Traite des êtres humains : la Cour d’appel de Rouen confirme la décision du Défenseur des droits
17 janvier 2023
Droits fondamentaux
Par un arrêt du 16 janvier 2023, la cour d’appel de Rouen a condamné un restaurateur pour traite des êtres humains, confirmant un jugement du tribunal judiciaire d’Evreux du 13 juillet 2021.
Dans ces deux instances, le Défenseur des droits a présenté des observations (décisions 2019-235 et 2022-221).
Cette condamnation fait suite aux plaintes pour traite des êtres humains déposées par cinq des victimes. L’enquête déclenchée a en effet permis d’établir que depuis de nombreuses années, les victimes et la plupart de leurs collègues, recrutés par le même employeur dans deux restaurants et une boulangerie en Normandie, étaient payés très en-deçà du salaire horaire minimum et avaient travaillé bien au-delà de la limite autorisée tout en ne bénéficiant que de très peu de jours de repos. Ils étaient logés sur place dans des conditions d’hygiène, de sécurité et de promiscuité particulièrement indignes. En situation irrégulière pour la plupart, ils avaient été attirés puis retenus aux moyens de fausses promesses – d’aide à la régularisation notamment – et de menaces.
À l’issue de l’enquête, le Ministère public n’a pas engagé de poursuite au titre du délit de traite mais seulement de ceux liés au séjour irrégulier des salariés, au travail dissimulé, aux violences physiques, et des infractions à la réglementation relative à l’hygiène.
Accompagnées par le Comité contre l’esclavage moderne (CCEM), les victimes ont alors décidé de citer directement l’employeur à comparaître devant le tribunal judicaire, afin qu’il soit jugé pour traite des êtres humains. Elles ont saisi le Défenseur des droits dans ce cadre.
C’est en tant qu’institution chargée de veiller au respect des droits et des libertés et de lutter contre les discriminations que le Défenseur des droits s’est prononcé sur cette affaire, considérant que la traite des êtres humains constitue l’une des formes les plus violentes de la discrimination lorsqu’elle consiste à recruter une personne à raison de son origine, de sa nationalité, ou de sa vulnérabilité économique, dans le but de la soumettre à des conditions de travail et d’hébergement contraires à sa dignité.
Les observations en justice de la Défenseure des droits, présentées au juge pénal chargé de l’affaire le 19 septembre 2019, qui, en l’absence d’enquête contradictoire menée par ses services, ne se prononce pas sur la responsabilité pénale de la personne citée à comparaître, ont souligné la nécessité d’appréhender les agissements du gérant dans leur globalité et de leur donner leur qualification adéquate, afin que le préjudice subi par les victimes soit intégralement reconnu.
Par un jugement prononcé le 13 juillet 2021, le tribunal a reconnu le prévenu coupable des délits de traite des êtres humains commise en échange d’une rémunération, de soumission d’une personne vulnérable à des conditions de travail et d’hébergement indignes et de rétribution inexistante ou insuffisante du travail d’une personne vulnérable ou dépendante.
La Défenseure des droits a maintenu ses observations à l’audience d’appel tenue le 7 novembre 2022 et donnant lieu à l’arrêt rendu ce jour. Elle forme le vœu que cette décision s’inscrive dans une reconnaissance plus systématique de la traite des êtres humains par les juridictions répressives et que la lutte contre ce phénomène criminel devienne une véritable priorité.
Elle rappelle que le 3ème plan d’action national contre la traite des êtres humains pour la période 2022-2024 n’a toujours pas été rendu public, et que le mandat de la secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) s’est achevé en septembre 2022 sans que son successeur soit nommé.