Avis sur la proposition de loi “visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques”
13 novembre 2023
Discrimination
Jeudi 9 novembre, la Défenseure des droits, Claire Hédon, a été auditionnée à l’Assemblée nationale par le député Marc Ferracci, rapporteur de la proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques.
Portée par le groupe Renaissance, la proposition de loi n°1494 vise à lutter plus efficacement contre les discriminations.
Appelant de ses vœux une politique publique de lutte contre les discriminations, la Défenseure des droits salue la mise à l’ordre du jour du Parlement d’une proposition de loi visant à lutter plus efficacement contre les discriminations. Cette inscription permet de mettre cet enjeu majeur au cœur de l’actualité politique.
Le texte a pour objectif de renforcer la pratique des testings pour faciliter la preuve des situations de discriminations et mieux mesurer l’évolution des discriminations en France.
Le testing
Également appelé "test de situation" ou "test de discrimination", le testing a pour but de vérifier l’existence ou non d'une discrimination.
Le testing consiste à soumettre deux profils comparables pour une même demande en ne modifiant qu'une caractéristique susceptible d’exposer aux discriminations (origine, handicap, âge, sexe, etc.). Si l'un des deux profils est moins bien traité que l’autre, cette différence de traitement sera imputée à la caractéristique qui les distingue et laissera présumer l’existence d’une discrimination.
Le test individuel a pour but de prouver une discrimination subie par une personne réelle pour lui permettre de faire valoir ses droits, notamment devant les tribunaux.
Les tests statistiques sont quant à eux menés à grande échelle au moyen de candidatures fictives. Ils ont pour but de mesurer les discriminations en France dans certains secteurs ou certaines entreprises.
Sur les testings de masse à visée statistique : des objectifs louables mais un mécanisme manquant de clarté et d’ambition
La proposition de loi prévoit de développer des tests statistiques et d’exiger de la part des entreprises concernées l’élaboration et le déploiement d’accords ou de plans d’actions, et envisage, à défaut, la publication des résultats (« name and shame ») et un mécanisme d’amende administrative.
Cette volonté de mesurer les discriminations, via la mise en œuvre de testings de masse à visée statistique, pour enclencher des actions correctrices au sein des organisations, est positive. La Défenseure des droits l’a, à plusieurs reprises, recommandée. Cette approche structurelle paraît d’autant plus nécessaire que la lutte contre les discriminations ne peut se résumer au levier individuel du recours, lequel présente de nombreuses limites.
Toutefois, pour que cette démarche structurelle soit efficace, les testings statistiques doivent être suivis d’effet par la mise en place d’une procédure de suivi claire et transparente visant à s’assurer que les résultats négatifs constatés au sein des organisations seront effectivement corrigés par des mesures transformatrices fortes. Le testing n’est pas une fin en soi ; ce n’est pas la mesure qui compte, mais ce qu’il en sera fait.
Que cette mission soit prise en charge par une structure (DILCRAH) placée sous l’autorité du Premier ministre paraît logique : si l’État souhaite instituer une véritable politique publique de lutte contre les discriminations, qui pourrait également passer par la fixation d’objectifs plus précis visant à ajuster ces testings (en nombre, en secteurs visés, etc.), il paraît en effet normal que ceux-ci soient pris en charge par cette structure ministérielle.
Par ailleurs, la Défenseure des droits rappelle les limites de la technique du testing et recommande de compléter la mesure des discriminations en France, par d’autres méthodes. Elle regrette que la proposition de loi n’envisage pas la création d’un Observatoire des discriminations et appelle une évolution du texte en ce sens.
Une opposition sur les modalités de réalisation des testings individuels à visée contentieuse
La Défenseure des droits est en revanche totalement opposée à la possibilité offerte à cette structure de réaliser des testings individuels à visée contentieuse. Une telle mesure dessert les intérêts des victimes de discrimination en rendant illisible le chemin qu’elles devront parcourir pour être rétablies dans leurs droits. Compte tenu de l’indépendance requise, a fortiori pour traiter des situations qui viseraient l’employeur public ou des services publics, comment un service de l’État pourrait-il organiser ces testings puis informer et accompagner les victimes sur les suites à donner en droit à de telles opérations ? Il paraît tout à la fois cohérent avec ses autres missions et gage d’une meilleure lisibilité institutionnelle pour les victimes, que le Défenseur des droits ne soit pas concurrencé sur ce point par une structure gouvernementale. Le Défenseur des droits est l’autorité compétente pour le traitement des réclamations reçues en matière de discrimination. Le gouvernement a d’ailleurs souhaité renforcer la visibilité de sa compétence en soutenant la création en 2020, auprès de cette institution, de la plateforme antidiscriminations.fr et d’un numéro dédié aux victimes (3928).
La Défenseure des droits formule par conséquent le vœu que les parlementaires améliorent substantiellement le texte qui leur est soumis. La lutte contre les discriminations est un impératif qui ne peut souffrir d’aucune incohérence pour apporter des réponses efficaces à la hauteur des attentes légitimes des victimes.