, ça pose des problèmes d’organisation du travail, c’est indéniable, mais ça donne l’occasion de sortir de cette vision rigide des âges de la vie. Dans cet enjeu, il y a ce truc que je déteste le plus, c’est le maintien dans l’emploi des seniors, parce que, quand je suis « maintenu », je suis dans un carcan, comment s’y épanouir ? Ça veut dire qu’on vous maintient et qu’on ne vous demande rien. Or, je pense que le salarié expérimenté doit se prendre en main car, s’il attend tout des autres, d’abord, comment les autres sauraient-ils ce dont il a envie ? N’attendons pas que l’entreprise nous dise ce dont on devrait avoir envie. C’est au senior de se prendre en main pour sortir de cette vision rigide des âges de la vie, à l’entreprise de lui donner les conditions d’exercer cela. On a la chance d’avoir des formations, un CPF, on a des choses formidables en France et j’ai le sentiment que le collaborateur expérimenté ne s’en saisit pas et que l’entreprise devrait l’inciter à le faire en prenant davantage de risques, parce que, pour autant qu’on en ait envie et qu’on puisse démontrer qu’on en est capable, je suis sûre qu’il y a plein de possibilités. Quand j’étais directrice financière, j’ai embauché une experte -comptable qui avait fait de l’audit pendant dix ans, qui n’avait pas travaillé pendant dix ans, je me suis dit : il n’y a pas de raison qu’elle n’y arrive pas. Tout le monde m’a dit : pourquoi tu l’embauches ? J’ai dit : pourquoi pas ? C’est ce qui est important, ce pourquoi pas, et ce pour le salarié, pour le manager, pour le DRH, les trois devraient se dire : pourquoi pas ?
- Dorothea Schmidt-Klau : La question, le plus important pour moi, c’est qu’il faut travailler sur des niveaux différents, ça veut dire qu’on ne peut pas résoudre le problème quand on ne travaille qu’avec les entreprises ou quand on ne travaille qu’avec les individus.
C’est une question de société, c’est une façon de penser, de discuter, de parler, d’écouter et je pense que, dans ce cadre-là, c’est très important que le dialogue social marche bien pour qu’on puisse avoir une influence sur tous les niveaux, les entreprises, les sociétés, mais aussi les individus.
Pour moi, bien sûr, je dois le dire, mais c’est très important que les efforts, dans les pays, soient soutenus par des efforts au niveau international. C’est un changement de penser… Ça peut être un changement de penser les économies, l’impact des sociétés, c’est énorme, ça peut changer toute la façon de faire des économies, des politiques. C’est très important. Pour moi, on ne peut pas faire une chose sans l’autre. Et finalement, le plus important, c’est qu’il faut changer les façons de penser des jeunes et des âgés. Et les gens entre les deux !
Parce que la chose la plus importante qu’on ne veut pas, c’est une qui est contre l’autre. Il faut être ensemble. Il faut vraiment penser de la même manière. Il faut comprendre que les jeunes d’aujourd’hui, ce sont les âgés de demain. Et si on ne commence pas bien, sur le marché du travail, on va être pauvre quand on va être âgé. Ça veut dire que tout est connecté. On ne peut pas discuter d’une seule chose, il faut discuter l’intégralité de tous les problèmes.
Et il faut vraiment essayer de changer comment on pense et comment on fait les choses.
- George Pau-Langevin : A vous, maintenant, si quelqu’un veut réagir ou poser une question dans la salle.
- On prendra une ou deux questions de la salle parce qu’on a un petit retard sur le timing.
- Bonjour. Merci beaucoup pour ces présentations. Je travaille au ministère chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes, service droits des femmes, et je voulais savoir si vous aviez, dans l’enquête, vu des différences entre les femmes seniors et les hommes seniors, des différences de situations par rapport à tout ce qui a été évoqué. Merci.
- Marielle Chappuis : Merci pour votre question. En effet, on a tenté, dans ce baromètre, d’essayer de mettre en évidence un certain nombre de résultats et, pour le coup, sur la question des différences entre les hommes et les femmes, on a quand même quelques résultats marquants, en l’occurrence les femmes déclarent manifestement être plus souvent victimes de discrimination que les hommes. Et le deuxième résultat important, c’est que les femmes seniors ont davantage de craintes quant à leur avenir professionnel. Ce sont les deux résultats marquants sur ces aspects-là.
- Bonjour. Je travaille au ministère de l’Agriculture, j’ai travaillé pendant longtemps à la DGAFP, c’est une question prégnante dans le cadre des labels égalité professionnelle et diversité qui revient, cette question des seniors. Vous avez dit : la question des jeunes contre les plus âgés, elle revient très régulièrement dans le monde du travail. Et il y a une chose qui m’a dérangée dans les résultats de ce baromètre, c’est le fait que certains seniors disent que, oui, ils sont moins motivés, oui, ce n’est plus vraiment une priorité… On pourrait demander à des jeunes si c’est une priorité, le travail, dans leur vie, je pense que les résultats seraient intéressants. J’ai juste une question, du coup, c’est : pourquoi les seniors demandent-ils moins de formation ? Est-ce que c’est parce qu’ils ont peur d’un refus ou est-ce que c’est parce qu’ils pensent qu’ils n’en ont pas besoin ?
- Florence Bonnevay : Dans les études qu’on a menées, on a regardé ce sujet. C’est compliqué parce que c’est les deux. C’est-à-dire qu’à la fois, on se rend compte que les seniors sont des gens à qui on va refuser des formations parce qu’on va privilégier les plus jeunes parce qu’on se dit qu’on va les garder plus longtemps et que, sinon, ils risquent de s’en aller. Il y a un deuxième sujet : je ne vais pas demander parce que si on me refuse, je ne vais pas me sentir bien. Il y a un troisième sujet, des gens qui se disent : avec 30 ans d’expérience professionnelle, ça va servir à quoi que j’aille me former sur ces sujets-là, que je connais bien ? Quelque part, il y a les trois qui sont un petit peu des conjonctions. C’est vrai, c’est refusé, et de fait, je l’avais demandé… Ou c’est : ne pas demander. Ou considérer qu’on n’en a pas besoin. Et notamment aussi parce que, si on ne m’a pas donné de mobilité, c’est que je dois bien faire mon boulot là où je suis. Se former dans un poste où on est responsable d’une activité, si j’ai un budget de formation, je vais former les gens pour qu’ils fassent bien le boulot que je suis censé faire, et si j’avais un peu plus, je pourrais préparer demain, mais quand on me demande de remplir les objectifs, ma priorité, c’est logique que ce soit de former les gens qui sont dans un poste pour bien faire le boulot, c’est comme ça que, si les gens n’ont pas bougé, c’est qu’ils ne sont pas formés.
- Ce qui montre que ne pas se former peut être un piège. On va maintenant passer à la deuxième table ronde que vous attendez tous.
- On va effectivement passer à la seconde table ronde. Je vous prie de me rejoindre sur la scène.
Je vous en prie. Bonjour.
Le placement est libre !
Tout le monde prend place.
Cette deuxième table ronde, elle a vraiment pour vocation de donner la possibilité aux partenaires sociaux, représentés à très haut niveau, de nous dire comment est-ce que le dialogue social, la négociation collective, peut se saisir de ces nouveaux objets autour de la question des discriminations des salariés expérimentés, je vais reprendre le vocable qui a été utilisé dans la dernière négociation interprofessionnelle, et comment faire en sorte que le dialogue social se saisisse des questions qu’on a présentées à travers ce baromètre. L’intitulé de la table ronde, c’est : « Quels leviers pour changer cette situation » décrite depuis le début de nos travaux ?
Même si ce n’est pas forcément nécessaire, je vais donc présenter nos intervenantes et nos intervenants en les remerciant du temps qu’ils nous consacrent cet après-midi, Frédéric Souillot, secrétaire général FO, Marylise Léon, secrétaire ile de la CFDT, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, Samuel Tual, vice-président du MEDEF et aussi président du MEDEF Pays-de-la-Loire. Vous dirigez une société, Actual, spécialiste de l’intérim. Vous allez sans doute nous faire part de cette expérience. Et Anne-Catherine Cudennec de la CFE CGC qui remplace au pied levé François Hommeril.
Je vais d’abord vous demander de dire ce que vous avez à dire sur ce diagnostic qui est posé depuis quatorze heures avec ce baromètre.
On voit qu’on aborde les questions liées à l’emploi des seniors qui mobilisent des registres très différents : économiques, sociaux, conditions de travail.
L’un des grands enseignements de ce baromètre, c’est de voir à quel point ce prisme des discriminations est un facteur explicatif pour expliquer les difficultés que rencontre cette catégorie d’âge sur le marché du travail depuis bien longtemps. Je vous propose de vous entendre déjà sur le diagnostic, quel rôle jouent pour vous les organisations professionnelles touchant cette catégorie d’âge pour expliquer les difficultés de l’emploi du senior qui sont assez structurelles et anciennes en France et qui sont peut-être plus prononcées en France que dans d’autres pays, et dans un deuxième temps, nous reviendrons vers chacun d’entre vous pour vous entendre sur comment le dialogue social peut être un levier de transformation des réalités du travail et un levier de transformation des représentations, le regard que l’on porte sur les seniors au travail et le regard que les seniors portent aussi sur le travail.
Donc, première question sur le diagnostic, sur le rôle que jouent les discriminations dans ces difficultés, je vous propose Marylise d’ouvrir le…
- Marylise Léon : Merci beaucoup. Bonjour à toutes et à tous. Merci de cette invitation à la discussion.
Merci aussi de cet éclairage via ce baromètre puisque, pour le coup, moi, ce que je trouve intéressant, parce qu’on se l’est beaucoup dit, c’est une question qui touche… qui est un enjeu sociétal, et la première chose que je voulais partager, c’est que le monde du travail, il n’est pas hors-sol ou hors-société. Et dans l’entreprise et dans les administrations, cette question-là est aussi extrêmement prégnante.
Et je reprendrai une expression qui a été dite tout à l’heure : je suis frappée, ça a été extrêmement bien dit, qu’y compris sur les lieux de travail, la question des discriminations par l’âge est acceptée et peut faire partie, en tout cas, de celles qui ne suscitent pas forcément de réaction.
Et que, du coup, ça veut dire que l’ensemble des acteurs doivent pouvoir être sensibilisés et mobilisés sur ces enjeux.
Je dis ça, et la question de la discrimination liée à l’âge traverse la société et le monde du travail, et c’est valable pour beaucoup d’autres discriminations aussi, et on a, nous, organisations syndicales, un enjeu à être aussi reconnues dans l’entreprise, mieux reconnues, et ça fait partie des enjeux que je prends pour mon organisation, je ne sais pas si mes collègues partageront, et on voit que, sur ces questions de la discrimination sur les lieux de travail, les organisations syndicales sont insuffisamment reconnues comme pouvant être des recours sur les lieux de travail. Je pense donc qu’on en porte une part de responsabilité et que c’est important qu’on puisse mieux travailler sur ces questions en général.
Comment ça se concrétise au travail et hors travail ? Il y a une bonne partie de la population active qui cherche un emploi qui est senior et donc, on voit bien que l’âge est un facteur qui exclut de l’accès à l’emploi, ne serait-ce que ça, c’est déjà une des données. Et on est particulièrement frappé, en tout cas mauvais élèves en Europe, puisqu’on fait partie des pays européens où le taux d’emploi des seniors est parmi les plus bas, on est à moins de 57% en 2022, alors qu’on est à plus de 82% pour les 25-49 ans, donc, il y a un vrai sujet. C’est une situation qui est liée à la fois à la politique de l’emploi par la gestion des âges qui est assumée par des employeurs et qui répond aussi à des aspirations de beaucoup de salariés.
Comme ça l’a été dit aussi précédemment, beaucoup de salariés raisonnent beaucoup à des séquences de ma vie : je me forme, je déroule une carrière et je suis à la retraite. Et la question du passage de l’emploi à la retraite, il y a là un moment où on voit, et pour plein de raisons, notamment des salariés qui se disent : je ne me sens pas la possibilité de continuer de pouvoir travailler jusqu’à l’âge de la retraite, et donc, ça veut dire qu’il y a un enjeu de prévention et notamment des risques professionnels, il y a un gros enjeu de santé au travail. C’est un des sujets sur lesquels on voit qu’il y a… C’est une des raisons qui explique pourquoi il y a moins de seniors en emploi. C’est aussi un enjeu de rapport au temps. Je n’imaginais pas que des seniors puissent vouloir accélérer, mais effectivement, pourquoi pas. Nous, on entend beaucoup les salariés nous dire : je veux continuer, mais pas au même rythme ni dans les mêmes conditions d’exercice de mon travail et la question de l’aménagement des fins de carrière se pose. Dans le cadre des négociations menées récemment, qui ont conclu à un accord, on a un premier pas de facilitation de l’accès à la retraite progressive. Tout ça pour dire que la question des seniors n’est pas une question d’âge au travail, c’est une question de : mon travail tout au long de ma vie. Donc, la question de la prévention et de l’anticipation, elle est fondamentale.
Je dirai que la question de la fin de carrière se prépare dès le milieu de carrière. Donc, la possibilité des uns et des autres de pouvoir se projeter et de prendre des orientations qui permettent de changer de métier, d’évoluer dans les conditions de travail, voire dans des métiers différents, elle se pose… elle devrait être offerte à toutes et à tous. Sauf qu’on n’est pas égaux devant ces possibilités, en fonction du lieu où on travaille, de la taille de l’entreprise, de son secteur d’activité, du niveau de qualification et de formation initial, et donc, c’est vraiment un enjeu… Quand je dis que la question des seniors n’est pas une question d’âge, c’est vrai que c’est une question de travail et d’exercice de mon travail tout au long de la vie. Si on commence à s’en préoccuper à 50 ans, c’est trop tard. C’est vraiment quelque chose qu’il faut qu’on puisse au maximum anticiper.
Et pour ça, ça veut dire qu’il ne faut pas… je rebondis sur ce qui a été dit tout à l’heure, les seniors doivent se prendre en charge… Mais la question des seniors ne concerne pas que les seniors, et si l’ensemble de la communauté, du collectif de travail n’est pas prêt à se poser collectivement des interrogations et à travailler justement sur tous ces stéréotypes, et j’en évoque un qui m’a été soumis il n’y a pas très longtemps, sur la question de la pyramide des âges dans des start-ups, des entreprises où il y a beaucoup de jeunes, et moi, je suis allée demander à des jeunes dans les start-ups si ça les intéressait de travailler avec des personnes plus expérimentées. Beaucoup m’ont dit oui parce que la question de l’expérience, elle suscite beaucoup de curiosité parce que, dans l’exercice du travail, quand on parle de contenu du travail, la question de l’âge ne se pose plus, et quand on parle d’expérience au travail, c’est avoir à ses côtés un collègue qui a déjà rencontré une situation, un problème, une difficulté, qui a pu en tirer une expérience et qui peut la partager.
- Cyril Cosme : Comment on peut expliquer que ces stéréotypes âgistes sont quand même aussi présents parmi la jeunesse ? Il y a un graphique très éclairant qui montre comment les stéréotypes selon l’âge sont quand même très répandus dans les classes d’âge plus jeunes ?
- Marylise Léon : Je pense que c’est parce que les personnes qui répondent n’ont pas forcément vécu au travail des situations qui pouvaient les amener à réfléchir sur cette question. En même temps, c’est vrai que les personnes seniors ayant moins accès à la formation, on peut aussi, logiquement, comprendre qu’on se dit, dans un métier ou un secteur qui nécessite une technicité, une expertise extrêmement actualisée et régulière, on peut se dire qu’un senior ne répondra peut-être pas forcément à ces enjeux, mais la question du collectif et de la complémentarité au sein d’un collectif doit être pensée de façon un peu plus large. Voilà ce que je pouvais dire.
- Cyril Cosme : Merci beaucoup.
- Marylise Léon : Du coup, la question n’est pas tellement une question d’emploi mais de contenu de travail de mon point de vue.
- Cyril Cosme : Merci Marylise. Sophie Binet, même question ?
- Sophie Binet : Avant de rentrer dans le sujet, je voulais adresser un grand merci à l’OIT et au Défenseur des Droits pour la qualité de ses travaux, ça permet de parler de l’éléphant dans la pièce, les discriminations massives que subissent les seniors, et de voir que c’est vraiment structurel, et au-delà de ça, on est dans un moment où, au vu des bouleversements que traverse le monde, plus que jamais, l’OIT est une institution d’avenir, puisque, pour se protéger face à la guerre commerciale débridée, on n’a pas besoin de moins de normes mais de plus de normes, je le dis parce que, visiblement, au plan européen, c’est l’inverse qui est retenu pour l’instant par nos brillants chefs d’Etat, et de conditionner le commerce international au respect de ces normes sociales et environnementales. On est très inquiet de l’élection de Donald Trump, je pense qu’il est très important que la France continue à jouer un rôle actif dans le soutien de l’OIT notamment en maintenant le bureau français de l’OIT qui nous apporte au quotidien avec ses initiatives, mais qui, aussi… c’est aussi un engagement de la France au niveau de l’OIT, donc, je le dis parce que c’est un soutien permanent de la CGT de toute manière à l’OIT, mais au vu des enjeux d’actualité, ça me semble encore plus indispensable, et pour le Défenseur des Droits, au vu de l’ampleur sur son budget, des inquiétudes aussi d’actualité, je confirme, et on a besoin d’une institution indépendante et pertinente comme le Défenseur des Droits pour pouvoir nous éclairer avec des études comme aujourd’hui. Un grand merci à vous et vous pouvez compter sur le syndicalisme pour vous soutenir.
- Cyril Cosme : J’en profite pour préciser que l’OIT est la seule organisation du système multilatéral dont les partenaires sociaux sont membres. Je salue la déléguée du gouvernement français à l’OIT qui est dans la salle.
- C’est ce qui fait la force de l’OIT, le multilatéralisme et le tripartisme, les deux en même temps. Il faut protéger cette institution et la développer pour ces raisons. Sur la situation, en fait, la problématique, c’est que les seniors, aujourd’hui, sont victimes d’une double peine, non seulement, on leur dit qu’il faut qu’ils travaillent plus longtemps avec cette réforme des retraites qui, malgré notre mobilisation, s’applique et pénalise de manière extrêmement violente les seniors, et en plus, ils sont parmi les premiers à être licenciés, on le voit dans les plans de licenciement qui se multiplient aujourd’hui. Les premiers dans les plans de licenciement, c’est toujours les seniors, toujours, toujours, toujours. Il y a donc quand même une hypocrisie majeure de nous dire, d’un côté, qu’il faut travailler plus longtemps, et de l’autre de licencier les seniors, parce qu’il y a derrière quand même une affaire de gros sous avec l’idée que les seniors ont les salaires les plus élevés, que c’est un problème, et ils sont vus uniquement comme des coûts dans l’entreprise, alors que, justement dans des moments de bouleversements majeurs comme ceux que traverse notre société aujourd’hui, avoir des seniors dans un collectif de travail, c’est très important. C’est d’abord un enjeu d’expérience, de niveau de qualification, de stabilité, et avoir des salariés qui ont du recul sur des situations et qui peuvent permettre d’équilibrer un collectif de travail. Donc, justement, pour faire le pari du moyen-long terme et développer un collectif de travail, une entreprise sur le moyen et long terme, avoir des salariés seniors dans son collectif de travail, ça devrait être au contraire un atout, mais c’est tout l’inverse qu’on constate sur les lieux de travail.
Et donc, je pense que, dans un moment comme celui-là, avec des chiffres qui confirment la réalité perçue, puisque, bon, ce qui est bien, c’est que vous objectivez des sentiments, mais nous, tous les jours, on le constate sur le terrain, ce que vos chiffres objectivent. Bon, maintenant, il faut qu’on passe à autre chose. On ne peut plus se contenter des grandes déclarations d’intention ou pétitions de principe, parce que dans ce type de colloque, tout le monde est d’accord : oui, on a besoin des seniors, il faut aménager les fins de carrière… Oui, ça fait dix ans qu’on le dit, qu’est-ce qu’on attend pour le faire ? Le résultat de la réforme des retraites de 2010 qui a déjà passé l’âge de retraite de 60 à 62 ans, ça a été d’augmenter la précarité des seniors, qui sont parmi les premiers à figurer dans les chômeurs de longue durée et qui finissent souvent leur carrière en étant au chômage et en fin de droit, donc, ça veut dire des dernières années avec une grosse baisse de revenus et une retraite amputée de ce déficit de déroulement de carrière. Ce n’est plus possible d’accepter ça. Le dernier point, sur le panorama, c’est que le fait d’être senior, il y a un effet grossissant sur les autres discriminations, ça aggrave les autres discriminations, les discriminations racistes ou sexistes, avec comme vous l’avez dit pour les femmes, des femmes qui se sentent plus précaires en emploi, plus menacées. Et j’ajouterai que, pour le coup, si on prend sur le plan des gros sous, des femmes qui sont payées beaucoup moins… Qui ont des salaires beaucoup plus faibles que les hommes, puisque c’est en fin de carrière que les écarts de salaires sont les plus importants entre les femmes et les hommes. Non seulement, elles ont des salaires plus faibles, mais elles sont les premières à être licenciées, placardisées… Quand on est femme, on a bizarrement une date de péremption qui est beaucoup plus avancée. On ne peut pas se satisfaire du statu quo, il faut bouger. Comme mesure pour mettre fin à ce scandale, après, peut-être qu’on reviendra dans un deuxième temps sur les mesures précises, mais s’il y a un point clé, c’est que les pétitions de principe ne suffisent plus, il faut du normatif et des mesures qui s’appliquent à toutes les entreprises puisque, dans certaines grandes entreprises, on arrive à avoir des accords intéressants, mais ça ne peut pas se limiter aux entreprises dans lesquelles il y a un bon taux d’implantation syndicale et dans lesquelles il y a les moyens d’avoir une politique volontariste de formation, d’aménagement de fin de carrière. Il faut que ces dispositifs soient généralisés pour l’ensemble des seniors du marché du travail.
- Cyril Cosme : Merci beaucoup. Frédéric Souillot ?
- Frédéric Souillot : Merci. Sur le diagnostic… d’abord, merci pour ce 17e diagnostic. En fait, il indique ce que nous constatons tous les jours, ce que nous expliquons depuis plus de dix ans.
Sur le taux d’emploi des 55-64 ans, là, on parle de l’Europe, mais on a le plus bas taux d’emploi de l’OCDE, donc… En général, quand on est premier, on nous met en avant, mais quand on est en dernier, on en parle le moins possible. Et 50% de ceux qui liquident leur retraite aujourd’hui, quel que soit l’âge de départ, c’était déjà vrai à 62 ans, et ça le sera encore plus à 64 ans, mais d’ici là, elle sera abrogée… Je l’espère ! On va continuer de leur demander.
50% de ceux qui liquident, c’est entre 110 000 et 130 000 qui sont à l’assurance chômage, souvent en fin de droits et, en plus de cela, comme vous le démontrez, une partie le cache, y compris à leur famille, à leurs enfants. Quand vous terminez votre carrière professionnelle au RSA, et c’est 18% de ceux qui liquident leur retraite chaque année, c’est-à-dire 27 800, de mémoire, qui… le dimanche, vous continuez d’inviter votre famille à manger le poulet, vos enfants, vos petits-enfants, mais vous ne leur dites pas comment vous l’avez payé parce que ce n’est pas le RSA qui permet de subvenir à vos besoins, donc, il y a une vraie discrimination et puis une vraie souffrance. Et cette souffrance, on l’a expliqué plein de fois, elle ne concourt pas à la cohésion sociale de la République.
Avant même de parler de discriminations, il y a le reste. Comment est-ce que ça se transforme, quand les gens sont dans l’isoloir, quand ils acceptent encore d’aller voter ? Quand ils sont dans l’isoloir, quel bulletin mettent-ils dans l’urne ?
Sur les seniors, vous le dites, on est senior à partir de 50 ans. Dans le Code du travail français, ça commence à 45 ans.
Pour la simple et bonne raison qu’on avait dit que l’entretien de mi-carrière, à l’époque, il fallait donner un âge, et c’est écrit 45 ans. Mon organisation syndicale avait déjà demandé au ministre du Travail d’avant de le retirer. Trouvons, nous, des solutions. Je suis d’accord sur un point : il faudrait qu’on fasse le rétroplanning de l’âge légal de départ à la retraite et comment est-ce qu’on refait le rétroplanning avec formation tout au long de la vie, emploi, carrière tout au long de la vie ?
Si on se pose la question qui est à la fin, c’est comme sur la prévention, on a signé un accord national interpro sur accidents du travail et maladies professionnelles, et avant, dans ces accords, ce qui, les uns et les autres, et on a notre part de responsabilité… on parlait de la « réparation ». Avant de parler de la réparation, mettons en place de la prévention, ce qui nous permettra de pouvoir nous reconvertir, ne pas finir… alors, on ne peut plus dire « pénibilité au travail », alors, on dit de moins en moins « usure » au travail, maintenant, on va dire « expérience au travail ». Peu importe. Mais dans le collectif de travail, le mélange des âges permet le collectif de travail et l’unité dans le travail.
Alors, j’ai bien regardé les sondages, les jeunes… Je le rappelle quand même, les jeunes sont nos enfants. C’est ou nous qui les avons élevés ou nous qui les avons aidés à se construire. Donc, on a peut-être aussi loupé quelque chose dans l’éducation. C’était la première chose. La seconde chose, regardez, il y a de la discrimination au sein de la représentation des organisations syndicales, ce sont des jeunes femmes et je suis presque un vieillard pour elles parce que j’ai eu 57 ans en septembre et elles me le font savoir le plus souvent possible ! Mais oui !
Oui, c’est moche, oui ! Mais vous le méritez quand même.
Donc, sur le constat, avant, on avait, dans le Code du travail français, pour tous les PSE, ceux qui étaient les salariés les plus protégés, d’abord, le premier critère, c’était l’âge. Après, c’était l’ancienneté. Et après, la charge de famille. Et un jour, quelqu’un a mis tout ça dans un shaker et a dit : débrouillez-vous.
Et là, on a vu le taux de seniors licenciés plus important. Alors, parfois à leur demande, si on est loyal. Parce qu’ils se demandaient comment, demain matin, ils arriveraient à rester dans l’entreprise. Mais à partir du moment où on a fait sauter les critères dans le Code du travail de l’âge, de l’ancienneté et de la charge de famille, le taux de seniors licenciés dans les PSE a été plus important.
Il faut qu’on arrive à bousculer notre pensée, notre formatage aux uns et aux autres pour penser carrières professionnelles. Comment est-ce qu’on arrive aujourd’hui à reclassement, aménagement de fin de carrière, mais on en parlera tout à l’heure, avec le superbe accord sur l’emploi des seniors que nous vinons de signer… !
- Cyril Cosme : Merci Frédéric. Anne-Catherine ?
- Anne-Catherine Cudennec : Merci pour cette invitation. Le baromètre du Défenseur des Droits, de l’OIT, est un élément que nous suivons de près au sein de notre organisation, j’ai la lourde tâche aujourd’hui de remplacer notre président François Hommeril qui n’a pas pu être parmi vous aujourd’hui pour des raisons de santé, mais je vous rassure, il va bien. Je vais essayer de le remplacer, ça ne va pas être chose facile ! Quelques commentaires d’abord sur le fait que le sujet des seniors est d’actualité parce qu’il y a l’accord qui vient d’être négocié sur ce sujet. Néanmoins, c’est un sujet qui, depuis plusieurs années, était étudié et je suis tombée, en cherchant quelques informations, sur un rapport de la HALDE, de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité, de 2005, qui déjà se saisissait du problème. En le lisant, je me suis dit : on pourrait presque copier-coller sur la situation qu’on a aujourd’hui. Je crois que c’est quand même quelque chose de très préoccupant.
Et effectivement, il faut trouver les moyens d’arrêter, comme on l’a très bien dit, de compartimenter les étapes de la vie, parce que l’âge fait partie de la vie et on ne peut pas dire, d’un côté, on a les jeunes, d’un autre côté, on a ceux du milieu, on ne sait pas comment on les appelle, pour le coup, et on a après ceux qui arrivent à la fin de leur carrière professionnelle. Pourtant, on voit que les éléments qui persistent aujourd’hui, c’est quand même d’une part un ralentissement assez marqué de l’évolution de carrière et des rémunérations quand on atteint la deuxième partie de carrière, donc, en général, on a dit 45 ans dans les entreprises pour la plupart, et puis là, je mettrai ça en relation avec la double peine qui concerne les femmes, puisqu’on sait qu’il y a déjà un ralentissement de la carrière pour les jeunes femmes, dû en particulier à leurs absences pour les maternités, donc début de carrière compliqué pour les femmes, milieu de carrière à partir de 45 ans compliqué en termes de déroulement de carrière, il ne reste plus grand-chose. C’est là aussi un effet secondaire de la façon dont on entrevoit la carrière professionnelle.
Et le dernier point, c’est là aussi un élément important, qui a d’ailleurs été mentionné, c’est quelque part la responsabilité collective de cet état de fait. Il a été mentionné d’une part que, effectivement, les employeurs avaient une part de responsabilité et il a été nommément mentionné les managers, et comme mon organisation syndicale représente à plus de 55% des cadres, des ingénieurs et donc des managers, c’est un sujet que notre organisation a souhaité prendre en main plus particulièrement et plutôt se focaliser sur la façon dont on peut agir sur les stéréotypes et les représentations que l’on a justement, ce qu’on peut aussi appeler les biais inconscients.
Et nous avons juste terminé, la semaine dernière, un projet européen qui était mené par notre Confédération européenne des cadres, à laquelle la CFE CGC est affiliée, est qui avait comme objectif de permettre d’identifier justement les biais inconscients que nous pouvons avoir liés à l’âge, mais pas uniquement, liés aussi au handicap, liés également à la perception de l’égalité, ou liés également à des discriminations liées aux personnes LGBTI, donc, voir comment les managers pouvaient identifier ces biais-là qui sont à la base de notre prise de décisions quotidiennes. On a parlé des difficultés en termes de recrutement, de déroulement de carrière, donc, comment on pouvait identifier ces biais et arriver à les contourner pour justement prendre des décisions qui ne produisent pas des discriminations.
Et pour conclure, je dirai que, sur cet élément de biais inconscients, les nouvelles technologies qui arrivent, et en particulier je pense à l’intelligence artificielle générative, si on lui apporte des informations qui sont biaisées au départ, il y a de fortes chances que le résultat au bout du bout soit là aussi biaisé, et quand on utilise ces outils-là pour prendre des décisions en tant que manager dans les entreprises ou en tant que ressources humaines lors des recrutements, on peut arriver justement à renforcer ces discriminations. Donc, en tout cas, un sujet que notre organisation regarde de très près.
- Cyril Cosme : Merci beaucoup. C’est un vrai sujet, les biais reproduits par l’IA à travers les biais qui sont dans les données sur lesquelles on entraîne l’IA. Je me tourne maintenant vers M. Samuel Tual, vous êtes le seul représentant des employeurs dans cette table ronde, donc, on va maintenant vous entendre sur ce diagnostic et sur le rôle que jouent, selon vous, les discriminations et les stéréotypes dans les difficultés que rencontre cette catégorie d’âges dans le marché du travail.
- Samuel Tual : Merci de votre accueil. Je suis en infériorité numérique mais je suis très heureux néanmoins d’être parmi vous aujourd’hui pour parler du côté entreprise, même si, ça va peut-être vous surprendre, par rapport à l’ensemble des propos tenus jusqu’à présent, à peut-être l’exception de Sophie Binet sur deux-trois points, je partage globalement l’analyse et tout ce qui a été dit.
Le terme effectivement de travailleur expérimenté à la place du terme senior me paraît effectivement important au moment où, dans une étude comme celle-ci, on parle de perceptions. Il est intéressant d’utiliser une terminologie qui véhicule une image différente de ce type de public. Et ça a été dit aussi à plusieurs reprises, on est dans un contexte démographique particulier, avec une population vieillissante, ça a été rappelé aussi, nous avons un taux d’emploi inférieur à la moyenne européenne en général sur la population active, avec un décrochage très marqué effectivement sur les plus de 60 ans. C’est plus de 10 points par rapport à la moyenne européenne. Et 25 points par rapport à l’Allemagne, donc, ne serait-ce que sur ce segment des 60 ans et plus. Donc, on a un sujet, et en même temps qu’on a le vieillissement de la population active, on a aussi, il faut l’avoir à l’esprit, une diminution programmée de cette population active. A échéance 2030, je rappelle qu’on aura un solde négatif de 250 000 actifs par an par différence entre ceux qui partent à la retraite et les jeunes qui arrivent sur le marché du travail. C’est un sujet. Et donc, le côté un peu où on peut peut-être entrevoir des solutions qui vont se faire de façon assez naturelle, c’est que, si, et au MEDEF, vous savez que nous sommes très attachés évidemment à notre capacité de produire, de produire en France, aux sujets de souveraineté économique et de produire en France, donc, on ne pourra pas pérenniser une activité au niveau attendu si on n’a pas accès aux compétences sur le territoire national. Donc, le sujet de l’accès aux compétences est évidemment pour nous un enjeu majeur pour assurer la pérennité des entreprises.
Dans ce contexte de tensions, au-delà de la conjoncture et effectivement, de façon très conjoncturelle, il y a effectivement une baisse de la croissance, une augmentation potentiellement du chômage et le marché du travail se détend à court terme et va se tendre durablement de façon structurelle, et donc, j’ai envie de dire, de façon partagée, cette question de l’emploi des travailleurs expérimentés, c’est un enjeu très important pour les entreprises. Il n’est pas envisageable que les entreprises ne fassent pas un effort particulier en direction de ces publics parce que, tout simplement, nous avons besoin de compétences expérimentées pour assurer la pérennité de nos entreprises. Ça, c’est pour les enjeux de démographie. Et ce qui est très intéressant dans ce qui a été présenté, au-delà des faits et des chiffres, c’est ce côté perception, j’ai beaucoup aimé la question posée d’ailleurs sur le sujet par rapport à la formation, parce qu’on voit que ce n’est pas si simple que ça. Il y a des perceptions, des préjugés côté employeur, mais il y en a aussi du côté des publics, notamment des travailleurs expérimentés. Evidemment, dans les préjugés, il y a le sujet de l’adaptabilité, la résistance au changement par rapport aux formations, certains estiment qu’ils n’ont pas besoin en effet de ces formations, le sujet de l’obsolescence des compétences. Ils ne seraient potentiellement pas assez productifs, etc. Mais quand on parle de ces publics, ce sont aussi des personnes qui ont accumulé des savoir-faire, des connaissances de l’entreprise et de l’expérience, et il y a un rapport au travail qui, au moment où on s’interroge justement sur le rapport au travail notamment des plus jeunes générations par rapport aux perceptions qu’ils en ont, on voit que les travailleurs expérimentés ont un rapport au travail plus favorable et engagé potentiellement dans la durée aussi. Tout ça, ce sont des atouts sur lesquels les entreprises peuvent capitaliser à terme. Il y a donc assurément des actions à mener, je crois que ça fait partie des points qu’on va développer dans la deuxième partie, pour qu’on puisse informer, sensibiliser effectivement les DRH, les entreprises sur l’impérieuse nécessité d’intégrer plus de publics expérimentés avec un bémol, par rapport à ce qui a été dit sur cette question du maintien dans l’emploi, je suis assez d’accord avec ce qui a été dit sur ce terme de « maintien » qui a quand même un côté contraint, négatif. Comme beaucoup, dans la maison MEDEF, moi, je suis très attaché à la notion de travail choisi. Si on prône aussi une certaine forme de flexibilité, c’est parce qu’on pense que ce qui est important, finalement, c’est de ne pas être contraint de rester dans une entreprise quand on ne s’y sent pas bien, c’est de ne pas être contraint de garder un collaborateur qui, potentiellement, n’a pas sa place dans l’entreprise, mais de permettre avec de la flexibilité et sous un certain nombre de conditions, de permettre aux individus de se réaliser par le travail là où ils sont.
Et, donc, la grande différence effectivement, c’est : est-ce que, à toute étape de la vie, on se dit qu’on se projette et qu’on est bien dans l’entreprise dans laquelle on est, au poste que l’on occupe ? Est-ce qu’on se projette durablement ? Ou est-ce qu’on subit parce qu’il ne faut surtout pas bouger au risque de perdre son travail et de se retrouver effectivement privé de travailler ? Dans ce cas-là, on rentre dans une démarche de travail subi qui entraîne tous les maux que l’on peut imaginer à ce titre-là.
Donc, puisqu’on est sur le sujet des perceptions, je crois très important que l’on puisse effectivement changer de regard d’abord sur les publics, jeunes, expérimentés, etc. Côté entreprise, en tout cas, avec cette conscience qu’on a besoin de chacun d’entre eux et que ces publics expérimentés sont très importants, mais qu’on rentre aussi collectivement dans cette démarche d’essayer de faire en sorte que le marché permette finalement de trouver sa place, de choisir son emploi, de pouvoir construire sa vie professionnelle, pas de façon contrainte, mais de façon choisie.
Ça me paraît effectivement essentiel. Je crois que, de ce point de vue-là, l’accord qui a été signé le 14 novembre dernier, même si nous sommes tous collectivement impatients de le voir maintenant appliqué, puisqu’on est en stand-by, car effectivement, la situation du moment fait qu’il y a un peu d’incertitudes sur le calendrier de mise en œuvre de tout ça, mais globalement, on est impatients parce que je crois que, dans cet accord, il a été posé un certain nombre de sujets très importants qui vont rendre possible, par l’évaluation et les entretiens qui ont été programmés, de rentrer dans une logique nouvelle et qui, je pense, va pouvoir faire avancer les choses.
- Cyril Cosme : On va revenir, je pense, sur l’accord, autant que vous le souhaitez dans la deuxième partie sur les leviers. Mais si je vous suis bien, finalement, vous avez longuement parlé de la variable démographique, en rappelant qu’effectivement, à terme, on est sur des projections de baisse de la population en âge de travailler ; pour vous, c’est vraiment ça, le levier qui peut faire bouger les représentations ? Mais les représentations des chefs d’entreprise eux-mêmes ?
- Samuel Tual : On a eu les mêmes sujets, quand le marché était très tendu. On s’est rapproché du plein emploi ces dernières années, même s’il y avait un chômage structurel important, la partie conjoncturelle était quand même très écrasée, et les entreprises ont cherché à trouver des profils nouveaux. Dans la plupart des entreprises… Celles qui sont restées sur des postures assez figées en disant : le profil recherché doit correspondre à tel ou tel critère, le mouton à cinq pattes, comme on dit, ces entreprises avaient beaucoup de mal à trouver les ressources, et donc, naturellement, y compris sur les questions de l’inclusion au sens large, avec les publics les plus éloignés de l’emploi, il y a eu des efforts considérables de faits pour tendre la main à des publics qui étaient moins prédestinés à répondre à ce type de poste a priori, et les services RH ont fait beaucoup d’initiatives pour aller sur des profils différents, avec notamment des dimensions de soft skills, de capacités auxquelles on a ajouté évidemment des dispositifs de formation qui allaient bien. Il y a eu un élargissement considérable du champ de recherche des profils à intégrer.
Et, donc, dans ce cadre-là, avec en plus un rapport au travail qui évolue, des entreprises que j’ai rencontrées récemment me faisaient part du fait que, sur les tout jeunes diplômés embauchés, la durée dans l’entreprise était d’un an maximum parce qu’il y avait une aspiration à essayer une entreprise et à bouger après, et quand on dépense beaucoup d’énergie pour intégrer un jeune qui ne reste finalement qu’un an, on se dit que, parfois, intégrer quelqu’un d’un peu plus mûr, d’un peu plus expérimenté, ça peut être gage aussi de fidélité.
- Cyril Cosme : Merci beaucoup. On est déjà parti subrepticement à la partie « que faire ? », on va réenclencher un tour de table avec Marylise.
- Marylise Léon : J’ai envie de réagir un peu, d’abord. Je voulais réagir. On alerte sur la question culturelle du rapport à l’âge et je voudrais, moi, être… enfin vous dire que, moi, je ne crois pas qu’il y ait… il faut aussi faire attention aux stéréotypes pour les jeunes et je ne crois pas que le rapport au travail soit différent quand on est jeune ou plus âgé. Nous, on a aussi fait des enquêtes, notamment auprès des jeunes, et leurs considérations, leur volonté de s’investir, de s’engager au travail, elle n’est pas moins forte que des personnes plus âgées. Mais, quel que soit l’âge, la question, elle est de deux natures dans le rapport au travail. Et je pense qu’il faut qu’on tire collectivement les enseignements notamment du Covid, dont je rappelle que tout devait changer après, et j’ai eu la naïveté de le penser, et je suis convaincue en tout cas que, si on continue d’avoir les lunettes d’avant, on va se planter. Il y a deux aspirations : avoir prise sur son travail, c’est un enjeu extrêmement majeur quel que soit son âge, et de pouvoir avoir de meilleures conditions de travail, c’est-à-dire : je veux avoir les conditions d’exercer correctement mon travail. La question est aussi sur la qualité du travail rendu. Si on se rend compte aujourd’hui que plein de secteurs d’activité n’arrivent pas à recruter, c’est que les conditions dans lesquelles on leur propose de travailler, y compris dans des métiers du soin, n’étant pas réunies, il y a des renoncements et des départs de certains secteurs où des gens me disent : je n’ai pas les conditions de bien faire mon travail et je ne supporte pas, par exemple, dans l’aide à domicile ou les secteurs d’accompagnement des plus anciens, dans des EHPAD, des choses très simples, des plus jeunes et des plus anciens qui me disent : je ne supporte pas d’avoir uniquement 10 minutes par jour pour m’occuper d’un résident et de ne pas pouvoir la conversation et les soins et la toilette, etc. Et vous allez dire que je suis un peu monomaniaque, mais je suis convaincue que, si on ne met pas en question le sujet du travail, en tant que tel, on ne résoudra pas la question du rapport au travail, quel que soit le rapport au travail. En termes de levier, il y a eu un accord conclu, et je pense que l’une des avancées de cet accord, c’est de convenir de façon conjointe et paritaire qu’on a un problème collectif sur l’emploi des seniors, déjà. Ça peut paraître une petite avancée, mais c’est déjà un sujet. Ce qui veut dire que, chacun, en responsabilité, reconnaît qu’il a une part de travail à faire pour améliorer la situation et, donc, qu’il y a une forme de reconnaissance qu’il y a des politiques menées dans le cadre des entreprises qui font que les seniors, à un moment, ne se sentent plus à leur place, ne se sentent plus attendus, accueillis, et on leur fait comprendre qu’on ne souhaite pas forcément qu’ils restent. Et Sophie Binet l’a évoqué, je rejoins la question d’une vision dans les stéréotypes liés à l’âge à une vision des seniors sous l’angle des coûts : le coût du travail, les coûts salariaux. Et que, plutôt que de reconnaître la question des compétences et de l’expérience, on est encore très formaté dans les entreprises sur cette question de l’âge égale salaire, montant de salaire, et c’est quand même un des aspects qui guide beaucoup des choix dans les entreprises lorsqu’il y a des décisions à prendre.
Et que, du coup, dans le cadre de la négociation, on a posé un certain nombre d’axes de travail qui ne sont que le début d’un travail collectif. Un, travailler sur une négociation obligatoire pour les entreprises de plus de 300 salariés, donc, on a un vrai enjeu aussi à négocier dans les branches professionnelles pour pouvoir traiter paritairement de ces questions d’emploi des seniors, parce que, moi, je ne crois pas qu’il y a de réponse miracle, il n’y aura pas de réponse unique. L’enjeu, c’est que, par secteur professionnel et par entreprise, on fasse du sur-mesure, et au regard des thématiques obligatoires et facultatives prévues par l’accord, on puisse balayer l’ensemble des sujets qui peuvent avoir un impact sur la question des seniors, la question des recrutements, quelles sont les pratiques de recrutement, quels sont les biais que l’on a, comment on travaille sur le fait qu’il y a peut-être et même certainement des pratiques RH qui se disent qu’un CV qui arrive avec un âge au-delà de 50 ans, on ne regarde même pas, donc, il y a des pratiques de recrutement à revisiter, il y a la question de l’emploi, des conditions d’emploi, de l’aménagement des fins de carrières, et les modalités de transmission des savoirs et des compétences font partie des sujets obligatoires qui doivent faire l’objet d’une négociation et donc de convenir paritairement sur : quelle est la situation actuelle ? Est-ce qu’on a des choses sur lesquelles on peut avancer ? Et comment, contractuellement, par la négociation collective, on se dit qu’on avance avec l’objectif d’améliorer l’emploi des seniors ?
- Est-ce que c’est une approche nouvelle ? Parce qu’on négocie sur l’emploi des seniors depuis un certain nombre d’années dans un pays comme la France, quel est le changement d’approche qui peut permettre justement de changer… ?
- Marylise Léon : On a défendu une négo spécifique. De mémoire, tout ce qui avait trait à la question de l’emploi des seniors était toujours lié à quelque chose d’autre, on a eu les contrats de génération où il fallait penser l’emploi des seniors et l’emploi des jeunes en même temps. Là, on a souhaité que cette négociation ne soit pas incluse dans les négos obligatoires qui existent sur la gestion de l’emploi, des parcours professionnels, etc., et qu’on reconnaisse cet objet en tant que tel, cette problématique, et qu’on regarde vraiment sur l’ensemble des dimensions à la fois obligatoires et facultatives.
Et puis ce qui est important, dans les branches professionnelles, c’est que ça couvre y compris les entreprises où il n’y a pas de dialogue social et qu’il y ait par secteur d’activité un certain nombre de règles qui soient définies. Les deux autres points de l’accord, c’est la question de l’accès élargi dès 60 ans à la retraite progressive, qui est une forte attente des travailleurs…
- L’aménagement de fin de carrière était cité dans le baromètre comme une attente forte, d’ailleurs.
- Marylise Léon : Ça fait partie des enjeux où j’ai prise sur mon travail, j’ai le choix, je décide de m’organiser, d’organiser ma carrière et sa fin de façon personnalisée. C’est extrêmement important.
Et l’autre point que l’on a aussi défendu, c’est la question des rendez-vous au moment du déroulement de carrière, notamment un entretien professionnel à 45 ans, OK, qui permette de se projeter aussi sur cette deuxième partie de carrière et d’avoir véritablement un projet professionnel qui soit discuté et mis à plat.
- Cyril Cosme : Merci beaucoup. Sophie Binet ?
- Sophie Binet : Je voulais rebondir sur deux points. J’ai entendu « solution naturelle » et « informer et sensibiliser les DRH ». Bien sûr. Mais s’il y avait des solutions naturelles, ça fait vingt ans qu’on les aurait trouvées suite au rapport de la HALDE depuis 20 ans. Il n’y a pas de solution naturelle face à un phénomène aussi massif. Il faut donc des mesures, j’ose le terme, coercitives, avec des sanctions si les mesures ne sont pas appliquées, puisque l’expérience montre que, sinon, on reste sur de la pétition de principe. Et la deuxième chose, c’est que la flexibilité, oui, mais pour qui ? Depuis vingt ans, on n’a pas arrêté de l’augmenter, aujourd’hui, il n’y a rien de plus facile que de licencier un salarié, notamment sinon, on a bougé sur les licenciements collectifs, sur les licenciements individuels, on a créé les ruptures conventionnelles, puis les ruptures conventionnelles collectives, il y a 1001 façons de licencier un salarié aujourd’hui. Travail choisi, oui, mais j’entends plutôt licenciement choisi si je vous traduis. Et la mobilité, il y a des seniors qui restent en emploi contraint parce que, s’ils s’en vont, ils n’en retrouveront jamais un autre, de boulot. C’est un problème, un senior qui reste parce qu’il ne peut pas bouger, il faut changer les comportements des entreprises à l’embauche, et à l’embauche, c’est la catastrophe parce que, en plus, nous, organisations syndicales, c’est pour nous le plus difficile parce qu’on n’a pas de levier pour ça, les salariés n’étant pas encore en entreprise, on a très peu de possibilités d’intervention. On avait travaillé une proposition pour permettre que les délégués du personnel puissent défendre les personnes avant même l’embauche, et on avait proposé qu’il y ait une notification individuelle des droits remise à chaque salarié lors de l’entretien d’embauche disant ce à quoi ils ont droit, ce qui est interdit, par exemple que l’employeur n’a pas le droit de vous demander si vous êtes enceinte, etc., avec les contacts des représentants syndicaux de l’entreprise. Ce type de dispositif, ce n’est pas grand-chose, c’est un bout de papier, mais ça permettrait de dire ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas et de dire les voies de recours pour lutter contre les discriminations à l’embauche.
Pour les seniors qui sont en emploi, la CGT, on a décidé hier qu’on ne signerait pas l’accord sur l’emploi des seniors. Pourquoi ? Parce qu’on est profondément déçus par le contenu de cet accord, on a l’impression que la montagne accouche d’une souris avec des reculs bien réels pour les seniors avec deux ans de vie en moins avec cette réforme des retraites pour laquelle on continue à se battre pour l’abrogation, je continue à être optimiste malgré le comportement scandaleux de certains députés à l’Assemblée nationale, mais même si on gagne là-dessus, il faudra des mesures pour l’emploi des seniors puisque, avant la réforme des retraites, il y avait déjà des problèmes de discrimination des seniors.
Et puis, de l’autre côté, il y a malheureusement un recul bien réel côté assurance chômage avec un décalage de deux ans sur l’indemnisation des seniors, donc, ça, on ne peut pas faire ça sans avoir un engagement fort de la part des employeurs de changer leur comportement sur l’emploi des seniors, et sur cet accord, il n’y a pas de changement majeur par rapport à la situation actuelle. C’est important d’avoir une obligation de négocier dédiée sur les seniors, mais il n’y a pas de sanction associée, et en matière d’égalité professionnelle, on a des obligations de négocier qui sont assorties d’une sanction et qui ne sont déjà pas respectées, donc une obligation de négocier sans sanction, on a des inquiétudes. Et enfin, la retraite progressive, très franchement, quel problème que le patronat ait bloqué sur justement ce droit opposable à la retraite progressive ? La flexibilité, ça n’est pas possible que ça soit toujours pour les mêmes ! Ce n’était pas compliqué de dire qu’on était prêt, dans la discussion, à bouger sur un certain nombre de curseurs, mais de permettre à ce que, à partir de quatre ans avant l’âge légal, on ait un droit opposable à la retraite progressive, pour permettre des aménagements de fin de carrière et des départs progressifs. Ça sert à quoi d’empêcher un salarié de partir en retraite progressive ? Ce dispositif aujourd’hui est très peu utilisé car il est limité dans les grandes entreprises qui ont des accords permettant des aménagements de fin de carrière. Et il faut continuer à travailler sur la question de la pénibilité, on n’a pas pu en parler dans cette négociation-là, on ne peut même plus prononcer le mot, maintenant, il faut parler d’usure professionnelle, il y en a assez des mots vidés de leur sens et du fait qu’on ne puisse plus prononcer les termes, même seniors… Avant, c’était les vieux, là, on dit seniors, demain, ce sera salariés expérimentés, d’accord, mais ça ne change pas la réalité de ce qui se passe sur le terrain. Donc, la pénibilité, on ne peut plus en parler et on ne fait rien contre. 40% des métiers sont pénibles, quand on est sur un métier pénible, c’est impossible de le faire jusqu’à 64 ans, donc, il y a des aménagements de poste à mettre en place, et là-dessus, c’est le néant avec un blocage de la partie patronale de ce point de vue-là, et l’aspect formation en amont et déroulement de carrière. On voit bien les discriminations sexistes dans votre baromètre, qu’être senior amplifie les autres discriminations, et la CGT propose depuis des années des indicateurs de suivi des carrières, et les avoir dans la BDES avec un suivi obligatoire, c’est un outil de prévention qui permet de comparer la situation de salariés du même âge et au même niveau de qualification pour vérifier qu’il n’y a pas de discrimination notamment liée au sexe et à la couleur de peau. Et juste pour finir, je voulais quand même relever quelque chose : à chaque fois, on nous explique que les discriminations salariales et professionnelles sont liées au fait que les femmes sont mères et qu’elles passent beaucoup de temps à s’occuper de leurs enfants, mais les femmes seniors, elles n’ont plus d’enfant en bas âge, tout le temps malade, etc., et elles sont plus victimes de discrimination que les autres, donc, il faut arrêter de se moquer du monde et agir pour mettre fin à ces discriminations qui n’ont aucune justification réelle et valable.
- Cyril Cosme : Merci. Frédéric Souillot, qu’est-ce qu’on peut attendre finalement de la négociation collective sur les questions qu’on discute depuis tout à l’heure sur l’emploi des seniors et les discriminations ?
- Frédéric Souillot : Ce n’est pas que sur l’emploi des seniors et sur les discriminations, c’est le L1 du Code du travail français : la négociation collective. Redonnons la place qui doit être la sienne à la négociation collective et on enlèvera une partie des discriminations à travers des accords.
L’accord… ma négociatrice est là, je crois qu’elle a réussi à signer sur son téléphone cet après-midi pour le baromètre… l’accord, il part d’un diagnostic partagé sur l’emploi des seniors et les discriminations qu’il y avait qui étaient liées à l’emploi des seniors.
Et puis, je reprends ce que dit Marylise, depuis longtemps, on nous avait proposé de discuter, de nous concerter sur l’emploi des seniors, mais comme l’année dernière, c’était dans un pacte de la vie au travail. Là, on a discuté, négocié autour de l’emploi des seniors. Alors, certes, il nous manque des choses. Mais si on nous avait donné la totalité de nos revendications, c’est qu’on n’aurait certainement pas revendiqué assez. Donc, on a déjà inscrit la retraite progressive, parce que la retraite progressive qui est dans le code du travail, elle ne fonctionnait pas. La retraite progressive à partir de tant de trimestres. Il manque un peu d’opposabilité.
Mais au moins, sur la demande de retraite progressive du salarié, il aura l’impression d’avoir prise sur son contrat de travail et sur la façon de définir sa carrière. Après les discussions, les concertations, sur la réforme des retraites, parler de l’emploi des seniors, c’est prendre les choses par le bon bout avant de parler du recul de l’âge de départ ou de l’allongement de la durée de cotisation, car à partir du moment où 50% de ceux qui liquident ne sont plus en emploi, et la démographie est une science exacte, plus que les compétences et les évolutions professionnelles, on aurait déjà dû commencer par parler de l’emploi des seniors, à leur maintien dans l’emploi… Je comprends que ça peut être serré, mais pour le coup, avant, on avait des articles du Code du travail qui disaient : maintien dans l’emploi des plus de 55 ans. Et le maintien dans l’emploi… Alors, on a moins de prise sur son activité et son contrat de travail, mais au moins, on n’est pas ou à l’assurance chômage ou aux minimas sociaux pour terminer une carrière professionnelle où… oui, entretien à 45 ans, vous allez y passer bientôt… Et réfléchir à l’évolution. Comment est-ce qu’on se projette ? En 2012, on a fait un accord national interprofessionnel sur l’emploi des jeunes et les jeunes décrocheurs.
Là où nous sommes d’accord, c’est qu’il faut qu’on ait une définition de la vie au travail, quand elle commence, comment on se forme, comment on arrive à se reconvertir… Avec les transitions, et on peut prendre par exemple l’industrie automobile, où s’il n’y a pas de reconversion, ce sont des centaines de milliers d’emplois qui seront perdus, que nous ne ferons plus. Donc, trouvons comment on arrive à construire une carrière professionnelle, à y rester. Alors, moi, j’aime bien les contraintes, mais plus on met de contraintes, plus on met de freins.
Il faut qu’il y ait des sanctions, si jamais on ne respecte pas le reste, mais si on met trop de contraintes, on va se mettre trop de freins. Ça n’a pas été simple pour les organisations syndicales d’accepter le contrat de valorisation de l’expérience. Pour autant, il n’est ouvert qu’à des demandeurs d’emploi de plus de soixante ans, et quand ceux-ci ont l’âge légal de départ à la retraite, l’assurance chômage ne se pose pas la question de leur pouvoir d’achat, elle arrête du jour au lendemain, à l’âge de départ légal à la retraite, elle arrête l’indemnisation, donc, s’il n’y a rien de prévu avant, vous vous retrouvez sans rémunération, sans indemnisation le temps que vous arriviez à construire votre dossier de départ en retraite et de liquider votre retraite.
Donc, le contrat de valorisation de l’expérience, ce que j’aime dans ce contrat, c’est qu’il est à durée déterminée et qu’on ne va pas l’inscrire dans le Code du travail tant qu’on n’aura pas évalué dans trois ou cinq ans ce que ça donne. Si ce que ça donne, ça ne nous convient pas dans le diagnostic qu’on va partager, on va devoir se remettre autour de la table et repenser autre chose, mais pour tous ceux qui ont perdu leur boulot après 55 ans et qui ont plus de 60 ans, il y aura une possibilité, avec le maintien de l’indemnisation s’ils étaient à l’assurance chômage et qu’ils retrouvent un emploi moins bien rémunéré, l’assurance chômage compensera l’indemnisation pour qu’il n’y ait pas de perte de pouvoir d’achat, c’est une belle avancée quand même.
- Merci. Anne-Catherine sur les leviers à la main des partenaires sociaux ?
- Anne-Catherine Cudennec : J’irai moins sur le détail que mes collègues. Néanmoins, on a beaucoup parlé d’un diagnostic avec des pourcentages, le nombre de personnes dans les tranches d’âge, en France, comparé aux autres pays européens… Je crois qu’il faudrait se recentrer, non pas sur des chiffres, mais sur l’humain, parce que derrière tout ça, ce sont quand même des personnes qui sont concernées, et justement, ces personnes-là ont une vie avec des phases différentes selon leur âge, évidemment, selon leur situation personnelle, professionnelle, etc. Il faudrait peut-être commencer à interroger ces personnes-là pour savoir ce qui leur conviendrait le mieux aux différentes périodes de leur vie, et je ne parle pas seulement des seniors, non pas dans le cadre de leur emploi, mais du travail en général, ça a déjà été évoqué précédemment d’ailleurs.
Justement, ces entretiens avec les salariés, principalement, c’est quelque chose qui figure dans l’accord que notre organisation, d’ailleurs, va signer, même si les discussions ont été assez tendues sur le sujet.
Néanmoins, notre comité directeur l’a décidé la semaine dernière, de le signer, principalement parce que, justement, cet accord met en avant le fait qu’il va y avoir une négociation spécifique sur ce sujet-là, avec, comme l’a dit Marylise tout à l’heure, des thèmes de négociation qui sont obligatoires qui vont permettre, en particulier lors des deux entretiens prévus dans le cadre de cet accord, celui de 45 ans, le milieu de la carrière professionnelle, mais aussi celui qui doit avoir lieu dans les deux ans précédant les soixante ans, qui vont permettre de discuter de sujets du travail en tant que tel, de la façon dont le salarié envisage la suite de sa carrière quand on parle de celui des deux ans avant les soixante ans, ou de la façon dont il envisage peut-être, effectivement, une retraite progressive, comme ça a été mentionné dans les souhaits des salariés.
Or, pour ça, il faut être capable, du côté employeur aussi, d’entendre qu’il y a des métiers qui sont plus pénibles que d’autres, et évidemment, on a… ou d’usure professionnelle, je dirais quel que soit le mot que l’on choisit, le résultat est le même, il y a des métiers où le salarié n’est plus en capacité à continuer à soixante ans comme il le faisait à vingt. C’est très clair. On doit tous se mettre dans cette situation-là de réfléchir à comment on peut améliorer aussi sa qualité de vie au travail. Parce que si on est en situation d’échec parce qu’on ne peut plus physiquement, ou mentalement, d’ailleurs, parce qu’il n’y a pas que la pénibilité physique, il y a aussi l’augmentation du stress au travail avec l’intensification du travail, les demandes multiples auxquelles sont confrontés les métiers plutôt tertiaires, mais pas uniquement ceux-là, et aussi évidemment, j’ai parlé des managers, mais aussi les managers, qui doivent faire face à des modes de travail différents, avec des modes de travail hybrides, avec le télétravail, avec des modes de décision aussi en matrice, en mode projet, etc., donc, toutes ces contraintes doivent être envisagées et l’accord permet justement d’avoir cette discussion et d’aborder les thèmes de santé au travail, ce qui n’était pas le cas précédemment. De ce point de vue-là, je pense que ça peut être une avancée, et quelque part de remettre clairement les hommes et les femmes de l’entreprise au cœur du dispositif et de la réflexion des employeurs.
- Cyril Cosme : On voit comment la question des discriminations qui touchent les seniors et leur emploi plus largement mobilise à la fois une politique de tous les âges tout au long de la vie professionnelle et aussi des registres aussi différents que celui de la santé ou celui de la formation.
Maintenant, Monsieur Tual, la responsabilité des entreprises a été souvent citée. Comment vous voyez cette responsabilité dans la création d’un environnement, je vais reprendre le terme du communiqué de presse de la Défenseure des droits, un environnement « bienveillant » pour changer ces stéréotypes et faire en sorte qu’on arrive à franchir ce plafond de verre en matière d’emploi des travailleurs de plus de 50 ans ?
- Samuel Tual : Tout d’abord, sur ce sujet d’accord, ce qui s’est passé le mois dernier, cette signature est pour nous très importante. Je crois pouvoir dire que c’est un bel accord où, effectivement, ce sujet de l’emploi des travailleurs expérimentés a été analysé avec un diagnostic partagé et une volonté commune de travailler ce sujet avec certaines limites qu’on a essayé de donner sur le sujet pour effectivement rester, préserver une certaine forme de liberté à laquelle nous sommes attachés. Mais nous avons le sentiment d’avoir pris en considération cette question et, avec cet accord, on s’est donné un certain nombre de moyens de traiter intelligemment cette question au cas par cas. Ça a été dit tout à l’heure. C’est essentiel. Je ne pense pas qu’il y ait une recette miracle. S’il y en avait une, elle aurait en effet été trouvée depuis longtemps. On est sur un sujet complexe et multifactoriel et qui répond à des aspirations individuelles qui sont très différentes suivant la nature de l’entreprise, du secteur d’activité, du secteur géographique, de la situation de famille du travailleur en question, de son état de santé, car il y a aussi des sujets de maladies chroniques, ce sont des questions de santé publique, pour le coup, on est quand même sur des publics où la moyenne, en termes d’âge, c’est deux maladies chroniques en moyenne, au-delà de 60 ans. Donc, il y a des sujets de santé publique et des sujets en lien avec la situation de travail. Je l’ai dit tout à l’heure : ça me paraît essentiel, quand je dis « solution naturelle », c’est par rapport à ces enjeux démographiques, où mécaniquement, il va y avoir une tension durable sur le marché du travail qui fait que les entreprises n’ont pas d’autre choix que de s’intéresser à ces publics, elles vont le faire et on va les inciter à le faire plus grandement ; le renforcement des entretiens est de nature à se poser au bon moment les bonnes questions. Le contrat de valorisation de l’expérience, pour ceux qui sont privés de travailler, c’est une formidable, c’est un outil qui sera, je pense, utile pour apporter une vraie réponse pour l’intégrer dans les entreprises, parce que la question posée par les entreprises, au-delà du coût du salarié, car un salarié expérimenté, qu’il coûte plus cher qu’un jeune, c’est une évidence. Est-ce une contrainte ? Non, si, en contrepartie de ce savoir-faire, il y a une expérience plus importante qui peut être valorisée. Dire qu’on l’intègre, mais qu’on sécurise la fin du contrat, c’est un contrat où on connaît le terme et les modalités de sortie, donc, c’est plutôt rassurant. Et je pense qu’on lève là un frein qui est vachement intéressant parce que, évidemment, ce qui peut freiner, c’est de se dire : comment on fait après ?
Les dispositifs d’aménagement de fin de carrière sont un sujet essentiel. On s’est mis d’accord sur ces questions-là. Je suis fan de l’aménagement du temps de travail pour les publics expérimentés. Je l’ai appliqué dans mon entreprise. Je ne suis pas farouchement favorable à la semaine de quatre jours. En revanche, pour les plus de 55 ans, on a signé un accord d’entreprise qui rend possible et qui incite même ceux qui sont autonomes de travailler quatre jours par semaine, modulo une petite réduction du temps de travail. Je trouve que c’est juste, ça correspond à des publics plus autonomes, plus expérimentés qui, en quatre jours, en travaillant de façon mieux organisée, sont capables de faire largement aussi bien que d’autres sur cinq jours. Cette journée gagnée est très profitable pour leur vie perso et je suis fan de ça. Mais ce n’est aucun cas généralisé. Donc, chaque fois, suivant les situations, il y a des réponses différentes parce qu’il faut tenir compte des situations personnelles des individus. Sur le sujet des négociations obligatoires avec le volet obligatoire et le volet facultatif, on a effectivement un certain nombre de sujets sur lesquels on fait une sorte d’effort. C’est une contrainte pour les entreprises. Mais on estime qu’à ce stade, c’est une contrainte juste parce que ça mérite d’être posé. On joue donc le jeu de faire cet effort au regard des enjeux. Donc, finalement, entre Madame Binet et moi, il y a deux visions très différentes. Je suis plutôt optimiste, ça va bien se passer, et vous êtes plutôt pessimiste, vous voyez le verre à moitié vide, alors que cet accord, franchement, c’est une vraie avancée pour la cause qu’on vient de défendre.
Sur la pénibilité, vous pouvez dire ce que vous voulez, il n’y a pas plus pénible qu’un travail que l’on n’aime pas, qu’on travail que l’on subit. Pour moi, la pénibilité… Il y a des travaux qui sont plus ou moins physiquement durs, OK, mais la vérité, c’est que, si on appréhende ces travaux de façon subie ou de façon choisie, le rapport au travail est très différent et la vraie question qu’il faut se poser, c’est comment on fait pour que, à chaque étape de la vie professionnelle, l’entreprise et le salarié puissent se poser les bonnes questions sur les conditions de succès pour l’avenir ? On est bouleversé par une vraie révolution en ce moment, je ne sais pas si c’est perçu par tout le monde, mais entre les enjeux du numérique, les sujets des modèles, les compétitions internationales, on doit se réinventer collectivement. Donc, quelle est la place de chacun dans cette nouvelle équation qui va être donnée ? Il faut qu’on s’interroge ensemble. Et il n’est pas question de contraindre les uns et les autres à rester là où ils sont s’ils ne se sentent pas en capacité de le faire. Ce sont les vraies questions qu’il faut se poser. C’est ça qu’on doit être en capacité de réussir collectivement. C’est un beau sujet à partager. Je suis donc plutôt rassuré et convaincu que, finalement, quand on se verra, si effectivement, cette évaluation est faite régulièrement, on pourra constater les évolutions dans les années à venir, et effectivement, on pourra évaluer dans cinq ans tout ça très précisément, notamment sur le contrat de valorisation. J’espère qu’on aura de beaux succès à partager.
- Cyril Cosme : Merci beaucoup. L’avenir le dira. On a un petit moment pour prendre quelques questions. Je vois un doigt levé…
- Bonjour à toutes et à tous. J’ai été particulièrement interpellée sur une préoccupation sur la pérennité du bureau de l’OIT à Paris ! Je voudrais donner toutes les assurances : tant que l’OIT maintiendra son réseau de bureaux en Europe, le gouvernement français apportera son co-financement, y compris à cette enquête excellente qui est réalisée avec les soins du Défenseur des Droits. J’ai aussi une question pour notre panel. En fait, j’ai été quand même assez frappée, je dois dire, dans les résultats de cette enquête, sur la question de l’intériorisation par les actifs, y compris les travailleurs âgés, des préjugés négatifs liés au vieillissement au travail. Et je me suis demandé… mes connaissances de ce sujet datent aussi un peu de l’époque de la HALDE et sont un peu anciennes, mais je me suis demandé en quoi le cadrage juridique qui a été apporté par la Cour de justice de l’Union européenne n’a pas influencé l’attitude des acteurs ? Je rappelle que cette jurisprudence prévoit que la différence de traitement fondée sur l’âge ne constitue pas une discrimination lorsqu’elle est objectivement et raisonnable justifiée dans le cadre du droit national par un objectif légitime, notamment de politique d’emploi, du marché du travail et de l’emploi et de la formation professionnelle, et que les moyens pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.
Ça a donné lieu au règlement de beaucoup de contentieux. J’ai en souvenir, pour illustrer, pour l’Assemblée, une jurisprudence concernant les moniteurs de ski, qu’on mettait d’office à la retraite, et aussi une jurisprudence concernant les pilotes d’avion, qui avaient eu deux sorts d’ailleurs très différents. Donc, je voudrais bien savoir, aujourd’hui, les responsables syndicaux et patronaux, comment ils apprécient finalement ce cadrage juridique qui demeure, puisque la jurisprudence n’a pas été, à ma connaissance, contredite, sauf si quelqu’un dans la salle a une information plus récente, comment vous voyez ça ? Car, probablement, parmi tous les critères de discrimination, c’est le seul qui ait eu, on va dire, ces nuances apportées à sa réprobation et à sa prohibition ? Merci beaucoup.
- Cyril Cosme : Merci. Allez-y, je vous en prie.
- J’ai commis il y a une dizaine d’années un rapport sur l’emploi des seniors, mais je voudrais m’appuyer sur des données plus actuelles et sur ce qui a été dit dans la table ronde. Première remarque : on est dans un système français où la promotion sociale est toujours plus ou moins sous-estimée et où il importe avant tout de réussir jeune. Je pense que ça conditionne les évolutions de carrière signalées tout à l’heure et les blocages qui apparaissent à partir de 45 ans qui traduisent les défauts de la promotion sociale dans le système français. On sort d’une grande école ou d’un cycle, quel que soit son niveau, relativement jeune, et ensuite, les voies de rattrapage sont ou sous-estimées, ou inexistantes. Il y a quand même un système de formation professionnelle, mais on n’arrivera pas au même point. Ce point-là, dans la fin de carrière des seniors, il devient irrattrapable. On a un problème non pas seulement de discrimination par l’âge, mais de discrimination presque sociale. Le rattrapage est difficile pour ceux qui partent de plus bas. Ça, c’est ma première remarque. Ma question, c’est : est-ce que c’est pris en compte justement, quand on discute de l’emploi des seniors, ce genre de background ?
Deuxième point, ça a été souligné par Mme Binet, le schéma de carrière genré est extrêmement marquant au détriment des femmes, c’est-à-dire que, effectivement, au moment où, malgré le partage qui a un peu progressé favorablement, pas tant que ça, des tâches dans le couple, le moment où les femmes sont nettement plus libres, c’est l’approche de la cinquantaine. Or, c’est le moment où toutes les portes se ferment. Est-ce qu’il ne faut pas prendre ça en compte dans la gestion des entreprises et dans les négociations collectives ? Parce qu’on est dans un domaine qui est mixte, c’est une forme d’intersectionnalité entre l’âge et le sexe qui fait que les femmes, au moment où elles pourraient rattraper le retard accumulés par l’éducation des enfants, d’autres contraintes, etc., sont mises dans l’impossibilité de le faire, et des indicateurs de carrière négociés ou des jalons qu’on introduirait, il y aurait peut-être des pistes à creuser de ce côté-là, et vous avez commencé à en parler, plutôt sur un mode défensif, en parlant d’une méthode claire sur les discriminations, mais est-ce qu’il n’y aurait pas un moyen préventif de regarder si l’évolution de carrière des femmes est la même parmi les salariés et dans la fonction publique ? Dernier point, dans les années 2009-2010, il y a eu les accords seniors qui comportaient six thèmes. Cette méthode était intéressante, même si elle n’est pas extrêmement contraignante. Il y avait quand même des contreparties quand il n’y avait pas d’accord, 1% de la masse salariale. Ça a été le ballon d’essai d’ailleurs avant les accords égalité. Pourquoi ne pas revenir à une méthodologie de ce type qui obligeait les entreprises qui n’y pensent pas, les grands groupes y pensent déjà, à réfléchir sur leur gestion de carrière des seniors ?
- Merci. On prend une dernière question, merci d’avance d’être concise. C’était Madame, a priori, pardon…
- Elle sera très courte. Notamment pour Monsieur Souillot, vous parlez de négociation collective, et puis de contrat de travail, comment on pourrait organiser via des accords collectifs et des conventions de branches l’évolution du contrat de travail entre l’employeur et le salarié au moment de ce fameux entretien de mi-carrière, une fois qu’il est passé chez le médecin du travail, sans tomber dans l’échec d’un refus et d’un maintien sur le poste antérieur qui ferait courir des risques au salarié sans donner aucune liberté à l’employeur ?
- Je suis désolé… Oui, dernière petite question ?
- Merci. Je suis sociologue, j’ai pas mal travaillé en comparaisons internationales sur ces questions.
Les résultats du baromètre nous incitaient à chausser de nouvelles lunettes sur la manière de penser les âges de la vie et les parcours professionnel et de rompre avec cette vision âge qui nous conduit à de l’âgisme, assez directement. Et puis, dans la discussion, là, j’ai, dans cette nouvelle table ronde, j’ai l’impression qu’on a perdu de vue un peu, que cette passion française de l’âge a ressurgi, c’est-à-dire que ce qu’il faut, c’est vraiment penser en termes de parcours et plus penser en termes d’âge, et quand on met un âge pour les entretiens, moi, ça me choque, parce qu’on n’est plus dans le parcours, mais dans l’âge, et l’âge des entretiens, c’est en fonction des parcours. On ne peut donc pas mettre un âge légal. Il faut en sortir. L’idée d’un âge légal de la retraite dans laquelle nous sommes, mais où beaucoup de pays s’essaient d’avoir un âge légal de la retraite identique pour tous, mais comme les parcours sont différents, les âges de départ doivent être différents. Parler de l’emploi des seniors, c’est le problème de l’emploi des seniors et ça renvoie tout de suite à de l’âgisme. Il faut sortir de ces catégories d’âge.
- Cyril Cosme : Merci pour votre commentaire et votre remarque. Je me retourne vers vous. On ne va pas répondre à l’ensemble… Vous n’allez pas chacun répondre à l’ensemble des questions, mais peut-être pouvez-vous prendre un point qui vous intéresse plus particulièrement ?
- Frédéric Souillot : Moi, je prends la question qui m’était posée. Et la deuxième sur l’âge. Si on a mis 45 ans, ce n’est pas parce qu’on voulait y mettre un âge, c’est que, si on n’avait pas mis d’âge, il n’y avait pas l’entretien.
C’est pour cela que, quand on avait discuté pacte de la vie au travail, on disait : parcours. Et suivant la branche où on était, peut-être que l’usure professionnelle, parce qu’elle existe aussi quand même, l’usure professionnelle, elle arrive plus tôt. Maintenant, sur la question contrat de travail et négociations collectives, c’est bien pour ça qu’on a dit, dans toutes les branches, qu’il faut qu’il y ait des discussions. Si, nous, on le règle en accord national interpro, on met l’article dans le Code du travail, et là, on est obligé de mettre un âge, il faut que la discussion se passe branche par branche et soit obligatoire dans les branches, elle est obligatoire, même si on ne sait pas comment elle aboutit, mais la démographie étant une science exacte et le représentant du patronat nous le disait, les seniors vont avoir beaucoup plus de valeur dans les prochaines années, notamment à partir de 2030 où, là, formidable… C’est comme l’égalité professionnelle.
- Sur la question des modèles de réussite qui participent à établir des stéréotypes âgistes et des modèles de représentation un peu décalés, comment faire pour favoriser finalement un modèle de réussite ouvert à tous les âges ? Est-ce que ça participe à ce travail sur le changement des représentations et des mentalités ?
- Marylise Léon : Je pense que ça y contribue. Ces modèles doivent être pensés justement vraiment au regard des situations très spécifiques des entreprises, parce qu’il y a des modèles et il y a des pyramides des âges différentes en fonction des secteurs, des conditions de travail différentes, donc, c’est l’idée de poser un cadre qui peut être utilisé avec des marges de manœuvre assez larges. Pour rebondir sur la question redoutable de la décision de justice de la CGIE, je pense que… je n’ai pas la réponse. Je pense qu’effectivement, ça y contribue, cette jurisprudence y contribue parce que, pour le coup, je vais un petit peu décaler… Il y a, je pense, un effet, dans le poids de cette jurisprudence… je pense que le poids de cette jurisprudence est intégré aux services RH qui, je le regrette, sont de plus en plus des services juridiques de suivi et de mise en conformité aux droits, et du coup, dans la gestion des risques, lorsqu’on prend une mesure qui vise quelqu’un de senior, cette jurisprudence permet de sécuriser l’entreprise, et que, par ailleurs, la question… donc, je pense que ça y contribue, et comme ça fait partie de pratiques d’entreprise, je pense que ça contribue à accentuer l’intériorisation pour les salariés eux-mêmes qui minimisent cette discrimination par l’âge dans les entreprises.
- Sophie Binet, vous souhaitez réagir ?
- Sophie Binet : Oui, d’abord sur la question de la reproduction sociale, l’enjeu central, c’est en gros la formation professionnelle. Plus on est qualifié, plus on y a accès. Pour nous, la solution, ce n’est pas de former moins les cadres, il y a notamment le sujet de la transformation numérique, et on aimerait d’ailleurs en négocier collectivement pour anticiper certains sujets, et là-dessus, il faut investir sur la formation professionnelle, mais les montants dévolus à la formation professionnelle baissent globalement, et dans ce contexte-là, c’est du partage de la pénurie et ça ne permet pas de préparer l’avenir. Sur la question de la méthode Claire, on joue en défense, mais aussi en attaque, et la méthode Claire est évidemment une redoutable méthode défensive de réparation devant les tribunaux, et à partir de cette méthode, on a travaillé des indicateurs avec l’idée qu’ils soient intégrés dans les bilans sociaux pour vérifier chaque année qu’il n’y a pas de discrimination, et le but est là d’avoir un outil préventif pour identifier les discriminations avant le licenciement parce que, en justice, de fait aucun salarié ne va en justice quand il est encore en emploi, parce qu’il faudrait être fou pour attaquer son employeur avant d’être licencié, parce qu’on sait qu’on va l’être. Et l’autre point sur lequel je voulais revenir, c’est que la CGT est très optimiste, et c’est parce qu’elle est optimiste qu’elle n’a pas signé cet accord, parce que nous pensons et nous allons nous battre pour gagner une transposition législative qui aille bien plus loin que cet accord, et en n’étant pas liés à cet accord, on va pouvoir obtenir, je l’espère, des mesures beaucoup plus ambitieuses que celles que vous avez bien voulu consentir dans cet accord qui ne sont clairement pas au niveau. Nous allons donc utiliser l’enquête du Défenseur des Droits et de l’OIT qui nous sera un outil précieux pour cette bataille pour la loi qui doit suivre.
- Cyril Cosme : A suivre, donc. Monsieur Tual ?
- Samuel Tual : Merci pour tout ça.
Je voudrais rebondir par rapport à la question sur le sujet de l’ascension sociale, je pense que le sujet ne se pose pas uniquement pour les fins de carrière. On a globalement un petit sujet en France sur la question justement de l’ascenseur social possible par le travail. Et ça va peut-être vous surprendre que je dise ça, mais effectivement, la reconnaissance du travail d’une façon ou d’une autre, les revenus du travail aujourd’hui, ne sont pas suffisants en France, et l’ascenseur social par le travail ne fonctionne plus. C’est donc un sujet profond qui interroge aussi sur le modèle social globalement. Et on en reparlera, ça pourra faire l’objet d’un autre débat, mais en tout cas, le sujet de l’âge et de la fin de carrière est un sujet global qui part de l’ensemble des parcours.
Les 45 ans, c’est effectivement un âge… A un moment, il faut mettre un curseur, ça ne veut pas dire qu’on vise les 90 ans de parcours professionnel, mais pour autant, c’est effectivement dans cette dernière séquence à mi-parcours.
Après, le point le plus important, parce qu’on ne l’a peut-être pas développé suffisamment, j’ai un petit témoignage à faire aussi sur le côté un petit peu optimiste de cette approche par l’aménagement du temps de travail, je pense notamment à un conducteur de car collectif qui, en fin de carrière professionnelle, trouvait vraiment la mission très pénible. Il avait 62 ans. On lui a proposé d’évoluer dans son métier et de devenir formateur, tuteur de jeunes en baissant un tout petit peu son temps de travail et en changeant son rôle. Il a rendu possible pour des jeunes, s’ils n’avaient pas été formés par ce travailleur expérimenté, ils n’auraient pas pu faire la moitié d’une tournée, et ils ont appris les codes, et grâce à ça, il a voulu prolonger sa carrière de deux ans dans l’entreprise parce qu’il a donné du sens à son travail. Donc, en lien avec le travail choisi, la question de quand on retrouve du sens, effectivement, l’appréhension et le côté pénible du travail évolue. Ce côté intergénérationnel, dans le cadre de ce qu’on a imaginé aussi sur la façon d’aménager les fins de carrière, je trouve que c’est une dimension très intéressante à plein de titres pour l’entreprise, mais aussi pour la société tout entière.
- Merci beaucoup. Anne-Catherine, si tu as un mot ?
- Anne-Catherine Cudennec : Pour apporter un peu d’optimisme dans tout ça, on a beaucoup parlé des suites que pourrait avoir l’accord interprofessionnel qui vient d’être signé, mais il y a des entreprises qui ne l’ont pas attendu pour négocier avec les partenaires sociaux soit sur des accords spécifiques sur la problématique dite seniors, mais même sur des accords-cadres internationaux, ça veut bien dire que la problématique de cette tranche d’âge est aussi présente au niveau mondial. Et à partir du moment où il y a une négociation dans une entreprise qui aboutit à un accord, très clairement en lien avec les souhaits des organisations syndicales, qui représentent les salariés, ça ne peut aller que dans le bon sens. Et si l’ANI a pour conséquence de provoquer des accords spécifiques dans les entreprises et dans les branches, adaptés, pour moi, ça ne peut aller que dans le bon sens.
- Cyril Cosme : Merci beaucoup. Il me reste à tous vous remercier d’avoir pris sur votre temps pour discuter des résultats de ce baromètre.
Claire Hédon va conclure.
- Claire Hédon : C’est ça. Je vais vous faire un petit mot de conclusion rapidement. C’était effectivement la ministre du Travail qui devait conclure cet après-midi, pas besoin de vous expliquer qu’elle est au banc en ce moment et ne pouvait pas être à deux endroits à la fois. Merci pour ces échanges intéressants, constructifs. Ça nous montre l’importance et la nécessité d’avancer ensemble, ça montre la nécessité de l’accompagnement par l’employeur, la nécessité de la formation, de mettre en place des outils de prévention. Ce sont des choses qui sont beaucoup revenues. Les pouvoirs publics aussi doivent s’emparer de ces questions pour lutter efficacement contre les discriminations.
Il y a un chiffre qu’on a évoqué sur lequel je voudrais insister : un quart des seniors déclarent avoir vécu des discriminations, mais ce chiffre alerte quand il est croisé avec d’autres. Les seniors perçus comme non blancs ou en situation économique précaire ou en mauvaise santé sont deux fois plus discriminés que les autres seniors, donc, cette question d’intersectionnalité, de critères qui se cumulent, est essentielle pour comprendre les discriminations. Et qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’on ne peut pas penser la lutte contre les discriminations en réfléchissant en silos. Il faut réfléchir ensemble, même s’il y a des politiques qui sont destinées à une partie de la population. On a bien vu à quel point les stéréotypes et les images qu’on pouvait avoir sur les seniors aboutissaient à des discriminations, on le voit aussi dans tous les critères. Je trouve aussi important de comprendre à chaque fois l’impact que ça a sur la santé physique et psychique des victimes de discrimination et sur notre cohésion sociale, vous avez été plusieurs à le dire. C’est quelque chose d’important.
J’ai envie de vous redire aussi que la discrimination est un délit. Il faut quand même le rappeler et à quel point c’est pour ça qu’il faut lutter contre les discriminations, et puis, deuxième point, l’ampleur de ce baromètre, chaque année, ce baromètre montre que l’ampleur de ces discriminations ne se voit pas dans les réclamations qui arrivent au Défenseur des Droits. On ne peut pas tout faire peser sur les victimes en leur disant qu’ils ne viennent pas porter plainte, non, il faut faire de la prévention. Et la question des représailles est omniprésente. C’est une des raisons. Et aussi l’impression de : à quoi ça va servir ? Nous devons avancer ensemble sur ces questions et construire une société dans laquelle chacun a sa place, quel que soit son parcours, son avenir en dépend. C’est un élément essentiel dont on a besoin par les temps qui courent. Je vous remercie.