« Accompagner les jeunes : représentations et pratiques des professionnels », retour sur la conférence-débat organisée par le Défenseur des droits et l’INJEP
07 juin 2024
Discrimination
En 2021, le Défenseur des droits et l’INJEP (institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) ont lancé un appel à projets de recherche pour mieux comprendre les représentations qu’ont les professionnels de la jeunesse sur les jeunes. À l’occasion de la publication des résultats des deux études sélectionnées, une conférence-débat était organisée le 23 mai.
Deux études pour interroger le regard porté sur les jeunes par les professionnels de la jeunesse
Le regard des adultes sur la jeunesse, s’il est souvent compatissant, demeure critique. Certaines représentations sur « la jeunesse » ou certains groupes de jeunes sont profondément ancrées, et peuvent affecter les jugements portés à leur égard, contribuer à les stigmatiser.
Le Défenseur des droits et l’INJEP ont voulu savoir si ces représentations affectent l’accompagnement des jeunes par les professionnels de la jeunesse.
Deux projets de recherche ont été sélectionnés :
- Le premier proposait d’étudier les représentations et les pratiques d’intermédiaires de l’emploi qui accompagnent des jeunes dits « invisibles »
- Le second proposait d’étudier les représentations des professionnels de l’insertion confrontés à la montée en puissance du travail « ubérisé » chez les jeunes des quartiers populaires
L’(in)employabilité des jeunes « invisibles ». Analyse des représentations et pratiques des intermédiaires de l’emploi du dispositif D
Les jeunes dits « invisibles » sont les jeunes non détectés par les professionnels et les intermédiaires de l’emploi des quartiers prioritaires de la politique de la ville et qui n’entrent pas dans les dispositifs d’aide à l’emploi. Le « dispositif D » est un dispositif d’accompagnement développé spécifiquement pour ces jeunes en région Hauts-de-France et qui leur propose une prise en charge « personnalisée ».
L’étude révèle que la représentation du jeune issu de milieu défavorisé comme responsable de son exclusion est encore fortement présente au sein des professionnels qui les accompagne. Cependant, les professionnels ne partagent pas tous les mêmes représentations et ne ciblent pas les mêmes catégories de jeunes pour intégrer le dispositif. Leurs expériences antérieures avec les « jeunes » mais aussi leurs trajectoires sociale, scolaire et professionnelle influencent ces représentations et leurs pratiques professionnelles. Ces représentations varient également selon les profils des jeunes pris en charge.
L’étude constate également que les professionnels présentent des stéréotypes négatifs à l’égard des jeunes issus des classes défavorisées. Ils tentent de les former à l’utilisation des techniques de recherche d’emploi et de transformer leur apparence (vestimentaire, attitudes et postures corporelles) intégrant ainsi certaines pratiques discriminatoires.
L’étude relève par ailleurs que les conditions de travail des professionnels, sous la pression d’objectifs chiffrés, favorisent la mobilisation des stéréotypes, altèrent la qualité de l’accompagnement et conduisent à écarter du dispositif les publics « invisibles » qui en auraient le plus besoin. Au regard des stéréotypes discriminatoires mis à jour, l’étude émet une série de préconisations afin de lutter contre les discriminations à différents niveaux du dispositif.
Consulter la synthèse de l’étude
Malaise dans l’accompagnement des jeunes : l’essor du travail ubérisé dans les QPV
Les habitants des quartiers populaires, et notamment les jeunes hommes d’origine étrangère, constituent désormais le principal vivier de recrutement dans les métiers « ubérisés » du transport et de la livraison.
L’étude s’intéresse aux effets de ce phénomène sur les professionnels en charge de l’insertion de ces jeunes, à partir de l’observation de deux univers professionnels, celui du travail social classique d’une part, et le monde de l’entreprenariat de l’autre. En effet, les activités ubérisées nécessitent des compétences pratiques, constitutives d’un réel savoir-être, qui vont à l’encontre des préjugés et stéréotypes souvent associés à ces publics. Ce constat remet en cause le postulat selon lequel ils seraient inemployables en raison d’un manque de compétences.
L’étude constate que les professionnels portent globalement un regard critique sur l’emploi ubérisé, qui relève d’un salariat déguisé pour les uns et d’un entreprenariat dévoyé pour les autres. Elle relève par ailleurs que les jeunes des métiers ubérisés échappent souvent aux dispositifs d’insertion et que, lorsque ce n’est pas le cas, les propositions d’accompagnement sont en partie inadaptées à leurs besoins et attentes. Elle souligne enfin qu’en restant focalisés sur le renforcement de l’employabilité de ces jeunes, les professionnels contribuent à invisibiliser les discriminations dont ils sont victimes.
Lors de la conférence de présentation de ces résultats, la Défenseure des droits a rappelé le constat de l’ampleur des discriminations fondées sur l’origine dont sont victimes les jeunes, l’importance de l’accompagnement des publics dits «invisibles », la nécessité d’agir auprès des employeurs et l’importance de garantir à tous les jeunes un service public de qualité.